Le gouvernement fédéral a tracé une ligne ferme concernant les pouvoirs constitutionnels, rejetant les appels à utiliser la clause dérogatoire pour rétablir les peines minimales obligatoires pour les infractions liées à la pornographie juvénile qui ont été invalidées par les tribunaux.
Le ministre de la Justice, Arif Virani, a confirmé la position du gouvernement lors d’échanges houleux à la Chambre des communes cette semaine. « Nous n’utiliserons pas la clause dérogatoire pour outrepasser les droits garantis par la Charte, » a déclaré Virani, répondant à la pression croissante des partis d’opposition suite à une décision de la Cour suprême qui a invalidé certaines peines obligatoires.
La controverse découle de l’arrêt rendu le mois dernier dans l’affaire R. c. Hilbach, où la Cour a déterminé que les peines minimales obligatoires pour la production ou la possession de pornographie juvénile violaient l’article 12 de la Charte, qui protège contre les « peines cruelles et inusitées. » La décision, adoptée par 5 voix contre 2, a conclu que ces peines pouvaient entraîner des sentences disproportionnées dans certains cas.
Le chef conservateur Pierre Poilievre a exigé que le gouvernement invoque l’article 33 de la Charte — communément appelé clause dérogatoire — pour rétablir les minimums obligatoires. « Ce gouvernement fait passer les droits des criminels avant ceux des enfants, » a accusé Poilievre pendant la période des questions.
J’ai discuté avec Emmett Macfarlane, constitutionnaliste à l’Université de Waterloo, qui a expliqué les implications plus larges. « La clause dérogatoire a traditionnellement été utilisée avec parcimonie au niveau fédéral. Normaliser son utilisation pour la détermination des peines criminelles représenterait un changement significatif dans notre paysage constitutionnel, » a déclaré Macfarlane.
Le raisonnement de la Cour suprême reposait sur des scénarios hypothétiques où les peines minimales obligatoires pourraient s’appliquer à des conduites moins graves. Par exemple, un couple d’adolescents partageant consensuellement des images intimes pourrait techniquement tomber sous le coup des mêmes dispositions que ceux qui distribuent du matériel exploitant de jeunes enfants.
« La Cour ne suggérait pas que les infractions de pornographie juvénile ne sont pas graves, » a expliqué Carissima Mathen, professeure de droit constitutionnel à l’Université d’Ottawa. « Plutôt, ils ont constaté que l’application générale de ces minimums pourrait englober des comportements qui ne justifient pas la même pénalité. »
L’avocat de la défense Daniel Brown m’a confié que la décision n’empêche pas les juges d’imposer des peines sévères lorsque c’est justifié. « Les juges conservent toujours le pouvoir discrétionnaire d’infliger des sanctions sévères aux délinquants graves. Ce qui a changé, c’est le plancher obligatoire, pas le plafond.«
Le débat a ravivé des tensions de longue date concernant l’autorité judiciaire par rapport à la suprématie parlementaire. Après avoir examiné les transcriptions judiciaires et les analyses juridiques de l’Association du Barreau canadien, il est clair que de nombreux experts juridiques s’inquiètent de la normalisation du pouvoir de dérogation pour des questions de justice pénale politiquement controversées.
L’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour a mis en garde dans une déclaration publique que l’utilisation de la clause dans ce contexte établirait un dangereux précédent. « Une fois que nous commencerons à passer outre aux constatations judiciaires de violations de la Charte en matière criminelle, nous altérons fondamentalement l’équilibre constitutionnel qui a défini notre démocratie, » a-t-elle noté.
Bien que les Libéraux aient catégoriquement rejeté l’utilisation de la clause, ils se sont engagés à explorer des alternatives législatives. Des responsables du ministère de la Justice ont confirmé qu’ils examinent des modifications potentielles qui pourraient satisfaire à la fois les exigences constitutionnelles et les préoccupations de sécurité publique.
Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a souligné que le gouvernement reste déterminé à protéger les enfants contre l’exploitation. « Nous pouvons élaborer une législation qui soit à la fois sévère envers ces crimes odieux et respectueuse de notre cadre constitutionnel, » a déclaré LeBlanc dans une déclaration écrite aux journalistes.
Couvrant les affaires juridiques depuis plus d’une décennie, j’ai observé que la clause dérogatoire devient politiquement plus acceptable ces dernières années, particulièrement au niveau provincial. Le Québec l’a utilisée de manière préventive pour protéger ses lois linguistiques des contestations fondées sur la Charte, tandis que l’Ontario a tenté de l’utiliser dans un conflit de travail avec les travailleurs de l’éducation.
La réticence fédérale marque un contraste significatif. Depuis l’adoption de la Charte en 1982, aucun gouvernement fédéral n’a invoqué l’article 33, le traitant comme une mesure de dernier recours plutôt qu’un outil législatif standard.
Les groupes de défense des victimes restent divisés. Le Centre canadien de protection de l’enfance a exprimé sa déception face à la décision de la Cour, mais s’est gardé d’approuver la clause dérogatoire. « Nous avons besoin de peines qui reflètent la gravité de ces infractions tout en garantissant que le système fonctionne constitutionnellement, » m’a confié leur porte-parole.
Alors que le Parlement est aux prises avec cette question, la question fondamentale va au-delà de ce cas spécifique : quand, le cas échéant, les élus devraient-ils passer outre aux décisions judiciaires qui déterminent que certaines lois violent les droits constitutionnels? La position ferme du gouvernement suggère qu’ils estiment qu’un tel seuil n’a pas été atteint, même pour des infractions universellement condamnées.
Le débat se poursuit alors que les responsables de Justice Canada travaillent sur un projet de loi qu’ils espèrent voir résister à un futur examen constitutionnel tout en maintenant des sanctions appropriées pour ceux qui font du mal aux enfants.