L’ancienne manufacture de briques à la périphérie du quartier Mount Pleasant de Vancouver ne semble pas révolutionnaire de l’extérieur. Mais à l’intérieur, la chimiste Suzanne Siemens et sa petite équipe repensent ce que peuvent être les produits menstruels au 21e siècle.
« Nous avons commencé par une simple question, » me confie Siemens alors que nous visitons l’espace de fabrication lumineux d’Aisle. « Pourquoi utilisons-nous encore des produits menstruels conçus dans les années 1930 alors que tout le reste dans nos vies a évolué? »
Cette question a alimenté une révolution menée par des Canadiens dans le domaine des produits menstruels qui prend de l’ampleur partout en Amérique du Nord. Ce qui a commencé comme un mouvement marginal s’est transformé en un segment industriel de 2 milliards de dollars, avec des entreprises canadiennes à la tête de l’innovation en matière d’alternatives durables et sans danger pour le corps aux tampons et serviettes traditionnels.
Lorsque j’ai fait mon premier reportage sur les produits menstruels il y a une décennie, les options se limitaient aux produits jetables avec lesquels la plupart d’entre nous avons grandi. Aujourd’hui, les coupes menstruelles, les culottes menstruelles et les serviettes réutilisables sont passées des boutiques de santé alternative aux détaillants grand public comme London Drugs, Shoppers Drug Mart et même Costco.
Ce changement reflète l’évolution des priorités des consommateurs en matière de durabilité et de préoccupations sanitaires. Santé Canada estime que les Canadiens jettent environ 770 millions de produits menstruels chaque année, créant près de 200 000 tonnes de déchets d’enfouissement qui peuvent mettre des siècles à se décomposer.
« Une personne menstruée moyenne utilise plus de 11 000 produits jetables au cours de sa vie, » explique Dr. Anna Reid, médecin basée à Vancouver qui étudie les impacts sur la santé environnementale. « Nous comprenons de plus en plus le lien entre la santé planétaire et la santé humaine, et les produits menstruels représentent une opportunité significative de réduire les déchets. »
Les entreprises canadiennes répondent à cet appel avec une innovation impressionnante. Les culottes menstruelles réutilisables d’Aisle peuvent absorber jusqu’à l’équivalent de quatre tampons. Nixit, basée à Toronto, propose un disque menstruel taille unique qui ne crée aucun déchet. Pendant ce temps, The Eco Well, fondée à Edmonton, a développé des applicateurs de tampons biodégradables qui se décomposent dans le compost de jardin en six mois.
Au-delà des préoccupations environnementales, les considérations de santé motivent ce changement. Des études récentes menées par Défense environnementale Canada ont révélé la présence de produits chimiques potentiellement nocifs, notamment des phtalates, des résidus de pesticides et des composés de parfum non divulgués dans les produits menstruels jetables grand public. Comme les produits menstruels sont classés comme dispositifs médicaux, les fabricants ne sont pas tenus de divulguer leurs ingrédients.
« Les consommateurs posent davantage de questions sur ce qui se trouve réellement dans ces produits qui sont en contact avec certains des tissus les plus absorbants du corps pendant des décennies de leur vie, » explique Sherry Tran, chercheuse en santé reproductive à l’UBC. « La muqueuse vaginale absorbe les produits chimiques plus facilement que la peau externe, donc la composition de ces produits est importante. »
Cette prise de conscience a créé des opportunités pour les entrepreneurs canadiens. À Kelowna, j’ai rencontré Jillian Leigh, fondatrice de Selene Cups, qui a quitté sa carrière d’ingénieure pour développer une coupe menstruelle plus anatomiquement correcte après avoir éprouvé de l’inconfort avec les options existantes.
« J’ai littéralement pris des moulages en plâtre de différents canaux vaginaux avec l’aide de professionnels de la santé pour comprendre les véritables variations anatomiques, » explique Leigh en me montrant des prototypes dans sa petite installation de fabrication. « L’approche taille unique ne fonctionne pas pour la plupart des morphologies. »
Son attention à la diversité anatomique a porté ses fruits. Selene exporte maintenant vers 12 pays, et Leigh a récemment obtenu un investissement de 1,5 million de dollars pour développer ses opérations après être apparue à l’émission Dragons’ Den.
