Le soleil matinal filtre à travers les stores vénitiens du Centre de santé communautaire du North End à Halifax. Dr Lisa Barrett fait un geste vers les boîtes non ouvertes de médicaments PrEP soigneusement empilées dans un placard de rangement. « Il y a cinq ans, nous aurions eu une liste d’attente pour ceux-ci, » me dit-elle. « Maintenant, nous pouvons répondre à la demande, mais cela ne signifie pas que tous ceux qui en ont besoin franchissent notre porte. »
Je me suis rendu en Nouvelle-Écosse pour constater de première main comment les nouvelles directives canadiennes de prévention du VIH transforment les soins sur le terrain. Publiées en novembre 2025 par l’Association canadienne de recherche sur le VIH (ACRV), ces directives représentent le changement le plus important dans notre approche de la prévention du VIH depuis plus d’une décennie.
« Le message est clair—les médecins ne devraient pas limiter l’accès à la PrEP, » explique Dr Barrett, spécialiste des maladies infectieuses qui a contribué aux directives. « Nous sommes passés de la question ‘pourquoi cette personne devrait-elle recevoir la PrEP?’ à ‘pourquoi pas?' »
La prophylaxie pré-exposition, communément appelée PrEP, est un régime médicamenteux qui, lorsqu’il est pris régulièrement, est efficace à plus de 99% pour prévenir la transmission du VIH. Approuvée pour la première fois au Canada en 2016, l’accès a été inégal selon les provinces, souvent limité par le confort du médecin, la couverture d’assurance et la sensibilisation des patients.
En traversant la salle d’attente de la clinique, je remarque des documents éducatifs en sept langues. Une affiche montre des visages diversifiés—jeunes et vieux, diverses ethnies, genres et statuts relationnels. La légende indique simplement: « Renseignez-vous sur la PrEP aujourd’hui.«
Les directives de 2025 abordent spécifiquement l’hésitation des médecins, un facteur que la recherche de l’Agence de la santé publique du Canada a identifié comme un obstacle majeur. Selon leur sondage de 2024, 38% des médecins de soins primaires ont déclaré se sentir mal à l’aise de discuter des antécédents de santé sexuelle, particulièrement avec des patients en dehors des communautés LGBTQ+.
« Nous reconnaissons enfin que la prévention du VIH n’est pas seulement pour certaines communautés, » dit Jordan Sang, directeur de la prévention à la Société canadienne du sida. « Toute personne sexuellement active pourrait bénéficier de cette conversation avec son professionnel de la santé. »
Les directives demandent spécifiquement aux médecins d’initier des conversations sur la PrEP avec tous les patients sexuellement actifs, pas seulement ceux traditionnellement considérés « à haut risque. » Elles soulignent également des protocoles de dépistage simplifiés et recommandent de ne pas refuser la PrEP en fonction de défis d’adhérence perçus.
Dans le Downtown Eastside de Vancouver, l’infirmière praticienne Mandeep Kaur me montre une unité de santé mobile qui offre des consultations PrEP sans rendez-vous. « Avant ces directives, nous devions documenter de multiples facteurs de risque avant que l’assurance ne couvre la PrEP, » explique-t-elle en se préparant pour les tournées de l’après-midi. « Maintenant, nous pouvons prescrire simplement parce qu’un patient dit vouloir cette protection. »
Cela représente un changement philosophique majeur. Les approches précédentes exigeaient que les prestataires de soins évaluent le risque de VIH sur la base d’antécédents sexuels détaillés et de comportements—des questions que de nombreux patients trouvaient invasives et stigmatisantes.
Le nouveau modèle canadien s’inspire du programme de prévention réussi de l’Australie, qui a vu les nouveaux diagnostics de VIH chuter de 42% entre 2016 et 2022 après avoir mis en œuvre des politiques d’accès similaires.
Dr Sean Rourke, scientifique au Centre MAP pour les solutions de santé urbaine de l’Hôpital St. Michael à Toronto, souligne l’argument financier pour un accès élargi. « Chaque infection au VIH évitée économise à notre système de santé environ 1,3 million de dollars en coûts de traitement à vie, » note-t-il. « La PrEP se rentabilise plusieurs fois. »
Bien que les directives aient été largement saluées par les organisations de défense, des défis de mise en œuvre demeurent. Les régimes provinciaux de santé varient dans leur couverture, certains exigeant encore des tests VIH trimestriels et des visites médicales régulières qui créent des obstacles, surtout pour les Canadiens ruraux.
« Je conduis trois heures aller-retour pour un rendez-vous où un médecin renouvellera ma prescription, » dit Michel Tremblay, que je rencontre lors d’un forum communautaire à Sudbury. « Le médicament est couvert, mais le temps perdu au travail et l’essence s’additionnent. Ces nouvelles directives semblent excellentes, mais changeront-elles vraiment quelque chose pour quelqu’un comme moi? »
Les communautés autochtones font face à des défis supplémentaires. À Norway House Cree Nation, au Manitoba, la directrice de la santé Dayna Grieve décrit les efforts pour intégrer la prévention du VIH dans les approches communautaires existantes.
« Nous adaptons ces directives pour honorer notre compréhension traditionnelle du bien-être, » me dit-elle lors d’un entretien téléphonique. « Il ne s’agit pas seulement de rendre le médicament disponible—il s’agit de fournir des espaces culturellement sécuritaires où notre peuple peut discuter de santé sexuelle sans jugement. »
Les directives reconnaissent spécifiquement ce besoin, incluant une section sur les soins culturellement appropriés développée en consultation avec des organisations de santé autochtones à travers le pays.
Pour les jeunes Canadiens, l’accès a été simplifié grâce aux options de soins virtuels. Alex Chen, étudiant de vingt-deux ans, me montre l’application sur son téléphone où ils planifient des bilans trimestriels et organisent la livraison de médicaments.
« J’ai découvert la PrEP sur TikTok, pas par mon médecin, » expliquent-ils. « Les directives changent les choses pour les médecins, mais honnêtement, la plupart de mes amis apprennent encore ces choses en ligne. »
La nouvelle approche met également l’accent sur l’éducation des prestataires de soins. Les facultés de médecine ont été invitées à incorporer une formation complète sur la prévention du VIH, et des crédits de formation continue sont disponibles pour les médecins en exercice.
Dr Barrett reconnaît qu’il reste du travail à faire. « Les directives ne sont que des mots sur papier jusqu’à ce qu’elles changent la pratique réelle, » dit-elle alors que nous terminons ma visite. « Mais elles nous donnent quelque chose de concret à indiquer lorsque nous défendons nos patients. »
En quittant la clinique d’Halifax, une jeune femme s’approche nerveusement du bureau d’accueil. Je l’entends demander, « J’ai vu en ligne qu’on peut obtenir ici quelque chose qui prévient le VIH? Puis-je parler à quelqu’un à ce sujet? »
La réceptionniste sourit et lui tend un formulaire d’admission. « Absolument. Le médecin discutera de la PrEP avec vous aujourd’hui. »
C’est un petit moment qui résume la vision derrière les nouvelles directives canadiennes: un avenir où la prévention du VIH devient une partie routinière et accessible des soins de santé pour quiconque en a besoin.