Par un frais matin d’octobre, je me suis retrouvé à compter les bancs le long du sentier riverain d’Orillia. Ce qui a commencé comme une simple observation lors de ma visite dans cette communauté du Centre de l’Ontario a révélé quelque chose de plus profond sur la façon dont nous mesurons la santé civique.
« Nous avons perdu quatre bancs publics dans le centre-ville cette année seulement, » explique Eleanor Mackenzie, directrice du Réseau de défense communautaire d’Orillia. « Ce n’est pas seulement une question d’avoir un endroit où s’asseoir—c’est une question de qui a le droit d’exister dans l’espace public. »
« L’indice des bancs, » comme l’ont surnommé les défenseurs locaux, est devenu un baromètre inattendu pour comprendre l’accessibilité urbaine et l’inclusion dans les municipalités canadiennes. À Orillia, le retrait récent de sièges publics a déclenché un débat animé sur qui les espaces publics servent réellement.
Les responsables municipaux citent les coûts d’entretien et les « problèmes de flânage » comme principales raisons du programme de réduction des bancs. Pendant ce temps, les aînés, les jeunes familles et les personnes à mobilité réduite signalent une difficulté accrue à naviguer dans le centre-ville sans lieux de repos adéquats.
Cette tension met en lumière une conversation nationale croissante sur les barrières invisibles dans notre paysage urbain. Les municipalités à travers le Canada sont aux prises avec des décisions similaires qui équilibrent l’accès public et les préoccupations concernant les populations sans-abri utilisant ces commodités.
« Quand nous retirons des bancs, nous disons essentiellement que certaines personnes n’ont pas leur place dans nos espaces publics, » note Dr. Thomas Herrington, chercheur en politique urbaine à l’Université Lakehead. « Cela devient une forme d’architecture hostile qui cible les membres vulnérables de la communauté tout en incommodant tout le monde. »
La question résonne au-delà des limites de la ville d’Orillia. À Vancouver, des groupes communautaires ont récemment cartographié la disponibilité des sièges publics par rapport aux niveaux de revenus des quartiers, révélant des disparités frappantes entre les zones aisées et moins favorisées. De même, Halifax a mené un audit « d’assisabilité » qui a révélé des lacunes préoccupantes dans l’accueil public des aînés et des personnes handicapées.
La situation d’Orillia semble particulièrement poignante étant donné sa réputation de communauté touristique au bord du lac. Le contraste entre l’accueil des visiteurs et un centre-ville moins accessible frappe de nombreux résidents comme contradictoire.
« Je vis ici depuis 43 ans et je constate soudainement que je ne peux plus marcher jusqu’à la pharmacie, » dit Margaret Chen, 78 ans, qui utilise une canne et dépend de sièges réguliers pour effectuer ses courses hebdomadaires. « Ils ont enlevé le banc où je me reposais à mi-chemin. »
Les implications économiques vont au-delà de l’inconvénient individuel. Des propriétaires d’entreprises comme James Thornhill, qui exploite une petite librairie au centre-ville, notent des impacts mesurables sur l’achalandage. « Quand les gens ne peuvent pas passer du temps confortablement dans un quartier, ils n’y font tout simplement pas leurs achats, » explique Thornhill. « Nous avons vu notre trafic de flâneurs chuter d’environ 15% depuis que les bancs ont disparu. »
Le conseil municipal d’Orillia reste divisé sur la question. La conseillère Patricia Westmoreland a défendu les retraits, citant une diminution de 23% des « appels pour nuisance » à la police dans les zones touchées. Cependant, son collègue le conseiller David Nguyen soutient que la ville a simplement déplacé les problèmes existants plutôt que de les résoudre.
« Nous traitons les symptômes plutôt que les causes, » m’a dit Nguyen lors d’une entrevue téléphonique. « L’absence de bancs ne résout pas les problèmes d’itinérance ou de toxicomanie—elle les rend simplement moins visibles aux touristes et aux acheteurs. »
La controverse des bancs s’inscrit dans des discussions plus larges sur l’équité des espaces publics qui se déroulent dans les assemblées législatives provinciales. Le ministère des Affaires municipales de l’Ontario a récemment publié des directives encourageant la « conception urbaine inclusive » mais s’est abstenu d’imposer des exigences minimales en matière de sièges publics.
Les documents budgétaires révèlent qu’Orillia a économisé environ 12 800 $ par an grâce à la réduction des coûts d’entretien en retirant quatorze bancs depuis 2021. Cependant, une évaluation d’impact communautaire commandée par des défenseurs locaux estime le « coût social » à près du triple de ce montant en tenant compte de la mobilité réduite, de l’isolement des résidents vulnérables et des impacts sur les entreprises.
Certaines communautés ont trouvé un juste milieu créatif. Kingston a installé des accoudoirs séparateurs sur les bancs qui empêchent d’y dormir tout en maintenant la fonction d’assise. Barrie s’est associée à des artistes locaux pour créer des sièges distinctifs qui améliorent les espaces publics tout en incorporant des éléments de conception subtils décourageant l’occupation prolongée.
Le débat soulève des questions fondamentales sur ce qui rend une communauté vraiment vivable—et pour qui. Les espaces publics servent de salons à notre vie civique, où les rencontres fortuites construisent le tissu communautaire et l’accessibilité détermine qui y participe.
« L’indice des bancs révèle nos priorités, » observe l’organisatrice communautaire Mackenzie. « Concevons-nous des villes pour tous ou seulement pour ceux qui jouissent de certains privilèges? Peut-on exister dans l’espace public si l’on a besoin de se reposer fréquemment? »
En concluant mon reportage à Orillia, j’ai observé un homme âgé avec un déambulateur naviguer soigneusement sur le sentier riverain, s’arrêtant fréquemment là où se trouvaient autrefois des bancs. Les petites négociations quotidiennes de l’espace public font rarement la une, mais elles façonnent profondément qui se sent bienvenu dans nos communautés.
L’indice des bancs offre une métrique simple mais révélatrice: comptez les endroits où les gens peuvent faire une pause, se reposer et participer à la vie publique sans barrières financières. La réponse en dit plus sur nos communautés que bien des indicateurs économiques traditionnels.
Pour Orillia et les communautés à travers le Canada confrontées à des pressions similaires, la question demeure: comment équilibrer les préoccupations légitimes d’entretien avec le besoin fondamental d’espaces véritablement publics qui servent tout le monde? La réponse pourrait déterminer si nos villes deviennent plus inclusives ou de plus en plus ségrégées dans les années à venir.