Ce qui est particulièrement frappant dans cette transformation de l’industrie, c’est qu’elle est menée par des femmes et des entrepreneurs de genre diversifié. Selon un rapport de 2023 du Centre d’entreprise des femmes, 72 % des startups canadiennes de produits menstruels ont des fondatrices, comparativement à seulement 16 % des startups en général.
« Il y a quelque chose de puissant à avoir des produits conçus par les personnes qui les utilisent réellement, » déclare Rachael Newton, qui a fondé son entreprise de culottes menstruelles Period Aisle à Victoria après avoir vu des jeunes sans-abri lutter pour accéder aux produits menstruels. « Pendant trop longtemps, de grandes entreprises ont dominé cet espace sans beaucoup d’innovation ou de considération pour différents besoins. »
Le mouvement a également suscité d’importantes conversations sur la précarité menstruelle. Un sondage de Plan International Canada en 2022 a révélé que 23 % des personnes menstruées canadiennes ont eu du mal à se permettre des produits menstruels à un moment donné—un chiffre qui grimpe à 34 % parmi les répondants autochtones et à 38 % pour ceux vivant avec un handicap.
La Colombie-Britannique est devenue la première province à exiger des produits menstruels gratuits dans toutes les écoles publiques en 2019. La Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et l’Ontario ont depuis mis en œuvre des programmes similaires, tandis que la législation fédérale a supprimé la TPS sur les produits menstruels en 2015.
« L’accès aux produits menstruels est une question de dignité et d’équité, » explique Sophia Mathur, directrice du plaidoyer chez Period Parity, une organisation nationale travaillant à mettre fin à la précarité menstruelle. « L’innovation qui se produit dans ce domaine est passionnante, mais nous devons nous assurer que ces produits sont accessibles à tous ceux qui en ont besoin. »
Alors que l’intérêt des consommateurs grandit, les grands détaillants prennent note. Loblaw Companies Limited a récemment augmenté de 300 % son espace de rayonnage pour les produits menstruels réutilisables dans ses magasins à l’échelle nationale, tandis que Canadian Tire a acquis une participation minoritaire dans LunaPads, fabricant calgarien de serviettes réutilisables, l’année dernière.
À l’Expo Manger Santé et Vivre Vert de Montréal, j’ai été témoin de l’enthousiasme pour ces produits. Des centaines de participants se pressaient aux stands présentant les dernières innovations en matière de soins menstruels durables, beaucoup exprimant leur surprise quant aux progrès de la technologie.
« Je pensais que ces trucs n’étaient que pour les hippies, » rit Monique Tremblay, une enseignante de 54 ans que j’ai rencontrée à l’expo. « Mais ma fille m’a convaincue d’essayer une coupe menstruelle, et je n’arrive pas à croire que j’ai passé des décennies à utiliser des tampons. C’est tellement mieux. »
L’innovation continue. Plusieurs universités canadiennes ont maintenant des partenariats de recherche avec des entreprises de produits menstruels. À la Zone biomédicale de l’Université Ryerson, des chercheurs développent des sous-vêtements menstruels intelligents qui peuvent suivre le volume du flux et détecter des problèmes de santé potentiels grâce à l’analyse des fluides.
« Nous commençons seulement à comprendre ce qui est possible quand nous investissons réellement dans la réimagination des produits que la moitié de la population utilise régulièrement, » affirme Dr. Mei Lin, qui dirige l’équipe de recherche.
En terminant ma visite dans les installations d’Aisle, Siemens me montre leur plus récent prototype—une serviette réutilisable entièrement fabriquée à partir de plastique océanique récupéré qui se biodégrade après cinq ans d’utilisation.
« Il y a vingt ans, les gens pensaient que nous étions étranges, » dit-elle avec un sourire. « Maintenant, nous faisons partie d’un mouvement mondial qui crée de meilleures options pour les corps et la planète. Ça fait du bien. »
Dans la révolution tranquille des produits menstruels, le Canada a trouvé une position de leadership inattendue—prouvant que parfois, l’innovation la plus significative commence par remettre en question les aspects les plus fondamentaux de la vie quotidienne.