Le gouvernement fédéral a franchi une étape importante vers le positionnement du Canada comme chef de file en intelligence artificielle en nommant le tout premier ministre de l’IA du pays. Cette initiative démontre que Ottawa reconnaît que l’IA représente à la fois une opportunité économique transformatrice et une technologie nécessitant une gouvernance réfléchie.
François-Philippe Champagne, qui occupait auparavant le poste de ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, assumera ce rôle novateur tout en conservant son portefeuille actuel. Cette double nomination reflète la vision du gouvernement selon laquelle le développement de l’IA devrait être intégré aux politiques d’innovation plus larges plutôt que d’être isolé comme un domaine distinct.
« Nous assistons à un moment charnière dans l’évolution technologique », a déclaré Champagne lors d’une conférence de presse annonçant l’élargissement de son rôle. « Le Canada possède déjà des centres de recherche en IA de classe mondiale à Montréal, Toronto et Edmonton. Cette nomination officialise notre engagement à maintenir cette position de leadership tout en assurant un développement responsable. »
Le moment choisi n’est guère fortuit. Avec l’accélération du développement de l’IA à l’échelle mondiale, les pays se précipitent pour établir des cadres réglementaires et des avantages stratégiques. Les États-Unis ont récemment émis un décret exécutif détaillé sur la gouvernance de l’IA, tandis que l’Union européenne a fait progresser sa loi complète sur l’IA. L’initiative du Canada semble conçue pour s’assurer qu’il ne prend pas de retard dans l’élaboration des règles qui régiront cette technologie.
Jim Balsillie, ancien co-PDG de BlackBerry et président du Conseil des innovateurs canadiens, a qualifié la nomination de « reconnaissance nécessaire que l’IA requiert une attention ministérielle dédiée », tout en avertissant que « créer le poste n’est que la première étape – il doit être soutenu par un investissement substantiel et une politique réfléchie ».
Selon Statistique Canada, les entreprises liées à l’IA ont contribué à plus de 3 milliards de dollars à l’économie canadienne en 2023, avec des projections suggérant que ce chiffre pourrait tripler d’ici 2030. Le secteur emploie actuellement environ 75 000 Canadiens, la demande de travailleurs qualifiés dépassant constamment l’offre.
Le nouveau ministre ne manque pas de défis. Le principal d’entre eux sera la mise en œuvre de la Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD), qui a été introduite dans le projet de loi C-27 mais n’a pas encore été pleinement promulguée. La législation vise à réglementer les systèmes d’IA à haut risque tout en encourageant l’innovation, bien que les critiques soutiennent que ses définitions restent trop vagues.
« Le ministre devra naviguer dans des eaux difficiles », explique Elissa Strome, directrice exécutive de la Stratégie pancanadienne en matière d’IA au CIFAR. « Le Canada doit maintenir un avantage concurrentiel dans le développement de l’IA tout en établissant des garde-fous significatifs qui préviennent les applications nuisibles et les biais algorithmiques. »
Les groupes autochtones ont exprimé des préoccupations concernant la représentation dans la gouvernance de l’IA. Le Conseil des technologies des Premières Nations a récemment publié un document de position soutenant que les systèmes d’IA formés sur des ensembles de données qui excluent les perspectives autochtones risquent de perpétuer les préjugés coloniaux dans la prise de décision automatisée.
« Nous devons nous assurer que la stratégie canadienne en matière d’IA inclut les principes de souveraineté des données autochtones », a déclaré Denise Williams, PDG du Conseil des technologies des Premières Nations. « Sinon, nous risquons de créer des systèmes qui perpétuent les modèles historiques d’exclusion. »
La nomination représente également une opportunité d’aborder les défis persistants du Canada en matière de commercialisation de sa recherche de classe mondiale en IA. Malgré les avancées pionnières en apprentissage automatique grâce à des chercheurs comme Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Richard Sutton, le Canada a eu du mal à retenir les startups en IA, beaucoup se délocalisant aux États-Unis après les phases initiales de croissance.
« Nous avons excellé dans le développement de talents et de recherches en IA », note Abdullah Snobar, directeur exécutif de l’accélérateur technologique DMZ à l’Université métropolitaine de Toronto. « L’élément manquant a été de traduire cela en entreprises appartenant à des Canadiens qui créent des emplois et de la richesse ici. Le ministre Champagne a maintenant un mandat formel pour combler cette lacune. »
La réaction des entreprises à cette nomination a été prudemment optimiste. La Chambre de commerce du Canada l’a qualifiée de « signal positif aux investisseurs que le Canada reconnaît le potentiel transformateur de l’IA », tandis que les entrepreneurs technologiques ont exprimé l’espoir qu’elle conduirait à des orientations réglementaires plus claires.
« Les startups ont besoin de certitude réglementaire », déclare Amanda Whalen, fondatrice de ClearView, une entreprise torontoise d’éthique de l’IA. « Nous opérons dans une zone grise où les règles ne sont pas entièrement définies. Avoir un ministre dédié devrait accélérer le développement de cadres qui nous permettent d’innover de manière responsable. »
Les défenseurs de l’intérêt public ont exhorté le nouveau ministre à prioriser la transparence et la responsabilité algorithmiques. L’Association canadienne des libertés civiles a récemment mis en lumière les préoccupations concernant les systèmes d’IA déployés dans les services publics sans surveillance ou explicabilité adéquates.
« La nomination d’un ministre de l’IA crée une opportunité de centrer les droits humains dans l’approche du Canada en matière d’intelligence artificielle », a déclaré Brenda McPhail, directrice du Programme sur la vie privée, la technologie et la surveillance à l’ACLC. « Nous espérons que ce rôle garantira que l’IA serve l’intérêt public plutôt que simplement les intérêts commerciaux. »
Alors que Champagne assume ce poste pionnier, il subira des pressions pour livrer des résultats concrets dans un domaine où le changement technologique dépasse le développement des politiques. Son efficacité sera probablement mesurée non seulement par le succès commercial du Canada en IA, mais aussi par la façon dont le pays équilibre l’innovation avec les protections essentielles pour la vie privée, l’équité et l’autonomie humaine.
Pour les Canadiens ordinaires, la création de ce rôle ministériel signale que l’IA n’est plus simplement une curiosité technique, mais une force transformatrice qui nécessite une attention politique dédiée. Reste à voir si cette attention se traduira par une gouvernance significative.