Le rituel matinal de vérifier la boîte aux lettres pourrait bientôt devenir moins prévisible pour les Canadiens, car les travailleurs des postes à travers le pays ont commencé à refuser les heures supplémentaires hier, intensifiant leur conflit de travail avec Postes Canada.
Les membres du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) ont mis en œuvre l’interdiction des heures supplémentaires après que les négociations pour une nouvelle convention collective aient atteint une impasse, laissant des milliers de foyers s’interroger sur d’éventuels retards de livraison pour tout, des colis aux chèques gouvernementaux.
« Nous ne voulions pas prendre cette mesure, mais la direction ne nous a laissé que peu d’options, » a déclaré Jean-Philippe Grenier, président national du STTP, s’adressant aux journalistes devant le siège du syndicat à Ottawa. « Nos membres sont déjà épuisés, travaillant un nombre d’heures excessif alors que la société refuse de résoudre les pénuries critiques de personnel. »
Le syndicat, qui représente environ 55 000 travailleurs des postes, est sans contrat depuis janvier, et les négociations deviennent de plus en plus tendues concernant les questions de charge de travail, de sécurité d’emploi et de salaires qui n’ont pas suivi l’inflation.
Au centre de tri de Nepean, la factrice Amrita Singh a décrit la lutte quotidienne que les travailleurs affrontent. « Je fais régulièrement des journées de 10 heures juste pour finir mes tournées, » a-t-elle dit en organisant ses livraisons du matin. « Nous ne demandons pas la lune ici—juste des conditions de travail équitables et assez de personnel pour gérer le volume. »
Le porte-parole de Postes Canada, Michael Robertson, a répliqué que la société a fait des « offres raisonnables » pendant les négociations et a averti que l’interdiction des heures supplémentaires créerait d’importants arriérés, particulièrement dans les communautés rurales et pendant les périodes de fort volume.
« Cette action aura malheureusement un impact sur les Canadiens qui dépendent de la livraison du courrier en temps opportun, » a déclaré Robertson dans un communiqué publié par le bureau des relations médias de Postes Canada. « Nous restons déterminés à parvenir à un accord qui équilibre les besoins de nos employés, de nos clients et la viabilité financière de la société. »
Selon les données du Programme du travail fédéral, les travailleurs des postes ont vu leurs salaires réels diminuer d’environ 8 % depuis 2019 en tenant compte de l’inflation, tandis que les volumes de colis ont augmenté de 23 % au cours de la même période, stimulés par l’essor du commerce électronique qui s’est accéléré pendant la pandémie.
Le conflit survient à un moment difficile pour Postes Canada, qui a déclaré une perte d’exploitation de 491 millions de dollars au cours de son dernier trimestre, citant une concurrence accrue des services de messagerie privés et la hausse des coûts opérationnels. La société d’État a mis en œuvre une « stratégie de modernisation » que le syndicat affirme privilégier la réduction des coûts au détriment de la qualité du service et du bien-être des travailleurs.
Emily Rocha, propriétaire d’une petite entreprise à Halifax qui expédie des bijoux faits main via Postes Canada, s’inquiète de l’impact sur ses moyens de subsistance. « Près de 80 % de mes ventes passent par la poste, » a-t-elle expliqué. « Même quelques jours de retard peuvent signifier des clients mécontents et des critiques négatives qui nuisent à mon entreprise. »
Le gouvernement fédéral a jusqu’à présent adopté une approche non interventionniste face au conflit. La ministre du Travail, Stella Patrice, a déclaré aux journalistes sur la Colline du Parlement hier qu’elle encourage les deux parties à « travailler ensemble vers une solution qui assure la durabilité de ce service essentiel dont dépendent les Canadiens. »
Ce n’est pas la première fois que les travailleurs des postes utilisent une interdiction des heures supplémentaires comme tactique de pression. Une stratégie similaire en 2018 avait précédé des grèves tournantes qui ont finalement conduit à une législation de retour au travail—une mesure qui a été jugée inconstitutionnelle par la Cour fédérale.
L’opinion publique semble partagée sur l’action syndicale actuelle. Un récent sondage Angus Reid a révélé que si 62 % des Canadiens sympathisent avec les préoccupations des travailleurs des postes concernant les conditions de travail, 54 % s’inquiètent des perturbations du service postal, particulièrement parmi les aînés et ceux des communautés rurales qui dépendent davantage du courrier physique.
« La façon dont nous communiquons et recevons des biens a considérablement changé, mais l’importance d’un service postal fiable n’a pas changé, » a noté Dr. Melissa Jiang, experte en relations de travail à l’Université de Toronto. « Ce conflit reflète des tensions plus larges entre les services publics traditionnels qui s’adaptent aux économies numériques tout en maintenant des conditions de travail équitables. »
Pour l’instant, le courrier continuera d’être livré, bien que Postes Canada prévienne que sans heures supplémentaires, certaines régions pourraient voir des horaires de livraison irréguliers et des retards potentiels de 1 à 3 jours ouvrables pour le courrier standard et les colis.
L’interdiction des heures supplémentaires est prévue pour se poursuivre indéfiniment alors que les deux parties retournent à la table des négociations la semaine prochaine. Si un accord n’est pas conclu, le syndicat n’a pas exclu d’intensifier vers des grèves tournantes complètes d’ici début juin.
Alors que les Canadiens vérifient leurs boîtes aux lettres dans les semaines à venir, ils seront témoins de première main de l’équilibre délicat entre les droits du travail et le service public—une tension qui continue de définir le système postal du Canada alors qu’il navigue à travers les défis de l’économie moderne.