Hier soir, en parcourant les dernières données sur mon écran, j’ai ressenti ce malaise familier au creux de l’estomac. Encore un rapport, encore des statistiques qui confirment ce que de nombreux Canadiens constatent déjà dans leur quotidien : l’insécurité alimentaire s’est considérablement aggravée à travers le pays.
Le nouveau Rapport 2025 sur l’insécurité alimentaire au Canada dépeint un tableau préoccupant de notre échec collectif à garantir que les Canadiens puissent accéder régulièrement à une alimentation nutritive. Selon cette évaluation exhaustive, près d’un ménage canadien sur six connaît maintenant une forme d’insécurité alimentaire – représentant les niveaux les plus élevés enregistrés depuis le début du suivi national.
« Nous observons des augmentations alarmantes dans des groupes démographiques que nous ne considérerions pas traditionnellement comme vulnérables, » explique Dre Maya Chaudhry, chercheuse principale à l’Institut de sécurité alimentaire de l’Université de Toronto. « Il ne s’agit plus seulement de chômage – nous parlons de familles qui travaillent et qui doivent faire des choix impossibles entre payer le loyer ou acheter des provisions. »
Les résultats du rapport sont particulièrement frappants dans certaines régions. Le Canada atlantique continue de lutter avec des taux dépassant 20 % à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse, tandis que les centres urbains de l’Ontario et de la Colombie-Britannique montrent des poches croissantes d’insécurité alimentaire grave dans ce qui était autrefois des quartiers de classe moyenne.
En me promenant dans le quartier Parkdale de Toronto la semaine dernière, j’ai discuté avec Diane Matheson, qui dirige une banque alimentaire communautaire qui a vu sa demande augmenter de 43 % depuis 2023. « Nous accueillons des professionnels, des enseignants, des personnes avec de bons emplois qui n’arrivent quand même pas à joindre les deux bouts, » m’a confié Matheson pendant que des bénévoles préparaient des paniers derrière elle. « Les calculs ne fonctionnent tout simplement plus pour de nombreuses familles. »
Les causes détaillées dans le rapport reflètent des forces sociales et économiques complexes. Les coûts du logement ont dépassé la croissance des salaires par près de 3:1 dans les grands centres urbains. Parallèlement, les prix des aliments ont augmenté d’environ 22 % depuis 2022, selon les données de Statistique Canada publiées le mois dernier.
Ce qui rend cette situation particulièrement frustrante, c’est sa contradiction avec la réputation internationale du Canada. Nous demeurons l’un des plus grands exportateurs alimentaires au monde, avec des exportations agricoles évaluées à 92,3 milliards de dollars l’an dernier selon Agriculture et Agroalimentaire Canada. Le décalage entre notre capacité de production alimentaire et la faim domestique représente un profond échec politique.
« Il ne s’agit pas de pénurie alimentaire – il s’agit de pauvreté, » insiste Olivier Larocque, directeur des politiques chez Sécurité Alimentaire Canada. Lors de notre conversation téléphonique hier, Larocque a souligné que la Politique alimentaire nationale tant vantée par le gouvernement fédéral n’a pas réussi à s’attaquer aux causes profondes. « Nous avons vu des programmes pilotes et des annonces, mais aucun changement fondamental dans notre approche de la réduction de la pauvreté comme clé de la sécurité alimentaire. »
Le plus inquiétant est peut-être la façon dont l’insécurité alimentaire s’est discrètement normalisée dans la société canadienne. Les banques alimentaires, initialement créées comme mesures d’urgence temporaires dans les années 1980, sont devenues des installations permanentes dans nos communautés. La Banque alimentaire du Grand Vancouver sert maintenant plus de 30 000 personnes par semaine – une augmentation de 28 % par rapport à il y a seulement deux ans.
Le rapport met également en évidence des disparités selon les lignes raciales et autochtones. Les taux d’insécurité alimentaire parmi les communautés autochtones restent obstinément élevés à environ 31 %, tandis que les Canadiens noirs connaissent des taux presque deux fois supérieurs à la moyenne nationale. Ces statistiques reflètent des inégalités structurelles profondes qui persistent malgré des décennies de sensibilisation.
Lors d’un forum communautaire à Winnipeg le mois dernier, j’ai été témoin du fardeau émotionnel de l’insécurité alimentaire. Melissa Starr, mère célibataire de deux enfants travaillant à temps plein comme préposée aux services de soutien à la personne, a décrit la honte qu’elle a ressentie en utilisant une banque alimentaire pour la première fois. « Je n’aurais jamais pensé me retrouver dans cette situation. Je travaille dur, je fais attention à mon budget, mais tout devient de plus en plus cher alors que mon salaire reste le même. »
Les réponses provinciales à la crise varient considérablement. Les programmes sociaux plus robustes du Québec ont contribué à maintenir des taux d’insécurité alimentaire plus bas (environ 11 %), tandis que l’Alberta et l’Ontario ont connu de fortes augmentations suite aux modifications des programmes d’aide sociale. Cette approche en patchwork souligne le besoin d’une action nationale coordonnée.
Certaines communautés n’attendent pas l’action gouvernementale. À Halifax, la coopérative d’épicerie communautaire du North End a créé un modèle alternatif qui répond à la fois aux besoins alimentaires immédiats et renforce les capacités communautaires à long terme. « Nous allons au-delà du modèle caritatif, » explique le cofondateur Jamal Thompson. « Nos membres participent à la gestion du magasin, nous nous approvisionnons localement quand c’est possible, et nous avons créé un système de paiement à échelle variable qui fonctionne étonnamment bien. »
Les experts en santé avertissent que l’insécurité alimentaire continue créera des conséquences à long terme sur la santé publique. La Dre Elena Kuznetsova de l’Université McMaster a documenté des liens clairs entre l’insécurité alimentaire et l’augmentation des taux de maladies chroniques, de problèmes de santé mentale et de défis développementaux chez les enfants. « Quand les familles ne peuvent pas se permettre une alimentation nutritive, nous observons les impacts sur la santé pendant des générations, » m’a-t-elle confié lors d’un récent symposium de recherche.
Les réponses politiques au rapport ont été prévisiblement divisées. Le gouvernement fédéral souligne les programmes existants comme l’Allocation canadienne pour enfants et la Stratégie nationale sur le logement comme éléments de leur approche. Les critiques de l’opposition soutiennent que ces mesures se sont clairement avérées insuffisantes compte tenu de l’aggravation des statistiques.
Alors que les Canadiens se préparent à une possible élection fédérale l’année prochaine, les défenseurs de la sécurité alimentaire travaillent pour s’assurer que ces enjeux demeurent au centre des plateformes politiques. La question reste de savoir si les électeurs exigeront des actions substantielles ou accepteront les banques alimentaires et la faim comme caractéristiques permanentes de la société canadienne.
Pour des millions de Canadiens, il ne s’agit pas de débats politiques abstraits mais de réalités quotidiennes. À l’approche de l’hiver, de nombreuses familles feront face à des choix encore plus difficiles entre chauffer leur maison ou remplir leur réfrigérateur. Notre échec national en matière de sécurité alimentaire représente non seulement un défi politique mais aussi un défi moral – dans un pays d’abondance, comment pouvons-nous accepter que tant de personnes vivent dans le besoin?