Dans une cérémonie historique rythmée par des tambours, des chants traditionnels et un festin qui a nourri près de 800 personnes, la Nation Heiltsuk a officiellement ratifié sa première constitution écrite—un moment décisif que les dirigeants considèrent comme un hommage à la gouvernance ancestrale tout en positionnant cette Première Nation vers un avenir d’autonomie renforcée.
Le festin de ratification, tenu à Bella Bella sur la côte centrale de la Colombie-Britannique le week-end dernier, a formalisé ce que les leaders Heiltsuk décrivent comme un « pont entre les traditions ancestrales et les besoins de gouvernance moderne. » Le document codifie des principes de gouvernance qui existaient dans la tradition orale depuis des milliers d’années.
« Nous ne créons pas quelque chose de nouveau—nous mettons par écrit ce que nos ancêtres ont toujours su et pratiqué, » a expliqué la conseillère en chef Heiltsuk Marilyn Slett, s’exprimant depuis la salle communautaire où les chefs héréditaires, les représentants élus et les membres de la communauté se sont réunis pour témoigner de l’événement. « Notre constitution reflète Ǧvi̓ḷás—nos lois et notre autorité qui gouvernent ces territoires depuis des temps immémoriaux. »
La constitution écrite arrive après cinq ans de consultation communautaire impliquant des aînés, des conseils de jeunes et des chefs de famille. Ce qui distingue l’approche Heiltsuk, c’est la façon dont elle enracine profondément la gouvernance moderne dans les pratiques précoloniales tout en abordant les défis contemporains comme la gestion des ressources, le logement et les relations avec le gouvernement canadien.
Le chef héréditaire Harvey Humchitt, qui a contribué à diriger le processus d’élaboration constitutionnelle, a souligné des dispositions spécifiques qui protègent les structures décisionnelles traditionnelles. « Notre constitution reconnaît à la fois les rôles de leadership héréditaire et élu, garantissant que notre gouvernance reflète qui nous sommes vraiment en tant que peuple Heiltsuk, » a-t-il déclaré pendant la cérémonie.
Le document aborde des questions pratiques comme la citoyenneté, l’intendance des terres, le développement économique et la résolution des conflits, mais le fait à travers une vision du monde Heiltsuk plutôt que de simplement reproduire les cadres juridiques occidentaux.
Val Napoleon, juriste de l’Université de Victoria qui a observé le processus sans y participer directement, a souligné l’importance de cette approche. « Ce que nous voyons, ce sont des ordres juridiques autochtones exprimés sous forme écrite sans perdre leur caractère essentiel, » a déclaré Napoleon. « Il ne s’agit pas simplement d’adopter des modèles constitutionnels canadiens—c’est exprimer le droit Heiltsuk d’une manière qui peut fonctionner dans le paysage complexe de la gouvernance d’aujourd’hui. »
La constitution comprend des dispositions pour gérer la relation de la Nation avec la Couronne tout en maintenant que les Heiltsuk n’ont jamais cédé leur souveraineté. Elle établit des directives pour la consultation concernant le développement des ressources au sein des territoires traditionnels qui s’étendent sur environ 35 000 kilomètres carrés de terre et de mer sur la côte centrale.
Le moment est particulièrement significatif alors que les Heiltsuk continuent de mettre en œuvre leur accord de protocole de réconciliation de 2018 avec le gouvernement provincial, qui reconnaissait certains aspects de l’autorité de gouvernance Heiltsuk. La nouvelle constitution crée des structures plus claires pour exercer ces droits reconnus.
Les jeunes membres de la communauté ont joué un rôle crucial dans le processus de rédaction. Hemas (Sara) Brown, 26 ans, a siégé au comité consultatif des jeunes qui a examiné les projets constitutionnels. « Notre génération comprend que nous avons besoin à la fois de nos connaissances traditionnelles et d’outils modernes pour protéger notre avenir, » a expliqué Brown tandis que des enfants jouaient près des tables du festin. « Cette constitution nous donne les deux. »
Le document aborde également des préoccupations économiques pratiques. Avec un taux de chômage avoisinant les 40 % à Bella Bella, la constitution établit des principes de développement économique durable qui doivent équilibrer la création d’emplois avec l’intendance environnementale et les valeurs culturelles.
Frank Brown, un leader héréditaire qui dirige l’Initiative de Leadership Autochtone, affirme que la constitution crée des mécanismes de responsabilisation qui renforceront la position de la Nation dans les négociations avec les gouvernements et l’industrie. « Lorsque des entreprises voudront opérer sur nos territoires, elles auront maintenant une compréhension claire de nos processus décisionnels et de nos valeurs, » a-t-il expliqué.
Le ministre des Relations avec les Autochtones de la C.-B., Murray Rankin, a assisté au festin de ratification, le qualifiant de « puissante expression d’autodétermination autochtone que la province respecte et soutient. » Les représentants fédéraux étaient notablement absents, bien que Services aux Autochtones Canada ait envoyé une déclaration écrite reconnaissant la réussite des Heiltsuk.
La constitution inclut des processus de résolution des conflits basés sur des pratiques traditionnelles plutôt que sur des systèmes judiciaires contradictoires. Ces processus intègrent des éléments cérémoniels aux côtés d’approches pratiques de résolution de problèmes utilisées au sein de la communauté depuis des générations.
L’adaptation au changement climatique figure également en bonne place dans le document. Avec la montée du niveau de la mer qui menace les zones côtières et les changements de température océanique affectant les sources alimentaires traditionnelles, la constitution impose une planification résiliente au climat dans toutes les décisions majeures.
« Notre peuple a survécu ici pendant plus de 14 000 ans en s’adaptant tout en restant fidèle à nos valeurs, » a déclaré l’aînée Pauline Waterfall, qui a aidé à rédiger le texte concernant les responsabilités environnementales. « Cette constitution poursuit cette tradition. »
Alors que la cérémonie d’une journée se concluait avec des chants du groupe de tambours des femmes Heiltsuk, la chef Slett a souligné que la ratification marque un début, pas une fin. « Maintenant vient le vrai travail de vivre notre constitution chaque jour, de l’enseigner à nos enfants et de l’utiliser pour construire l’avenir que nos ancêtres ont envisagé, » a-t-elle dit alors que les derniers aliments traditionnels étaient partagés.
Le processus constitutionnel Heiltsuk est observé attentivement par d’autres Premières Nations qui envisagent des cadres similaires. Bien que plus de 40 nations autochtones au Canada aient développé des constitutions écrites, l’approche Heiltsuk se distingue par son intégration profonde de la gouvernance traditionnelle aux besoins contemporains.
Avec le festin terminé et la constitution maintenant en vigueur, la communauté fait face au défi de la mise en œuvre dans la gouvernance quotidienne—un processus qui, selon les dirigeants, se déroulera sur des générations, et non simplement des années.