L’industrie sidérurgique canadienne observe avec appréhension le dévoilement du budget fédéral la semaine prochaine. Après des mois d’intenses efforts de lobbying, le secteur espère qu’Ottawa mettra enfin en œuvre une politique d’approvisionnement « Achetez canadien » pour l’acier – une mesure qui pourrait offrir un soutien désespérément nécessaire aux producteurs nationaux aux prises avec la concurrence mondiale et les difficultés économiques.
« Le gouvernement a une occasion extraordinaire de soutenir les emplois et la fabrication canadienne avec un simple changement de politique », affirme Catherine Cobden, présidente de l’Association canadienne des producteurs d’acier. « Lorsque l’argent des contribuables finance les infrastructures, il devrait privilégier l’acier canadien qui respecte nos normes environnementales et soutient les communautés partout au pays. »
L’appel de l’industrie sidérurgique survient dans un contexte difficile. ArcelorMittal Dofasco à Hamilton a récemment mis en veille un haut fourneau, tandis qu’Algoma Steel à Sault Ste. Marie connaît des volumes de production fluctuants alors que les prix mondiaux de l’acier demeurent volatils et que les importations continuent d’inonder les marchés nord-américains.
La politique d’approvisionnement proposée refléterait des mesures protectionnistes américaines similaires qui confèrent aux producteurs américains un avantage concurrentiel depuis des décennies. Au sud de la frontière, le « Buy American Act » exige que les projets fédéraux s’approvisionnent en acier et produits manufacturés nationaux, avec des exceptions limitées. Pendant ce temps, les producteurs canadiens doivent rivaliser non seulement avec les aciéries américaines, mais aussi avec l’acier moins cher provenant de pays aux réglementations environnementales moins strictes.
« Nous ne demandons pas d’aumônes, seulement des règles du jeu équitables », explique Alan Kestenbaum, PDG de Stelco Holdings. « Lorsque nous sommes en concurrence équitable, l’acier canadien est de classe mondiale tant en qualité qu’en durabilité. »
L’analyse sectorielle de la Banque du Canada suggère que des secteurs manufacturiers comme l’acier font face à de multiples défis au-delà des politiques d’approvisionnement. Les taux d’intérêt, bien qu’en baisse, ont freiné l’activité de construction, un consommateur clé de produits sidérurgiques. Le ralentissement immobilier a particulièrement nui à la demande d’acier de structure, tandis que la production automobile reste inférieure aux niveaux d’avant la pandémie malgré les récents investissements dans la fabrication de véhicules électriques.
Les données de Statistique Canada montrent que les importations d’acier ont augmenté de 12 % d’une année sur l’autre, avec des volumes importants provenant de pays aux réglementations carbone moins rigoureuses. Cela crée ce que les initiés de l’industrie appellent une « fuite de carbone » – où la production se déplace vers des régions aux normes environnementales plus souples, augmentant potentiellement les émissions mondiales tout en nuisant aux producteurs canadiens.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a laissé entrevoir des mesures pour renforcer la fabrication canadienne dans le prochain budget. Lors d’une récente visite d’installations industrielles à Hamilton, elle a reconnu les préoccupations de l’industrie sidérurgique, mais a prévenu que toute politique devrait équilibrer les préférences d’approvisionnement avec les obligations commerciales internationales du Canada.
« Nous comprenons l’importance stratégique de maintenir une production sidérurgique nationale forte », a déclaré Freeland aux journalistes. « Mais nous devons élaborer des politiques qui fonctionnent dans nos cadres commerciaux tout en soutenant l’industrie canadienne. »
Les experts commerciaux préviennent que la mise en œuvre d’une politique stricte « Achetez canadien » n’est pas sans complications. L’obstacle le plus important réside dans les accords commerciaux du Canada, notamment l’ACEUM (successeur de l’ALENA), qui limite la capacité du gouvernement à discriminer les fournisseurs étrangers dans les processus d’approvisionnement.
« Le gouvernement devra naviguer avec prudence pour éviter les différends commerciaux », explique Debra Steger, ancienne membre de l’Organe d’appel de l’OMC et professeure à l’Université d’Ottawa. « Il existe des façons de structurer l’approvisionnement pour favoriser la production nationale sans violer explicitement les accords commerciaux, mais cela nécessite une conception politique minutieuse. »
À quoi pourrait ressembler une telle politique? Les propositions de l’industrie suggèrent d’exiger certains pourcentages d’acier canadien dans les projets d’infrastructure fédéraux, de mettre en œuvre des évaluations du cycle de vie du carbone qui favoriseraient la production nationale à faibles émissions, ou de créer des systèmes d’appels d’offres préférentiels qui accordent des points supplémentaires aux propositions utilisant des matériaux canadiens.
Au-delà des politiques d’approvisionnement, les dirigeants sidérurgiques soulignent d’autres défis nécessitant une attention particulière. Les coûts énergétiques restent significativement plus élevés en Ontario par rapport aux juridictions concurrentes aux États-Unis, exerçant une pression supplémentaire sur les fabricants. Le système de tarification du carbone, bien que soutenu en principe par de nombreux producteurs, crée des pressions immédiates sur les coûts que les concurrents étrangers n’ont souvent pas à supporter.
« Achetez canadien est crucial, mais ce n’est qu’une pièce d’un casse-tête plus vaste », note Mark Bula, directeur commercial d’un transformateur d’acier ontarien de taille moyenne. « Nous avons besoin d’une stratégie industrielle complète qui aborde les coûts énergétiques, les fardeaux réglementaires et le soutien à l’innovation. »
Les travailleurs sur le terrain ressentent vivement cette incertitude. Dans les villes sidérurgiques comme Hamilton et Sault Ste. Marie, des générations de familles ont compté sur les emplois dans les aciéries qui fournissent des salaires et des avantages sociaux de classe moyenne. Les récentes réductions de production ont suscité des inquiétudes quant à la viabilité à long terme.
« Les gens sont inquiets », affirme Mario Oliveira, sidérurgiste de troisième génération chez ArcelorMittal Dofasco. « Nous avons traversé des ralentissements auparavant, mais celui-ci semble différent avec toutes les importations et l’évolution des marchés. Nous avons besoin que le gouvernement nous soutienne. »
L’industrie sidérurgique souligne ses progrès environnementaux comme une autre raison de favoriser la production nationale. Selon les données de l’industrie, les producteurs canadiens ont réduit l’intensité des émissions d’environ 25 % depuis les années 1990, avec d’importants investissements prévus pour une décarbonation accrue. Le projet de four à arc électrique d’Algoma Steel, d’une valeur de 700 millions de dollars, représente l’un des investissements climatiques industriels les plus importants du Canada.
Reste à voir si ces arguments convaincront le gouvernement. Les observateurs du budget suggèrent qu’une forme de préférence d’approvisionnement est probable, mais les détails détermineront son efficacité. Avec le déclin de l’emploi manufacturier dans les régions industrielles traditionnelles, la pression politique pour agir s’est intensifiée.
À l’approche du jour du budget, les dirigeants sidérurgiques continuent de plaider leur cause. Ils soutiennent qu’une industrie sidérurgique nationale forte n’est pas seulement une question d’emplois, mais aussi de sécurité nationale, de résilience des infrastructures et d’objectifs climatiques. On saura bientôt si Ottawa livrera la politique d’approvisionnement qu’ils recherchent—et si celle-ci sera suffisante pour relever les défis plus larges de l’industrie.
Pour les communautés bâties autour de la production d’acier, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Leur avenir pourrait dépendre de si l’acier canadien devient le matériau de choix pour construire l’avenir de la nation.