Le premier ministre Mark Carney a présidé mercredi matin sa première réunion du cabinet, rassemblant une équipe diversifiée de 35 ministres chargés de réaliser l’ambitieux programme qui a propulsé les Libéraux vers une victoire serrée lors des élections fédérales du mois dernier.
Cette réunion sur la Colline du Parlement marque la transition officielle du pouvoir après que Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, a réussi à mener son parti à la victoire suite à la démission surprise de Justin Trudeau plus tôt cette année.
« Aujourd’hui, nous commençons le travail pour lequel les Canadiens nous ont élus, » a déclaré brièvement Carney aux journalistes avant d’entrer dans la salle du cabinet. « Nous faisons face à d’importants vents contraires économiques, mais je suis convaincu que cette équipe possède l’expérience et la vision nécessaires pour livrer des résultats aux familles de la classe moyenne. »
Le nouveau cabinet reflète la promesse de campagne de Carney d’équilibrer l’expertise économique avec la représentation régionale. Près de la moitié des postes ministériels ont été attribués à des femmes, tandis que sept membres s’identifient comme Autochtones ou minorités visibles – une diversité légèrement inférieure au dernier cabinet de Trudeau.
Chrystia Freeland, qui a servi comme vice-première ministre sous Trudeau, a conservé son poste tout en assumant également le portefeuille crucial des Affaires intergouvernementales. Cette nomination signale l’intention de Carney de naviguer dans les relations fédérales-provinciales complexes, particulièrement alors que le mouvement souverainiste de l’Alberta continue de prendre de l’ampleur.
« Le premier ministre a constitué un cabinet qui comprend les enjeux des ménages, » a déclaré Freeland après avoir prêté serment mardi. « Les Canadiens s’inquiètent de l’abordabilité et de la stabilité économique. C’est exactement ce sur quoi nous allons nous concentrer. »
La nomination la plus notable est peut-être celle d’Anita Anand, ancienne ministre de la Défense, aux Finances – faisant d’elle la deuxième femme ministre des Finances du Canada. Les analystes politiques y voient une manœuvre stratégique de Carney pour maintenir sa propre influence sur la politique économique tout en déléguant les responsabilités parlementaires du rôle.
« Carney veut clairement être celui qui définit la vision économique, » a déclaré Penny Collenette, ancienne organisatrice libérale et professeure de droit à l’Université d’Ottawa. « En nommant Anand, il obtient une parlementaire compétente qui peut faire avancer son programme sans l’éclipser sur son sujet de prédilection. »
François-Philippe Champagne passe de l’Innovation aux Affaires étrangères, un poste crucial alors que le Canada navigue dans des relations de plus en plus complexes avec les États-Unis et la Chine. Steven Guilbeault, qui a fait l’objet de critiques pour sa gestion du controversé projet de loi sur les méfaits en ligne, a été muté de l’Environnement au Patrimoine.
Le cabinet comprend plusieurs nouveaux visages, dont trois députés élus pour la première fois lors des élections du mois dernier. La décision la plus surprenante de Carney a été de nommer directement la nouvelle venue de la Nouvelle-Écosse, Karen Ludwig, au poste de ministre du Développement économique rural.
« L’arrivée de sang neuf montre que Carney veut se distancer de certains des fardeaux des années Trudeau, » a noté David Moscrop, politologue et chroniqueur. « Mais le véritable test sera de savoir si ces ministres peuvent réellement livrer des résultats différents sur des dossiers où les Libéraux ont eu du mal. »
L’équilibre régional demeure un défi persistant. Malgré des gains modestes en Alberta, les Libéraux n’ont pas réussi à élire des députés en Saskatchewan. Pour combler cette lacune, le député manitobain Terry Duguid servira de représentant spécial pour les Prairies en plus de son rôle de ministre de l’Agriculture.
Un sondage CBC/Radio-Canada publié hier suggère que les Canadiens sont prudemment optimistes concernant le nouveau cabinet, avec 48% exprimant leur confiance dans leur capacité à relever les défis économiques, contre 39% qui restent sceptiques. Le taux d’approbation se situe à 52% – modeste pour la période de lune de miel d’un nouveau gouvernement.
Le cabinet fait face à des défis immédiats, notamment le budget fédéral du mois prochain, qui, selon Carney, équilibrera les mesures de lutte contre l’inflation avec des investissements ciblés dans le logement et les technologies propres. Le chef conservateur Pierre Poilievre a déjà critiqué la taille du cabinet, le qualifiant de « hypertrophié » et avertissant qu’il signale des intentions de dépenses qui pourraient aggraver l’inflation.
« Ce n’est pas simplement un changement de visages, c’est un renouvellement d’objectif, » a soutenu Katie Telford, qui continue comme chef de cabinet de Carney après avoir occupé le même rôle sous Trudeau. « Le premier ministre a clairement indiqué que la compétence économique et l’obtention de résultats mesurables définiront ce gouvernement. »
À l’extérieur de la Colline du Parlement, environ trois douzaines de manifestants de divers groupes de défense se sont rassemblés, notamment des militants pour le logement réclamant une action immédiate sur l’abordabilité et des organisations environnementales exigeant une action climatique plus rapide.
« Nouveau cabinet, mêmes promesses, » pouvait-on lire sur une pancarte tenue par Jennifer Spinney, une résidente d’Ottawa de 28 ans qui a rejoint la manifestation. « Nous entendons des engagements sur le logement depuis des années tout en regardant les prix monter en flèche. Nous avons besoin d’action, pas de plus de comités. »
La retraite du cabinet se poursuit demain, les ministres devant discuter des plans de mise en œuvre des propositions économiques phares de Carney, notamment le Fonds de croissance canadien et de nouvelles initiatives en matière de logement qui inciteraient aux réformes municipales de zonage.
Alors que le soleil de l’après-midi projetait de longues ombres sur la Colline du Parlement, les nouveaux ministres sont partis individuellement, la plupart évitant des commentaires détaillés à la presse. Leur premier véritable test commence la semaine prochaine lorsque le Parlement reprendra ses séances et que la période des questions mettra le nouveau banc avant sous le regard scrutateur de l’opposition.
Pour l’instant, le cabinet de Carney reflète sa promesse de campagne d’un « leadership expérimenté pour des temps incertains. » La question centrale du nouveau chapitre politique du Canada reste de savoir si cette équipe peut transformer l’expertise économique en succès politique.