J’ai franchi hier les portes de l’Assemblée législative provinciale, les échos des manifestants résonnant encore depuis l’extérieur. Près de 1 500 parents, éducateurs et citoyens préoccupés s’étaient rassemblés à Québec sous un ciel gris, réclamant ce qu’ils appellent « une refonte complète » du système d’éducation québécois.
« Ma fille est en 4e année et a toujours du mal à lire, et l’école me dit simplement d’attendre et de voir, » témoigne Josée Tremblay, mère de deux enfants de Laval qui a fait le trajet pour participer au rassemblement. « J’en ai assez d’attendre. Le système abandonne nos enfants. »
La manifestation, organisée par la coalition de parents « Réforme Éducative Québec Maintenant », marque la plus importante protestation éducative devant l’Assemblée législative depuis les négociations contractuelles des enseignants en 2019. Cette fois, cependant, ce sont les parents qui mènent la charge, et non les syndicats ou les associations professionnelles.
À l’intérieur de l’Assemblée, la période de questions s’est rapidement transformée en confrontation sur les priorités éducatives. Le chef de l’opposition François Lemieux n’a pas mâché ses mots : « Les parents de cette province sont littéralement à votre porte, Madame la Ministre. Quand allez-vous admettre que votre expérience d’apprentissage par découverte a sacrifié toute une génération d’élèves ? »
La ministre de l’Éducation Sophie Bergeron a défendu l’approche du gouvernement tout en reconnaissant les préoccupations des parents. « Nous entendons ces familles haut et fort, » a-t-elle déclaré. « C’est précisément pourquoi nous avons lancé notre révision du programme le mois dernier. Mais un changement significatif nécessite une mise en œuvre réfléchie, pas des réactions précipitées. »
Ce rassemblement survient à un moment critique pour le système éducatif québécois. Les récentes évaluations provinciales révèlent des tendances inquiétantes, avec seulement 69 % des élèves de 4e année atteignant les attentes de leur niveau en lecture — une baisse de sept points depuis 2018. Les résultats en mathématiques ont connu des baisses similaires, selon les données du rapport annuel du ministère de l’Éducation.
Les organisateurs du rassemblement ont présenté un plan en cinq points axé sur le renforcement des compétences fondamentales, le retour à une notation standardisée, la réduction de la technologie en classe pour les plus jeunes élèves et la mise en œuvre d’un enseignement obligatoire de la lecture basé sur la méthode phonique.
« Nous ne demandons rien de radical, » a expliqué le porte-parole de la coalition, Pierre Lavoie. « Nous voulons des méthodes d’enseignement fondées sur des preuves qui fonctionnent réellement. De nombreuses autres juridictions reviennent à des approches éprouvées tandis que nous poursuivons cette voie expérimentale. »
Ce qui distingue ce mouvement des précédentes protestations en matière d’éducation, c’est sa nature transpartisane. J’ai parlé avec des participants qui s’identifient à tout le spectre politique — des parents progressistes préoccupés par l’élargissement des écarts d’équité sous les méthodes actuelles aux conservateurs attachés aux valeurs éducatives traditionnelles.
Marie Côté, enseignante de 2e année de Québec qui participait sur son temps personnel, a offert une perspective nuancée. « Il y a du vrai des deux côtés. Le programme actuel contient des éléments précieux, mais nous nous sommes trop éloignés de l’enseignement explicite dans certains domaines. La plupart des enseignants que je connais complètent avec leurs propres matériels car les ressources officielles sont insuffisantes. »
Le ministère souligne son initiative d’alphabétisation récemment annoncée de 45 millions de dollars comme preuve qu’il répond déjà aux préoccupations. Le programme offrira un soutien ciblé aux lecteurs en difficulté de la 1re à la 3e année et du perfectionnement professionnel aux enseignants en matière d’instruction explicite de la lecture.
Mais les parents présents au rassemblement ont qualifié cette mesure de « trop peu, trop tard. » Beaucoup ont partagé des histoires de paiement pour du tutorat privé ou des évaluations après avoir vu leurs enfants prendre du retard. Certains tenaient des pancartes indiquant « L’éducation publique doit fonctionner pour tous les enfants » et « Moins d’écrans, plus de livres. »
Le premier ministre Paul Tremblay a fait une brève apparition dans l’après-midi, s’entretenant avec un petit groupe d’organisateurs de la manifestation lors d’une réunion que des sources ont décrite comme « respectueuse mais tendue. » Le premier ministre a promis d’examiner leurs propositions mais n’a pris aucun engagement spécifique.
Le débat touche aux questions fondamentales concernant l’objectif de l’éducation et la façon dont les enfants apprennent le mieux. Le programme québécois, révisé entre 2015 et 2018, a mis l’accent sur « l’apprentissage par compétences » et la pensée interdisciplinaire plutôt que sur la maîtrise traditionnelle des matières — un changement qui a initialement reçu les éloges des chercheurs en éducation mais qui a de plus en plus suscité les critiques des parents et de certains enseignants.
La professeure d’éducation de l’Université de Montréal, Dre Émilie Ducharme, suggère que la vérité se situe quelque part au milieu. « La recherche soutient des approches structurées d’alphabétisation pour la lecture, particulièrement pour les apprenants en difficulté. Mais d’autres aspects du programme québécois reflètent d’importantes avancées dans notre compréhension de l’apprentissage. Ce ne devrait pas être une conversation du tout ou rien. »
En quittant les terrains de l’Assemblée, j’ai remarqué un plus petit groupe de contre-manifestants — principalement des étudiants plus âgés et des professeurs d’éducation — tenant des pancartes soutenant l’approche actuelle du programme. « Ne nous ramenez pas en arrière, » disait l’une. « L’éducation ne se résume pas aux résultats des tests, » indiquait une autre.
Ce contraste souligne la complexité à laquelle sont confrontés les décideurs politiques. Les parents veulent une action immédiate, les éducateurs cherchent des approches équilibrées, et les élèves eux-mêmes ont des besoins d’apprentissage divers qu’aucune méthode unique ne peut pleinement satisfaire.
Ce qui semble certain, c’est que l’éducation restera un enjeu politique central dans la province. Avec les élections provinciales prévues pour l’année prochaine, la façon dont les partis se positionnent sur ces débats pourrait avoir un impact significatif sur leurs fortunes électorales.
Entre-temps, les familles comme celle de Josée Tremblay continuent d’attendre le changement. « J’ai pris un jour de congé pour être ici parce que cela compte plus que tout, » m’a-t-elle confié en rentrant chez elle. « Mes enfants n’ont qu’une seule chance de recevoir une éducation. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous tromper. »