À l’approche du sommet du G7 à Muskoka, le Canada positionne l’éducation comme la pierre angulaire des efforts internationaux pour la paix et le développement. Après avoir suivi pendant trois semaines les préparatifs diplomatiques dans les capitales européennes et à Washington, j’ai pu constater de première main comment l’éducation est devenue la priorité signature du Canada pour les discussions à venir.
« L’éducation sert à la fois de mesure préventive contre les conflits et de mécanisme de récupération après ceux-ci, » explique Jean Lebel, président du Centre de recherches pour le développement international du Canada, lors de notre rencontre au siège d’Ottawa. « Ce que nous observons est un changement stratégique dans la façon dont les puissances du G7 abordent le renforcement de la stabilité dans les régions fragiles. »
L’initiative canadienne cherche à obtenir 3,8 milliards de dollars d’engagements des nations du G7 pour financer des programmes éducatifs dans les zones de conflit et les régions en développement. Cela représente une augmentation significative par rapport aux précédents financements de l’éducation, qui ont historiquement été éclipsés par les préoccupations sécuritaires et économiques lors des sommets de haut niveau.
La proposition arrive à un moment critique. Les données de l’UNESCO montrent que 222 millions d’enfants et de jeunes touchés par des crises ont un besoin urgent de soutien éducatif. Parmi eux, 78 millions sont totalement déscolarisés, tandis que d’autres reçoivent une instruction irrégulière ou inadéquate.
En parcourant le camp de réfugiés de Za’atari en Jordanie le mois dernier, j’ai été témoin de la réalité humaine derrière ces statistiques. Des salles de classe improvisées fonctionnent dans des conteneurs maritimes convertis, où des enfants réfugiés syriens étudient les mathématiques et les langues pendant que des conseillers en traumatisme travaillent dans des espaces adjacents.
« L’éducation ne consiste pas seulement à apprendre à lire et à écrire; il s’agit de reconstruire l’identité et de créer des voies vers la stabilité, » a déclaré Fatima al-Hassan, qui coordonne les programmes éducatifs dans le camp. « Sans cette structure, nous perdons une autre génération au désespoir. »
La proposition canadienne met l’accent sur trois domaines clés: l’éducation dans les situations d’urgence, l’éducation des filles et la formation professionnelle alignée sur le développement économique. Chaque composante aborde différentes dimensions de la prévention des conflits et de la reconstruction post-conflit.
Les analyses de la Banque mondiale suggèrent que chaque année supplémentaire de scolarité augmente les revenus d’une personne d’environ 10 pour cent tout en réduisant sa probabilité de participer à un conflit violent. Ces avantages économiques s’étendent au-delà des individus, renforçant la résilience communautaire contre le recrutement extrémiste et l’instabilité politique.
« Le retour sur investissement pour le financement de l’éducation est extraordinaire, » note Stephen Brown, professeur de science politique à l’Université d’Ottawa. « Pour chaque dollar dépensé dans une éducation de qualité dans les zones de conflit, nous observons environ 15 dollars en retombées économiques et en économies de réduction des conflits. »
Les critiques se demandent si les initiatives éducatives reçoivent une protection suffisante dans les zones de conflit actif. Lors de mon récent reportage dans l’est de l’Ukraine, j’ai observé des écoles fonctionnant dans des sous-sols pour éviter les bombardements, avec des enseignants qui continuent leurs leçons malgré les sirènes d’alerte aérienne et les fréquentes coupures de courant.
La proposition du G7 répond à ces préoccupations en allouant 30% du financement spécifiquement aux mesures de protection de l’éducation, y compris le renforcement des infrastructures physiques, les alternatives d’apprentissage numérique et les protocoles de sécurité des enseignants.
L’accent mis par le Canada sur l’éducation marque une rupture avec les priorités précédentes du G7, qui se concentraient souvent sur la réponse immédiate aux crises plutôt que sur la construction de la stabilité à long terme. Ce changement reflète une reconnaissance croissante parmi les experts en sécurité que les vides éducatifs créent un terrain fertile pour les conflits.
« Lorsque les systèmes éducatifs s’effondrent, les groupes extrémistes interviennent souvent avec leurs propres écoles et récits, » explique Amanda Klasing de Human Rights Watch, que j’ai interviewée à Genève. « Nous avons observé ce schéma de l’Afghanistan à certaines régions d’Afrique de l’Ouest. »
L’initiative fait face à des vents politiques contraires. Plusieurs nations du G7, dont l’Allemagne et l’Italie, subissent des pressions budgétaires nationales qui compliquent les nouveaux engagements internationaux. Lors de rencontres avec des responsables allemands à Berlin, j’ai perçu des préoccupations concernant l’équilibre entre les coûts d’éducation des réfugiés à domicile et les obligations internationales.
Les ministres des Finances réunis lors des sessions préliminaires ont débattu de mécanismes de financement innovants, notamment des obligations éducatives et des partenariats avec le secteur privé, pour combler les écarts potentiels entre les engagements et les besoins.
« Nous ne demandons pas seulement une aide traditionnelle, » a expliqué le ministre canadien du Développement international lors d’un point de presse auquel j’ai assisté à Ottawa. « Nous créons une architecture de financement durable qui mobilise des capitaux privés aux côtés de fonds publics. »
La proposition canadienne a gagné un soutien inattendu des établissements militaires. Au siège de l’OTAN à Bruxelles, les analystes de la défense considèrent de plus en plus le financement de l’éducation comme complémentaire aux opérations de sécurité.
« Les opérations militaires s’attaquent aux menaces immédiates, mais l’éducation empêche l’émergence de nouvelles, » m’a confié un haut responsable de la planification stratégique de l’OTAN, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat en raison des sensibilités diplomatiques. « Il est beaucoup moins coûteux de financer des écoles maintenant que des opérations militaires plus tard. »
Alors que les dirigeants mondiaux se préparent à se réunir, les défenseurs de l’éducation restent prudemment optimistes. Le fonds L’éducation ne peut attendre, qui coordonne l’éducation mondiale dans les situations d’urgence, a documenté des interventions réussies dans 44 pays touchés par des crises, démontrant que des progrès sont possibles même dans les environnements les plus difficiles.
Le résultat du sommet indiquera si les nations du G7 sont vraiment engagées à s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité mondiale plutôt que de simplement répondre aux crises après leur émergence. Pour des millions d’enfants dans les zones de conflit, la différence pourrait déterminer si leur avenir inclut des opportunités au-delà de la violence et du déplacement.
L’agenda de paix et de prospérité que le Canada défend commence dans des salles de classe loin des lacs immaculés de Muskoka – une réalité qui mettra à l’épreuve la substance du sommet au-delà des déclarations diplomatiques.