Dans un jugement décisif qui résonne bien au-delà des cercles juridiques, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la constitutionnalité du système électoral uninominal à un tour au Canada, portant un coup significatif aux défenseurs de la réforme électorale.
Le panel de trois juges a rejeté à l’unanimité la contestation présentée par une coalition d’électeurs et de groupes de défense de la démocratie qui soutenaient que le système actuel viole les droits garantis par la Charte en produisant des parlements qui ne représentent pas proportionnellement les votes des Canadiens.
« Bien que des personnes raisonnables puissent être en désaccord sur les mérites de notre système électoral, la Constitution n’impose pas la représentation proportionnelle, » a écrit le juge David Paciocco dans la décision de 78 pages publiée lundi matin.
J’ai passé la journée d’hier à discuter avec des intervenants de tout l’échiquier politique, et leurs réactions révèlent à quel point cette question touche profondément au sens de l’équité démocratique des Canadiens.
L’affaire, initialement déposée en 2018, contestait la constitutionnalité du système qui régit les élections canadiennes depuis la Confédération. Avec le système uninominal à un tour, le candidat qui reçoit le plus de votes dans chaque circonscription remporte le siège, qu’il obtienne ou non la majorité des votes exprimés.
Dave Meslin, directeur général de Fair Vote Canada, qui a contribué à organiser cette contestation, a exprimé sa profonde déception. « Cette décision confirme essentiellement que notre Constitution permet un système où un parti peut obtenir 100% du pouvoir avec seulement 39% des votes, » m’a-t-il confié lors d’un appel depuis son bureau de Toronto. « C’est une pilule amère à avaler pour de nombreux Canadiens. »
L’affaire reposait substantiellement sur l’article 3 de la Charte, qui garantit le droit de vote à chaque citoyen. Les demandeurs ont fait valoir que ce droit signifie plus que simplement déposer un bulletin de vote – il devrait garantir une représentation significative.
La cour n’était pas d’accord. « Le droit à une représentation efficace n’inclut pas le droit à un système électoral particulier, » a écrit le juge Paciocco, ajoutant que la conception des systèmes électoraux implique « des choix politiques complexes » qui relèvent mieux du Parlement.
Les données d’Élections Canada montrent le décalage mathématique qui a motivé cette contestation. En 2021, les Libéraux ont formé le gouvernement avec 32,6% du vote populaire tout en obtenant 160 sièges (47% du Parlement). Pendant ce temps, le NPD a recueilli 17,8% des votes mais seulement 25 sièges (7,4% du Parlement).
Daniel Westlake, professeur de sciences politiques à l’Université de la Saskatchewan, m’a expliqué que ces résultats sont inhérents au système, et non des défauts. « Le système uninominal à un tour produit traditionnellement des gouvernements majoritaires stables à partir de votes pluralistes. Que ce soit bon ou mauvais est en fin de compte une question politique, pas constitutionnelle. »
Le premier ministre Justin Trudeau, qui avait promis en 2015 que ce serait « la dernière élection fédérale menée sous le système uninominal à un tour » avant d’abandonner la réforme électorale, a refusé tout commentaire direct lorsqu’il a été approché lors d’un événement sans rapport à Mississauga. Son bureau a plus tard publié une déclaration reconnaissant la décision tout en réitérant l’engagement du gouvernement à « renforcer nos institutions démocratiques. »
Le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre, dont le parti bénéficierait probablement du système actuel lors de la prochaine élection selon les sondages récents, a exprimé son soutien à la décision. « Les Canadiens veulent des gouvernements qui sont responsables envers les communautés locales, pas les arrière-boutiques des partis, » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Calgary.
Le NPD, les Verts et le Bloc Québécois – des partis qui gagneraient probablement des sièges sous la représentation proportionnelle – ont exprimé leur déception collective.
Le critique du NPD pour la réforme démocratique, Daniel Blaikie, a souligné l’ironie de la situation. « La Cour dit que notre Constitution n’exige pas un système de vote équitable, ce qui est précisément pourquoi nous avons besoin d’une action législative pour le réparer, » a-t-il déclaré lors d’une entrevue téléphonique depuis sa circonscription de Winnipeg.
Au-delà de la Colline du Parlement, la décision a suscité des conversations dans les centres communautaires et les cafés à travers le pays sur ce que les Canadiens attendent de leur démocratie.
Lors d’une visite à une assemblée publique à Peterborough hier soir, j’ai rencontré des opinions passionnées de la part d’électeurs ordinaires. « J’ai voté à huit élections fédérales et mon vote n’a jamais compté pour élire qui que ce soit, » a déclaré Teresa Mendoza, une enseignante retraitée de 64 ans. « En quoi est-ce démocratique? »
D’autres ont exprimé leur soulagement face à la décision. « Je crains que les systèmes proportionnels ne donnent trop de pouvoir aux partis marginaux, » a répliqué Ryan Tompkins, propriétaire d’une petite entreprise. « Au moins maintenant, nous savons qui est responsable quand les choses vont mal. »
La décision laisse la porte ouverte au Parlement pour changer le système sans obstacles constitutionnels. Plusieurs provinces ont tenu des référendums sur la réforme électorale, bien qu’aucune n’ait finalement abandonné le système uninominal à un tour.
Dennis Pilon, expert en élections de l’Université York, suggère que cette décision pourrait rediriger les efforts de réforme. « Les tribunaux ont essentiellement dit qu’il s’agit d’une question politique qui nécessite une solution politique. L’attention se porte maintenant sur la création d’une volonté politique pour le changement.«
Les appelants disposent de 60 jours pour demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, bien que les experts juridiques que j’ai consultés suggèrent que la nature unanime de la décision rende peu probable un appel réussi.
Alors que le Canada se prépare à une élection fédérale prévue dans l’année à venir, cette décision garantit que les électeurs voteront à nouveau selon le même système qui a façonné notre démocratie depuis 1867 – un système qui, pour le meilleur ou pour le pire, a maintenant été déclaré constitutionnellement valide par les tribunaux.
La question qui demeure est de savoir si cette fin judiciaire marquera un nouveau début pour les efforts de réforme électorale par les voies législatives, ou si elle représente le chapitre final du débat canadien sur la représentation proportionnelle.