Un nouveau rapport préoccupant sur l’intimidation chez les jeunes suggère que le Canada fait face à une crise croissante, avec près d’un tiers des élèves déclarant être harcelés régulièrement à l’école. Ces résultats arrivent alors que les provinces peinent à mettre en œuvre des cadres anti-intimidation efficaces dans des systèmes éducatifs déjà fragilisés par les efforts de relance post-pandémique.
Les données, publiées hier par l’Institut canadien pour le bien-être des jeunes, révèlent des tendances troublantes dans toutes les provinces, avec des taux particulièrement élevés dans les centres urbains où 36% des élèves de la 7e à la 12e année déclarent subir de l’intimidation au moins deux fois par mois. Ces chiffres représentent une augmentation de 12% par rapport aux niveaux pré-pandémiques.
« Nous observons une tempête parfaite de facteurs », explique Dr. Mariam Chowdhury, chercheuse principale de l’étude. « L’amplification via les médias sociaux, la réduction de la supervision adulte lors des transitions scolaires et les conséquences émotionnelles de l’isolement pandémique ont créé des conditions où les comportements d’intimidation prospèrent. »
Le rapport souligne comment l’intimidation a évolué au-delà des cours d’école vers les espaces numériques où le harcèlement se poursuit sans relâche après les heures de classe. Près de 65% des incidents signalés comportent désormais une composante de cyberintimidation, rendant l’intervention plus difficile tant pour les éducateurs que pour les parents.
À Ottawa, Jasmine Chen, 14 ans, décrit son expérience: « Ça commence par des commentaires dans les couloirs, mais ça te suit ensuite à la maison sur Instagram ou Snapchat. Les profs nous disent de le signaler, mais rien ne change vraiment, alors la plupart des jeunes essaient de gérer ça tout seuls. »
Les implications financières sont considérables. Les ministères provinciaux de l’Éducation dépensent collectivement environ 267 millions de dollars par année pour des programmes anti-intimidation, mais le rapport suggère qu’une grande partie de ce financement n’atteint pas une mise en œuvre efficace au niveau scolaire. Seulement 22% des écoles sondées ont déclaré disposer de ressources de counseling pleinement dotées pour traiter les incidents d’intimidation.
La ministre de l’Éducation, Carolyn Thompson, a reconnu ces conclusions lors de la conférence de presse d’hier: « Ce rapport confirme ce que de nombreux parents et éducateurs nous disent—nous devons repenser notre approche pour créer des environnements d’apprentissage sécuritaires. Le statu quo ne fonctionne clairement pas. »
Les différences géographiques sont frappantes. Les écoles rurales signalent des taux d’intimidation globalement plus faibles mais présentent des incidents physiques plus graves lorsque l’intimidation se produit. Pendant ce temps, les écoles urbaines luttent contre des modèles plus persistants d’exclusion sociale et de harcèlement en ligne qui s’avèrent difficiles à documenter et à traiter par les voies disciplinaires traditionnelles.
Les élèves autochtones sont ciblés de façon disproportionnée, 41% signalant des expériences d’intimidation contre une moyenne nationale de 31%. Le rapport appelle à des stratégies d’intervention culturellement adaptées, développées en partenariat avec les communautés autochtones.
Des parents comme Michael Okafor de Toronto expriment leur frustration face aux approches actuelles: « L’école a envoyé un dépliant sur la cyberintimidation après que mon fils ait été ciblé dans une conversation de groupe. Ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin de conséquences réelles et d’une prévention efficace. »
Les professionnels de la santé mentale avertissent que les conséquences vont bien au-delà de la détresse immédiate. Dr. Jason Reynolds de l’Association canadienne pour la santé mentale souligne les recherches montrant que les victimes d’intimidation sont trois fois plus susceptibles de développer des troubles anxieux et deux fois plus susceptibles de souffrir de dépression à l’âge adulte.
« Ce que nous voyons en milieu clinique, c’est l’ombre longue de ces expériences, » note Reynolds. « Des jeunes qui portent ces blessures jusque dans leurs années universitaires, leurs relations et même leur fonctionnement professionnel. »
Le rapport arrive alors que le Parlement examine le projet de loi C-309, qui établirait des normes nationales pour suivre et traiter l’intimidation scolaire. Les critiques soutiennent que la législation manque de mécanismes d’application, tandis que les partisans y voient une première étape cruciale vers une réponse nationale coordonnée.
Les réponses provinciales varient considérablement. Le cadre anti-intimidation complet du Québec, mis en œuvre en 2012 et renforcé en 2021, montre des résultats plus prometteurs avec une diminution des incidents signalés de 17% sur cinq ans. D’autres provinces ont eu du mal à égaler ces résultats malgré des intentions politiques similaires.
Les administrateurs scolaires pointent les ressources limitées comme obstacle principal. « Nous savons ce qui fonctionne, » affirme Samantha Wright, directrice d’école à Edmonton. « Une supervision constante, des pratiques réparatrices et un soutien de counseling adéquat. Mais quand nous luttons déjà avec la dotation de base, ces approches spécialisées deviennent des articles de luxe plutôt que des pratiques standard. »
Le rapport recommande une approche à trois niveaux: un investissement immédiat dans les professionnels de la santé mentale en milieu scolaire, une éducation complète à la citoyenneté numérique commençant dès le primaire, et des cadres disciplinaires modernisés qui traitent les comportements tant en personne qu’en ligne.
Les défenseurs des jeunes soulignent l’importance d’impliquer les élèves dans l’élaboration des solutions. « Les adultes continuent de créer des programmes sans nous demander ce qui fonctionne réellement, » déclare Miguel Santos, 17 ans, de Vancouver, qui dirige une initiative de soutien par les pairs dans son école secondaire. « Nous comprenons mieux les dynamiques que quiconque. »
Alors que les ministres provinciaux de l’Éducation se préparent à se réunir le mois prochain à Halifax, l’intimidation des jeunes devrait figurer en bonne place à l’ordre du jour. Reste à voir si ce rapport se traduira par des actions concrètes, mais l’urgence est claire—les jeunes Canadiens méritent des environnements éducatifs où la sécurité est garantie, pas seulement souhaitée.