Lorsque Mark Carney est entré à la Chambre des communes pour sa première période de questions la semaine dernière, il ne se contentait pas de répondre aux interrogations de l’opposition — il brisait une tradition parlementaire qui remonte aux premiers jours de Justin Trudeau comme Premier ministre.
Pendant près de neuf ans, Trudeau a personnellement répondu à toutes les questions de l’opposition les mercredis, une pratique qui le distinguait de ses prédécesseurs. Cette ère s’est maintenant terminée discrètement, sans grande explication du bureau du Premier ministre quant à l’abandon de cette tradition particulière.
« La période des questions du mercredi était le geste emblématique de Trudeau envers la responsabilité, » explique Emmett Ferguson, expert en procédure parlementaire à l’Université Carleton. « Qu’elle soit substantielle ou symbolique, elle créait une attente selon laquelle le Premier ministre ferait face à des questions directes au moins une fois par semaine. »
Ce changement survient alors que Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, s’installe dans son rôle de ministre des Finances suite à sa nomination en octobre. Ses débuts ont révélé un politicien à l’aise avec les détails techniques mais cherchant encore ses repères parlementaires.
Debout aux Communes, Carney a paré les questions sur l’abordabilité du logement et l’inflation avec l’assurance de quelqu’un qui a navigué à travers des crises financières mondiales, mais a parfois montré l’hésitation d’un novice dans le combat partisan. Lorsque la chef adjointe conservatrice Melissa Lantsman l’a pressé sur des objectifs économiques spécifiques, Carney a répondu d’un ton mesuré qui contrastait avec l’atmosphère habituellement chargée.
« Les Canadiens méritent des réponses concrètes sur le moment où ils verront un allègement des coûts du logement, » a exigé Lantsman, ce à quoi Carney a répondu que l’approche du gouvernement serait « guidée par les données, non par les échéances », une réponse qui a provoqué des gémissements de l’opposition.
Derrière ce changement de procédure se cache une question plus substantielle sur la stratégie politique du gouvernement. La décision de Trudeau de se retirer des questions du mercredi survient dans un contexte de sondages difficiles et de préoccupations croissantes concernant les enjeux économiques où l’expertise de Carney pourrait rassurer les électeurs.
Selon le dernier sondage d’Abacus Data, 63% des Canadiens classent le coût de la vie comme leur principale préoccupation, l’abordabilité du logement suivant de près à 57%. En positionnant Carney au premier plan, les Libéraux semblent miser sur leur nouvel atout.
« Il s’agit de présenter Carney comme le réparateur économique, » suggère Theresa Wong, stratège politique et ancienne collaboratrice libérale. « C’est un pivot calculé pour lui permettre de devenir le visage de la réponse économique du gouvernement pendant que Trudeau se concentre sur la reconstruction de son lien avec les électeurs sur d’autres fronts. »
Le bureau du Premier ministre est resté caractéristiquement discret sur ce changement. Interrogée directement sur l’abandon de la tradition du mercredi, la porte-parole de Trudeau, Emma Butt, a simplement déclaré que « le gouvernement maintient son engagement envers la responsabilité tout en faisant le meilleur usage de l’expertise ministérielle pour répondre aux préoccupations des Canadiens. »
Pour les observateurs parlementaires, cependant, ce changement représente plus qu’une simple modification d’horaire. Lori Turnbull, directrice de l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie, y voit un potentiel significatif.
« Quand un Premier ministre renonce volontairement à son temps de parole aux Communes, particulièrement une tradition qu’il a lui-même établie, cela signale généralement un réalignement stratégique plus large, » note Turnbull. « La question est de savoir s’il s’agit d’un positionnement temporaire autour de la période de lune de miel de Carney, ou d’une réduction permanente de la présence parlementaire de Trudeau. »
L’opposition s’est prévisiblement emparée de ce changement. Le chef conservateur Pierre Poilievre l’a qualifié de « fuite devant la responsabilité, » tandis que le chef du NPD Jagmeet Singh a suggéré que Trudeau « sous-traitait le leadership à son nouveau ministre. »
Pourtant, pour les Canadiens ordinaires qui regardent des extraits de la période des questions aux nouvelles du soir, la préoccupation la plus pressante n’est pas qui répond aux questions, mais si ces réponses abordent les préoccupations quotidiennes. Sur ce front, la performance de Carney a offert des aperçus de force et de vulnérabilité.
Pressé sur des mesures d’abordabilité spécifiques par le Bloc Québécois, Carney a préféré discuter d’indicateurs économiques généraux plutôt que de calendriers précis d’allègement. Mais il a démontré une maîtrise détaillée des initiatives d’offre de logements en répondant aux questions sur les taux d’intérêt et les tests de résistance hypothécaire.
Dans les Tim Hortons d’Ottawa le lendemain matin des débuts de Carney, les réactions des buveurs de café matinaux étaient mitigées mais révélatrices. « Peu m’importe qui répond aux questions tant que quelqu’un règle ces prix de logement, » a déclaré Ellen Morin, 47 ans, fonctionnaire et mère de deux enfants d’âge universitaire. « Mes enfants ne peuvent même pas envisager d’acheter une maison dans ce marché. »
Ce sentiment résume le défi auquel font face Carney et Trudeau alors qu’ils naviguent dans cet ajustement parlementaire. Les traditions procédurales comptent dans notre démocratie, mais elles cèdent ultimement le pas aux résultats.
À l’approche du congé des fêtes du Parlement, tous les regards seront tournés vers ce changement de protocole durant la période des questions pour voir s’il signale un virage plus large dans la façon dont le gouvernement Trudeau se présente aux Canadiens. Carney deviendra-t-il le visage économique du gouvernement pendant que Trudeau se tourne vers d’autres priorités? Ou s’agit-il simplement d’un ajustement temporaire pendant l’introduction de Carney à la vie parlementaire?
Quelle que soit la stratégie, le temps presse. Avec des préoccupations d’abordabilité croissantes et une élection à l’horizon, les Canadiens semblent moins intéressés par qui se tient au bureau de répartition que par la question de savoir si cette personne a des réponses qui feront une différence dans leur vie quotidienne.