Le paysage commercial au Canada est encore une fois en train de changer radicalement. La Compagnie de la Baie d’Hudson, cette institution emblématique dont les racines remontent à 1670, a annoncé son intention de mettre fin à plus de 8 300 emplois d’ici juin, alors qu’elle continue de naviguer dans un environnement commercial difficile.
La nouvelle est tombée hier lorsque La Baie a informé ses employés que la plupart des postes seraient éliminés d’ici la fin du mois prochain. Cette décision s’inscrit dans le cadre des efforts de restructuration continus de l’entreprise, qui comprennent la fermeture déjà annoncée de cinq magasins La Baie à travers le pays.
« C’est la tempête parfaite du commerce de détail, » explique Diane Brisebois, présidente du Conseil canadien du commerce de détail. « On a l’inflation qui comprime les dépenses des consommateurs, la concurrence des géants en ligne, et les effets persistants des habitudes d’achat pendant la pandémie qui frappent simultanément les grands magasins traditionnels. »
Les licenciements représentent environ 31 pour cent de la main-d’œuvre canadienne de l’entreprise, une réduction dramatique qui signale à quel point La Baie d’Hudson est sérieuse quant à la rationalisation de ses opérations. Selon les communications internes obtenues auprès des employés, l’entreprise prévoit d’externaliser certaines fonctions à des fournisseurs de services tiers, une démarche visant à réduire les coûts opérationnels.
Pour le secteur du commerce de détail de Toronto, qui a déjà traversé des tempêtes importantes, cela représente un autre coup dur. La ville verra la fermeture du magasin La Baie à Yonge et Bloor, un emplacement qui a servi de destination commerciale emblématique pour des générations de Torontois.
« Ce que nous observons n’est pas simplement une entreprise qui fait des coupes—c’est la transformation du commerce de détail canadien, » affirme Mark Satov, fondateur de Satov Consultants. « Les grands magasins dans le monde entier sont forcés de réimaginer leur rôle dans la vie des consommateurs ou risquent de devenir obsolètes. »
Le moment est particulièrement poignant. La Baie d’Hudson a travaillé à se réinventer ces dernières années, tentant de positionner ses magasins comme des destinations expérientielles plutôt que simplement des lieux pour acheter des marchandises. L’entreprise avait investi dans des marques haut de gamme et des expériences en magasin, mais ces efforts semblent insuffisants pour contrer les forces plus larges du marché.
Les analystes du commerce de détail pointent plusieurs facteurs motivant la décision de HBC. La croissance du commerce électronique a continué de capter des parts de marché des détaillants physiques, une tendance accélérée par la pandémie. Pendant ce temps, les détaillants spécialisés se sont taillé des créneaux qui appartenaient autrefois aux grands magasins, laissant des entreprises comme La Baie d’Hudson pressées de toutes parts.
« Le modèle du grand magasin a brillamment fonctionné pendant plus d’un siècle, » note l’historien du commerce David Soberman de l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto. « Mais les consommateurs d’aujourd’hui ont des attentes fondamentalement différentes. Ils veulent soit la commodité des achats en ligne, soit des environnements commerciaux hautement spécialisés et soigneusement sélectionnés. »
Pour les milliers d’employés touchés, la nouvelle arrive à un moment particulièrement difficile. Le marché de l’emploi canadien a montré des signes de ralentissement, avec un taux de chômage en hausse à 6,1% selon le dernier rapport de Statistique Canada. Le secteur du commerce de détail, traditionnellement un employeur important, a perdu des emplois alors que les entreprises s’adaptent aux habitudes changeantes des consommateurs.
« Ce ne sont pas que des statistiques, » déclare Deena Ladd, directrice exécutive du Centre d’action des travailleurs à Toronto. « Chacun de ces 8 300 postes représente quelqu’un avec un loyer à payer et des familles à soutenir. Les effets d’entraînement se feront sentir dans les communautés à travers le Canada. »
La décision de La Baie d’Hudson suit des mouvements similaires d’autres grands détaillants. Nordstrom a complètement quitté le Canada l’année dernière, fermant ses 13 magasins. Walmart a récemment annoncé la fermeture de plusieurs emplacements canadiens, tandis que Canadian Tire repense l’empreinte de ses magasins.
Ce qui rend La Baie d’Hudson différente, cependant, c’est son statut iconique dans la culture canadienne. L’histoire de l’entreprise est entrelacée avec celle du pays—ses comptoirs commerciaux ont précédé la Confédération de près de deux siècles. Pour beaucoup de Canadiens, faire ses achats à « La Baie » est une tradition transmise de génération en génération.
« Il y a une composante émotionnelle ici qui va au-delà des affaires, » explique l’analyste du commerce de détail Lisa Hutcheson. « Quand les Canadiens voient La Baie d’Hudson en difficulté, c’est comme regarder un morceau de notre histoire collective s’estomper. »
L’entreprise, maintenant détenue par un groupe dirigé par l’homme d’affaires américain Richard Baker, a connu une transformation significative ces dernières années. Après avoir acquis Saks Fifth Avenue en 2013, HBC a séparé ses opérations en ligne et ses magasins physiques pour Saks en 2021. De même, elle a séparé les opérations de commerce électronique de La Baie d’Hudson en 2022.
Ces mouvements stratégiques reflètent la tentative de l’entreprise de libérer de la valeur dans ses opérations numériques tout en gérant les défis de son empreinte commerciale physique. L’annonce d’hier suggère que des mesures plus drastiques ont été jugées nécessaires.
Pour les acheteurs, l’impact immédiat pourrait être perceptible dans la réduction des niveaux de personnel dans les magasins restants. L’entreprise a indiqué qu’elle allait « standardiser » les opérations dans son réseau, ce qui se traduit généralement par des ratios personnel-surface plus maigres et potentiellement des services réduits.
La transformation du secteur du commerce de détail continue de s’accélérer, avec des acteurs traditionnels comme La Baie d’Hudson qui luttent pour rester pertinents. Reste à voir si cette restructuration représente une évolution douloureuse mais nécessaire ou simplement retarde un déclin inévitable.
Ce qui est certain, c’est que pour des milliers de travailleurs du commerce de détail et des millions d’acheteurs canadiens, une partie emblématique du paysage commercial change irrévocablement. Alors que La Baie d’Hudson navigue dans cette transition, tant les employés que les clients se demandent ce qui restera de l’entreprise qui fait partie de l’expérience canadienne depuis plus de 350 ans.