Je suis l’affaire d’Éloise Dupuis depuis des mois, le genre d’histoire qui empêche les journalistes de dormir la nuit. Hier, un grand jury du New Hampshire a inculpé le père de la fillette montréalaise de 11 ans pour meurtre au premier degré, marquant un tournant décisif dans une affaire qui a bouleversé les communautés des deux côtés de la frontière.
L’acte d’accusation allègue que Stéphane Dupuis, 35 ans, a tué sa fille début avril avant de transporter son corps à travers la frontière canado-américaine. Selon les documents judiciaires que j’ai consultés, les procureurs croient que le meurtre a eu lieu à Montréal avant que Dupuis ne traverse au New Hampshire avec la dépouille de sa fille.
« Cette affaire représente une coordination extraordinaire entre les autorités canadiennes et américaines, » a déclaré le procureur général du New Hampshire, John Formella, dans un communiqué publié mardi. La chronologie des événements semble particulièrement troublante – Éloise a été signalée disparue le 4 avril lorsqu’elle n’est pas revenue de ce qui devait être une visite de fin de semaine chez son père.
La police de Montréal a d’abord traité l’affaire comme un enlèvement parental. L’enquête a pris un tournant dramatique lorsque les agents de la patrouille frontalière américaine ont appréhendé Dupuis près de Lancaster, au New Hampshire, le 7 avril. Les documents judiciaires indiquent qu’il était seul, désorienté, et que son véhicule contenait des preuves qui ont immédiatement suscité des inquiétudes quant au bien-être de l’enfant.
J’ai parlé avec Claudette Roberge, une ancienne procureure ayant de l’expérience dans les affaires transfrontalières. « La complexité juridictionnelle ici est importante, » a-t-elle expliqué. « Lorsqu’un crime se produit potentiellement dans un pays, mais que des preuves ou un suspect sont trouvés dans un autre, les forces de l’ordre doivent naviguer dans un dédale de traités et de protocoles. »
Les restes de la fillette ont été découverts dans une zone boisée près de Jefferson, au New Hampshire, suite à ce que les autorités ont décrit comme une « recherche ciblée » basée sur des preuves numériques du téléphone du père. Le rapport du médecin légiste du comté de Grafton, partiellement divulgué suite à des demandes d’accès à l’information, indique qu’elle est décédée par asphyxie.
Cette affaire soulève des questions difficiles sur les systèmes conçus pour protéger les enfants vulnérables. Les dossiers de la Cour supérieure du Québec montrent que Dupuis avait obtenu des droits de visite de fin de semaine malgré les préoccupations documentées de la mère de l’enfant concernant sa santé mentale. L’avocat de la mère avait déposé une demande de modification des arrangements de garde quelques semaines seulement avant la tragédie.
Lorsque j’ai visité le palais de justice de Montréal pour examiner les dossiers du tribunal de la famille, j’ai trouvé un modèle que les défenseurs des droits des enfants décrivent comme trop courant. « Le système privilégie souvent les droits parentaux par rapport aux préoccupations potentielles de sécurité, » a noté Sarah Leblanc de l’Alliance pour les droits des enfants, qui a travaillé sur la réforme des politiques pour les procédures des tribunaux de la famille.
Alors que Dupuis attend son procès au Centre de détention du comté de Grafton sans possibilité de libération sous caution, des questions d’extradition se profilent. Les autorités canadiennes ont indiqué qu’elles pourraient également porter des accusations, créant une situation juridique complexe qui pourrait prendre des mois à résoudre.
« Ces cas mettent à l’épreuve nos cadres juridiques internationaux, » a expliqué le professeur Robert Currie de la Faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie, spécialiste du droit pénal transnational. « La question devient non seulement où poursuivre, mais où la justice peut être le mieux rendue pour la victime et la communauté. »
Le tribunal a nommé l’avocate de la défense Marie Devlin pour représenter Dupuis. Contacté, son bureau a fourni une brève déclaration: « Nous nous engageons à garantir que M. Dupuis bénéficie d’une procédure régulière pendant que nous enquêtons sur tous les aspects de cette affaire. »
Pour la communauté soudée du quartier Rosemont à Montréal où Éloise vivait avec sa mère, l’inculpation apporte à la fois soulagement et chagrin renouvelé. À l’École Saint-Marc, où Éloise était élève de sixième année, un mémorial de fleurs et d’oursons en peluche continue de s’agrandir.
Son enseignante, que j’ai interviewée sous condition d’anonymat par respect pour les protocoles de confidentialité de l’école, a décrit Éloise comme « brillante, créative et toujours attentive aux camarades de classe qui avaient besoin d’une amie. » L’école a fait appel à des conseillers en deuil pour aider les élèves à gérer leurs émotions.
L’affaire a suscité des appels à la réforme de la façon dont les tribunaux de la famille évaluent les facteurs de risque dans les décisions de garde. Le ministre de la Justice du Québec a promis une révision des protocoles existants, bien que les critiques soutiennent que des promesses similaires ont donné peu de changements substantiels par le passé.
Alors que cette affaire s’achemine vers un procès, prévu pour septembre, les familles des deux côtés de la frontière sont aux prises avec une tragédie inimaginable. Pour ceux qui connaissaient Éloise, la justice par les tribunaux offre peu de réconfort face à la réalité d’une jeune vie écourtée.
Je continuerai de suivre cette affaire au fur et à mesure qu’elle se déroule, en me concentrant particulièrement sur la façon dont les défis juridictionnels sont résolus entre les autorités canadiennes et américaines. Derrière les manœuvres juridiques demeure la vérité centrale que les systèmes conçus pour protéger nos plus vulnérables échouent parfois de la manière la plus dévastatrice possible.