Le plus grand choix financier auquel font face de nombreux Canadiens aujourd’hui n’est pas de savoir quelle action choisir ou sur quelle cryptomonnaie parier, mais plutôt de continuer à louer ou de se lancer dans l’achat immobilier. Alors que les coûts du logement à l’échelle nationale poursuivent leur ascension implacable en 2024, cette décision a évolué au-delà des simples mathématiques vers quelque chose de bien plus complexe.
« J’économise pour une mise de fonds depuis cinq ans, et je suis en réalité plus loin de pouvoir acheter que lorsque j’ai commencé, » confie Mira Chen, gestionnaire de projets technologiques de 34 ans à Toronto. Son expérience n’est pas inhabituelle. Le prix moyen d’une maison au Canada a atteint 668 754 $ en mars, selon l’Association canadienne de l’immobilier—un chiffre qui semble de plus en plus déconnecté des revenus typiques des Canadiens.
Mais la sagesse conventionnelle concernant l’accession à la propriété a-t-elle suivi l’évolution de la réalité économique? Réexaminons le calcul location-versus-achat à travers le prisme de 2024, en tenant compte de facteurs qui ne faisaient même pas partie de l’équation il y a dix ans.
Le paysage financier a fondamentalement changé. Lorsque les taux hypothécaires étaient inférieurs à 2 % pendant la pandémie, l’argument en faveur de l’achat était convaincant—les paiements mensuels étaient souvent inférieurs aux loyers comparables. Aujourd’hui, avec des taux fixes sur cinq ans autour de 5-6 %, ce calcul ne fonctionne plus dans de nombreux marchés.
Prenons ce scénario à Vancouver: Un modeste condo de deux chambres au prix de 800 000 $ avec une mise de fonds de 20 % (160 000 $) et un taux d’intérêt de 5,5 % crée un paiement hypothécaire mensuel d’environ 3 650 $. Ajoutez les taxes foncières, les frais d’entretien, l’assurance et les services publics, et vous approchez les 4 500 $ par mois. Pendant ce temps, ce même logement pourrait se louer pour 3 200 $. L’argument selon lequel « louer, c’est jeter son argent par les fenêtres » semble soudainement moins convaincant lorsque la location permet d’économiser 1 300 $ par mois.
Mais qu’en est-il de la constitution d’un patrimoine? Cela reste l’argument le plus solide en faveur de la propriété. Cependant, l’économiste de la TD Bank, Rishi Sondhi, prévient que les taux d’appréciation vont probablement se modérer. « Les vents démographiques favorables qui ont propulsé l’immobilier canadien pendant des décennies s’affaiblissent, » note-t-il dans un récent rapport sur les perspectives du marché. « Nous entrons dans une période où la croissance des prix pourrait se rapprocher davantage de l’inflation que des gains à deux chiffres auxquels beaucoup s’attendaient. »
Le coût d’opportunité des mises de fonds mérite une plus grande attention dans l’environnement actuel de taux d’intérêt élevés. Ces 160 000 $ de mise de fonds à Vancouver, investis dans un portefeuille conservateur rapportant 5 %, génèrent 8 000 $ par an—subventionnant effectivement le loyer de 667 $ par mois.
Le télétravail a également remodelé l’équation. « La pandémie a changé de façon permanente notre conception du logement et de l’emplacement, » explique l’économiste Diana Petramala du Centre de recherche urbaine de l’Université métropolitaine de Toronto. « Pour de nombreux travailleurs du savoir, la proximité du bureau compte moins que la superficie et la qualité de vie. »
Ce changement profite aux locataires qui peuvent déménager rapidement pour profiter des différences de prix régionales ou des opportunités de carrière sans frais de transaction approchant 5 % de la valeur d’une maison.
Il y a aussi le facteur mode de vie. Les Canadiens des générations Y et Z privilégient souvent la flexibilité et les expériences plutôt que l’accumulation traditionnelle d’actifs. « Je ne suis pas sûr de vouloir être lié à une seule ville pour la prochaine décennie, » déclare Omar Jabri, consultant de 29 ans à Montréal. « Louer me permet d’adapter ma vie au gré des opportunités. »
Cependant, la propriété offre toujours des avantages significatifs au-delà de l’appréciation potentielle. Le remboursement du capital fonctionne comme un mécanisme d’épargne forcée—particulièrement précieux dans un pays où le taux d’épargne des ménages peine à dépasser 5 %. Les propriétaires bénéficient également d’une protection contre l’inflation des loyers et de la sécurité du contrôle de leur situation de logement.
Les avantages fiscaux restent aussi substantiels. Les gains en capital sur les résidences principales demeurent exonérés d’impôt au Canada—l’une des politiques fiscales les plus généreuses parmi les nations développées. Pour beaucoup, cela représente le plus grand avantage fiscal auquel ils auront jamais accès.
Qu’en est-il des aspects émotionnels moins discutés? Les recherches de la Banque du Canada suggèrent que les propriétaires déclarent une satisfaction de vie plus élevée, même en contrôlant les facteurs financiers. La stabilité de la propriété semble procurer des avantages psychologiques qui ne sont pas capturés dans les tableurs.
Le transfert de richesse intergénérationnel qui se produit actuellement complique également le tableau. Près de 30 % des premiers acheteurs reçoivent maintenant une aide familiale pour la mise de fonds, selon un rapport de la CIBC de 2023. Cela crée un fossé grandissant entre ceux qui bénéficient d’un soutien financier familial et ceux qui n’en ont pas.
« Nous assistons à l’émergence de deux réalités distinctes dans le logement canadien, » observe Alex Hemingway, économiste principal au Centre canadien de politiques alternatives. « Ceux qui disposent d’un patrimoine familial ou d’une propriété établie maintiennent la voie traditionnelle vers la propriété, tandis que de nombreux jeunes Canadiens sans ces avantages pourraient devenir des locataires permanents. »
Alors, quel est le verdict pour 2024? La réponse dépend de plus en plus des circonstances personnelles plutôt que de règles universelles.
L’achat a plus de sens pour ceux qui prévoient de rester au même endroit pendant au moins cinq ans, avec des revenus stables, un solide soutien familial ou des économies importantes. La combinaison de l’épargne forcée par le remboursement du capital, la protection contre l’inflation et l’appréciation potentielle reste puissante.
La location offre des avantages convaincants pour ceux qui privilégient la flexibilité, la mobilité professionnelle, ou ceux qui ne peuvent pas économiser une mise de fonds substantielle. La prime significative désormais payée pour la propriété dans de nombreux marchés signifie que la location peut permettre une plus grande diversification des investissements et des choix de style de vie.
Le changement le plus important en 2024 est peut-être de dépasser la pensée binaire qui considère la location comme « jeter son argent par les fenêtres » ou l’accession à la propriété comme le seul jalon financier légitime. Les deux voies peuvent mener à la sécurité financière lorsqu’elles sont abordées de manière stratégique.
« La meilleure décision financière est celle qui s’aligne sur votre vie réelle, pas sur une version idéalisée de ce que vous pensez devoir faire, » affirme l’éducateur en finances personnelles Preet Banerjee. « Parfois, louer et investir la différence est mathématiquement optimal, mais acheter pourrait toujours être bon pour votre santé mentale et vos objectifs personnels. »
Pour les Canadiens qui naviguent dans cette décision en 2024, la première étape est une auto-évaluation honnête: Qu’est-ce que vous valorisez vraiment? Où serez-vous dans cinq ans? Et surtout—quels compromis financiers êtes-vous prêt à faire entre stabilité et flexibilité dans un paysage économique de plus en plus incertain?