Pendant que les Américains réduisent leurs dépenses dans les restaurants rapides, les Canadiens semblent s’adonner plus fréquemment à leurs repas préférés de restauration rapide, créant une divergence économique intéressante entre les marchés voisins.
La semaine dernière, Restaurant Brands International (RBI) – la société mère torontoise de Tim Hortons, Burger King, Popeyes et Firehouse Subs – a révélé des performances contrastées dans ses activités nord-américaines. Tim Hortons a enregistré une solide croissance de 5,8 % des ventes comparables au Canada au premier trimestre, tandis que les établissements américains de Burger King ont connu une inquiétante baisse de 2,1 %.
« Nous constatons que les consommateurs canadiens font preuve d’une résilience remarquable dans leurs habitudes de restauration malgré les pressions inflationnistes », a déclaré Joshua Kobza, PDG de RBI, lors de la conférence téléphonique sur les résultats de l’entreprise. « La proposition de valeur de Tim Hortons continue de trouver un écho solide auprès des Canadiens, alors même que les marques américaines de restauration rapide font face à des défis croissants. »
Ce modèle s’étend au-delà du portefeuille de RBI. McDonald’s a récemment signalé sa première baisse mondiale des ventes comparables depuis près de quatre ans, avec un affaiblissement notable de la fréquentation aux États-Unis. Pendant ce temps, McDonald’s Canada surpasse son homologue américain, selon les analystes du secteur chez Deloitte Canada.
Cette divergence met en évidence plusieurs facteurs économiques et culturels clés. Les données de Statistique Canada montrent que, bien que l’inflation alimentaire canadienne se soit modérée à 2,1 % d’une année sur l’autre en mars 2024 (contre 9,7 % en mars 2023), les prix des menus de restaurants restent 4,2 % plus élevés qu’il y a un an – suggérant que les Canadiens absorbent ces augmentations plus facilement que leurs voisins américains.
« Les consommateurs canadiens ont historiquement démontré une plus grande fidélité aux marques établies de restauration rapide », explique Vince Sgabellone, analyste de l’industrie de la restauration chez The NPD Group Canada. « Il y a aussi la réalité que Tim Hortons et des concepts similaires sont profondément ancrés dans les routines quotidiennes canadiennes d’une manière qui transcende les considérations purement économiques. »
Le contraste devient encore plus intéressant lorsqu’on examine des indicateurs économiques plus larges. Le taux de chômage du Canada s’établit à 6,1 %, nettement supérieur au taux américain de 3,8 %. La sagesse économique traditionnelle suggérerait que cela devrait se traduire par des dépenses de consommation plus prudentes au nord de la frontière – pourtant, les habitudes de consommation de restauration rapide racontent une histoire différente.
Une explication potentielle réside dans la structure même des chaînes de restauration rapide canadiennes. Beaucoup ont mis en œuvre des programmes de fidélité agressifs qui les aident à s’isoler des vents économiques contraires. Le programme de récompenses de Tim Hortons compte maintenant plus de 11 millions de membres actifs dans un pays de 40 millions d’habitants, créant de puissantes incitations aux visites répétées, quelles que soient les conditions économiques.
« L’écosystème de fidélisation que nous avons construit nous donne des perspectives remarquables sur l’évolution des préférences des consommateurs », a noté Axel Schwan, président de Tim Hortons, lors d’une conférence de l’industrie le mois dernier. « Nous pouvons rapidement ajuster nos offres à durée limitée et nos promotions pour correspondre à ce que les Canadiens recherchent pendant les périodes économiques difficiles. »
Le paysage canadien de la restauration rapide bénéficie également de coûts de main-d’œuvre relativement plus bas par rapport à de nombreux marchés américains. Bien que le salaire minimum varie selon les provinces, allant de 13,75 $ en Saskatchewan à 16,55 $ en Colombie-Britannique, ces taux sont généralement inférieurs aux salaires horaires de 17 à 20 $ de plus en plus courants dans les grandes régions métropolitaines américaines. Cela permet aux exploitants canadiens de maintenir des prix plus compétitifs tout en préservant les marges.
L’innovation dans les menus joue également un rôle dans la résilience du marché canadien. Tim Hortons a réussi à s’étendre au-delà de ses origines café-et-beigne avec des articles de petit-déjeuner axés sur les protéines et des options de déjeuner, capturant plusieurs moments de la journée. De même, A&W Canada s’est différencié avec un marketing axé sur les ingrédients mettant en avant le bœuf sans hormones et d’autres ingrédients de qualité.
« Les chaînes canadiennes ont été particulièrement habiles à créer un positionnement distinct qui résonne avec les valeurs locales », observe Robert Carter, associé directeur chez The StratonHunter Group, un cabinet de conseil torontois spécialisé dans l’industrie alimentaire. « Qu’il s’agisse de la connexion communautaire de Tim Hortons ou de la narration autour des ingrédients d’A&W, ces marques ont façonné des identités qui transcendent les simples relations basées sur les transactions. »
La distribution géographique des centres de population canadiens crée également des conditions favorables pour les opérateurs de restauration rapide. Avec environ 72 % des Canadiens vivant à moins de 150 kilomètres de la frontière américaine, les chaînes bénéficient d’une densité de marché groupée qui rationalise les chaînes d’approvisionnement et l’efficacité opérationnelle.
Cependant, des défis se profilent à l’horizon pour le secteur de la restauration rapide canadien. Les récents changements apportés aux programmes de travailleurs étrangers temporaires ont créé des pressions de dotation pour de nombreux exploitants. De plus, les prochaines réglementations sur les plastiques à usage unique nécessiteront des ajustements opérationnels importants dans l’ensemble de l’industrie.
« Bien que le marché canadien montre une résilience impressionnante maintenant, nous sommes prudents concernant le second semestre 2024 », a déclaré Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « Les habitudes de dépenses des consommateurs sont généralement en retard par rapport aux indicateurs économiques plus larges, et nous pourrions voir une réaction retardée aux défis persistants d’abordabilité du logement et aux taux d’intérêt élevés. »
Les récentes baisses de taux de la Banque du Canada pourraient fournir des vents favorables supplémentaires pour le secteur si elles se traduisent par une augmentation des dépenses discrétionnaires. Cependant, les niveaux d’endettement des ménages restent à des sommets historiques, le ménage canadien moyen portant environ 1,83 $ de dette pour chaque dollar de revenu disponible.
Pour les investisseurs et les observateurs de l’industrie, le marché canadien de la restauration rapide offre une étude de cas intéressante sur la façon dont les facteurs culturels, les programmes de fidélité et l’adaptabilité opérationnelle peuvent parfois surmonter les vents économiques traditionnels contraires. Alors que les deux pays naviguent sur un terrain économique incertain en 2024, cette divergence peut fournir des informations précieuses sur la psychologie des consommateurs et la résilience des dépenses qui s’étendent bien au-delà de la voie du service au volant.