Je me tenais au fond de la classe, observant des adolescents qui partageaient des vapoteuses entre les cours dans un lycée de l’Est de Vancouver. Le doux parfum de framboise bleue et de mangue flottait dans l’air. Une jeune fille de 15 ans avec un appareil dentaire a croisé mon regard et a rapidement glissé quelque chose dans sa poche.
« Ça goûte comme des bonbons, » m’a-t-elle confié plus tard, après que je lui ai expliqué que j’étais journaliste. « Mes parents ne savent même pas que je vapote. Ils pensent que c’est juste un truc que les gens font aux fêtes. »
Cette scène est devenue de plus en plus courante dans les écoles canadiennes, où les taux de vapotage chez les jeunes ont grimpé en flèche malgré les avertissements sanitaires. Aujourd’hui, une coalition d’organisations de santé renouvelle son appel au gouvernement fédéral pour qu’il mette enfin en œuvre une interdiction complète des produits de vapotage aromatisés, arguant que ces saveurs attrayantes sont un facteur clé de dépendance chez les jeunes.
La Société canadienne du cancer, l’Association pulmonaire du Canada et la Fondation des maladies du cœur se sont unies la semaine dernière pour exhorter Santé Canada à aller de l’avant avec des règlements proposés en 2021 qui limiteraient la plupart des saveurs, ne laissant que le tabac, la menthe et le menthol comme options pour les consommateurs.
« Nous attendons depuis plus de trois ans, » affirme Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. « Chaque jour de retard est un jour de plus où des jeunes sont entraînés vers la dépendance à la nicotine par ces produits aromatisés. »
En me promenant dans un dépanneur du centre-ville de Vancouver le mois dernier, j’ai compté 27 saveurs différentes de vapoteuses jetables, de la « framboise bleue glacée » à la « fraise-pastèque » en passant par la « pêche-mangue ». Les emballages colorés et les images de fruits semblaient conçus pour attirer les jeunes consommateurs, malgré les règlements interdisant la commercialisation auprès des jeunes.
Cette pression survient alors que les preuves des impacts sanitaires du vapotage s’accumulent. Une recherche publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne a révélé que les jeunes qui vapotent sont quatre fois plus susceptibles de commencer à fumer des cigarettes traditionnelles. Parallèlement, des médecins de tout le pays signalent des adolescents souffrant de problèmes respiratoires potentiellement liés au vapotage.
La Dre Erin Beardsmore, pneumologue à l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, m’a confié avoir traité des patients dès l’âge de 13 ans présentant des difficultés respiratoires inexpliquées dont le seul facteur de risque était le vapotage.
« Certains de ces jeunes vapotent l’équivalent d’un paquet de cigarettes par jour en nicotine, mais ils n’en ont aucune idée, » m’a-t-elle expliqué alors que nous traversions le laboratoire de fonction pulmonaire de l’hôpital. « Les saveurs masquent l’âpreté, facilitant une inhalation profonde et continue. »
Les représentants de l’industrie rétorquent que les saveurs aident les fumeurs adultes à se détourner des cigarettes combustibles plus nocives. L’Association canadienne de vapotage a fait valoir qu’une interdiction des saveurs pousserait les consommateurs vers le marché noir ou les ramènerait au tabagisme.
« Les ex-fumeurs adultes rapportent constamment que les saveurs ont été cruciales pour leur sevrage réussi, » déclare Samuel Tam, président de l’association. « Supprimer les saveurs pourrait nuire à la santé publique en éliminant un outil efficace de réduction des méfaits. »
Cependant, les données de Statistique Canada montrent que si 4% des Canadiens âgés de 20 ans et plus déclarent vapoter régulièrement, ce chiffre grimpe à 13% chez les 15-19 ans. Les recherches de Santé Canada indiquent que les saveurs fruitées et dessertées sont particulièrement populaires auprès des jeunes utilisateurs.
Dans la communauté côtière de Prince Rupert, j’ai rencontré Tracy Wilson, une conseillère autochtone pour les jeunes qui a observé la propagation du vapotage dans sa communauté.
« Nos jeunes sont ciblés, » m’a dit Wilson alors que nous étions assis dans son bureau orné d’œuvres traditionnelles. « Les entreprises savent exactement ce qu’elles font avec ces saveurs. Ça rappelle la façon dont le tabac était commercialisé auprès des communautés autochtones historiquement. »
Plusieurs provinces n’ont pas attendu l’action fédérale. La Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et les Territoires du Nord-Ouest ont déjà mis en œuvre des interdictions provinciales de saveurs, tandis que la Colombie-Britannique limite les produits à forte teneur en nicotine aux magasins réservés aux adultes.
Après avoir mis en œuvre son interdiction en 2020, la Nouvelle-Écosse a constaté une baisse significative des taux de vapotage chez les jeunes selon les responsables provinciaux de la santé, bien que les achats transfrontaliers et les ventes au marché noir soient devenus problématiques.
La réglementation proposée par le gouvernement fédéral autoriserait toujours les saveurs de menthe, de menthol et de tabac, ce qui, selon les défenseurs de la santé, ne va pas assez loin. Ils citent des preuves de la Food and Drug Administration américaine montrant que lorsque certaines saveurs sont interdites, les jeunes se tournent simplement vers ce qui reste disponible.
Lors d’une récente visite dans une boutique de vapotage dans le quartier Commercial Drive de Vancouver, j’ai parlé avec Raj Dhaliwal, propriétaire de l’établissement depuis six ans. Il m’a montré un mur de produits aromatisés qui pourraient potentiellement disparaître sous la réglementation proposée.
« Nous vérifions déjà les pièces d’identité religieusement et éduquons nos clients, » a déclaré Dhaliwal, visiblement frustré. « Au lieu d’interdire les saveurs qui aident les fumeurs à arrêter, pourquoi ne pas mieux faire respecter les restrictions d’âge existantes? On a l’impression d’être punis pour les échecs des autres. »
Derrière ce débat se cache un paysage réglementaire complexe. Santé Canada a compétence sur les normes de produits, tandis que les provinces contrôlent la façon dont les produits sont vendus. Cette approche fragmentée a créé des incohérences à travers le pays.
Pour le Dr Nicholas Chadi, pédiatre et spécialiste des dépendances au CHU Sainte-Justine à Montréal, les preuves sanitaires sont claires.
« Les jeunes cerveaux en développement sont particulièrement vulnérables à la dépendance à la nicotine, » a-t-il expliqué lors de notre conversation téléphonique. « La concentration de nicotine dans les produits actuels est alarmante, et les saveurs rendent cette substance addictive plus agréable et attrayante. »
De retour au lycée de Vancouver, j’ai demandé à l’adolescente avec un appareil dentaire si une interdiction des saveurs affecterait ses habitudes de vapotage.
« Probablement, » a-t-elle admis après un moment de réflexion. « J’ai essayé celle à saveur de tabac de mon frère une fois. C’était dégoûtant. »
Alors que les groupes de santé renouvellent leur pression pour une action fédérale, la question demeure de savoir si le Canada suivra des pays comme le Danemark et la Finlande qui ont déjà mis en œuvre des restrictions complètes sur les saveurs, ou continuera avec l’approche réglementaire actuelle que de nombreux défenseurs de la santé jugent inefficace pour protéger les jeunes.
Pour les adolescents que j’ai rencontrés partageant des vapoteuses aux saveurs fruitées entre les cours, les décisions prises à Ottawa semblent lointaines. Mais les implications sanitaires de ces choix politiques pourraient les suivre pendant des décennies.