Alors que la lumière matinale d’Ottawa filtrait à travers les fenêtres de l’assemblée législative du Nouveau-Brunswick mardi dernier, le premier ministre Blaine Higgs a pris ce que beaucoup considèrent comme la mesure la plus audacieuse à ce jour pour démanteler les barrières commerciales internes du Canada. La province a présenté un projet de loi visant à reconnaître automatiquement les certifications professionnelles des autres provinces et territoires – mettant ainsi fin à des décennies d’obstacles bureaucratiques pour des milliers de travailleurs qualifiés.
« Nous ne pouvons plus nous permettre d’être une île isolée, » m’a confié le premier ministre Higgs lors d’un entretien téléphonique suivant l’annonce. « Quand un électricien qualifié de l’Alberta ne peut pas câbler une maison à Moncton sans des mois de paperasse, personne n’y gagne. »
La Loi sur la mise en œuvre de l’Accord sur le commerce, l’investissement et la mobilité de la main-d’œuvre reconnaîtrait immédiatement la plupart des qualifications professionnelles et des métiers des autres provinces dès l’arrivée d’un travailleur au Nouveau-Brunswick. Cela représente la première tentative provinciale globale pour s’attaquer à ce que la Chambre de commerce du Canada a identifié comme un frein annuel de 130 milliards de dollars à notre économie en raison des barrières commerciales interprovinciales.
En parcourant le centre-ville de Fredericton après l’annonce, les implications se faisaient déjà sentir dans les cercles d’affaires locaux. Au café Java Moose, l’entrepreneur en construction Paul Leblanc sirotait un café de l’après-midi tout en faisant défiler les nouvelles concernant la législation sur son téléphone.
« J’ai perdu trois bons travailleurs au cours de l’année dernière parce qu’ils ne pouvaient pas obtenir leur certification ici assez rapidement, » a déclaré Leblanc, la frustration évidente dans sa voix. « Pendant ce temps, j’ai des contrats que je ne peux pas honorer. Ça pourrait tout changer. »
La législation s’attaque à ce que les économistes ont longtemps décrit comme un handicap économique auto-imposé du Canada. Malgré la promesse de libre-échange à l’intérieur de nos frontières en vertu de l’article 121 de la Constitution, la réalité a été une mosaïque de réglementations qui varient considérablement d’une province à l’autre.
Les restrictions à la mobilité de la main-d’œuvre ont été particulièrement problématiques. Selon la dernière analyse de l’Institut C.D. Howe, près de 20% de la main-d’œuvre canadienne nécessite une forme de licence professionnelle, avec des exigences qui se transfèrent rarement facilement d’une province à l’autre.
La ministre du Développement économique du Nouveau-Brunswick, Arlene Dunn, a présenté la question en termes clairs lors de la première lecture du projet de loi : « Nous sommes une province de 775 000 habitants qui perd sa population tout en étant voisine d’un marché de 330 millions. Nous devons être l’endroit le plus facile au Canada où s’installer, travailler et investir. »
La législation s’appuie sur les bases établies par l’Accord de libre-échange canadien de 2017, qui tentait d’harmoniser les réglementations entre les provinces mais dont la mise en œuvre restait largement volontaire. L’approche du Nouveau-Brunswick diffère en prenant des mesures unilatérales – en déclarant essentiellement qu’ils reconnaîtront les normes des autres même sans accords réciproques.
Tout le monde ne considère pas cette initiative comme une bonne nouvelle sans réserve. Lors des audiences du comité auxquelles j’ai assisté, des représentants de plusieurs organismes de réglementation professionnelle ont exprimé des préoccupations quant au maintien des normes et de la sécurité publique.
« Il existe de réelles différences dans les exigences de formation entre les provinces, » a expliqué Janet Morris, représentant l’Association des infirmières et infirmiers auxiliaires autorisés du Nouveau-Brunswick. « Notre préoccupation n’est pas le protectionnisme – c’est de s’assurer que tous ceux qui exercent ici répondent aux normes attendues par les Néo-Brunswickois. »
L’approche de la province répond à ces préoccupations en maintenant une liste d’exceptions où les préoccupations de sécurité publique l’emportent sur les avantages de la reconnaissance automatique. Les professions de santé présentant des différences significatives dans le champ d’exercice nécessiteront toujours une évaluation au cas par cas.
Les réactions politiques ont largement suivi des schémas prévisibles. L’opposition libérale a critiqué le projet de loi comme pouvant potentiellement saper les normes locales, tandis que les Verts se demandent s’il donne trop de pouvoir aux entreprises hors province.
« Nous soutenons le principe, » a noté la chef libérale Susan Holt dans une déclaration. « Mais le diable est toujours dans les détails. Cela va-t-il devenir une course vers le bas pour les normes professionnelles? »
Ce qui rend le geste du Nouveau-Brunswick particulièrement significatif, c’est son timing. Face aux défis démographiques sans précédent des provinces atlantiques, la concurrence pour les travailleurs qualifiés s’est intensifiée. Des représentants de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard étaient présents lors de l’annonce, les deux provinces indiquant qu’elles suivent l’évolution de près en vue de mesures similaires.
Lors de la Conférence sur le commerce interprovincial d’Ottawa le mois dernier, les barrières commerciales internes ont dominé les discussions entre les ministres provinciaux du commerce. Le consensus était que des actions sont nécessaires, mais le Nouveau-Brunswick est le premier à agir de manière globale plutôt qu’incrémentale.
Le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a offert un soutien prudent, déclarant aux journalistes : « Toute étape vers une économie nationale plus intégrée mérite une considération sérieuse. Nous examinons l’approche du Nouveau-Brunswick pour voir si elle pourrait éclairer la politique fédérale. »
La législation aborde également d’autres irritants commerciaux, notamment les pratiques d’approvisionnement provinciales qui ont historiquement favorisé les fournisseurs locaux, parfois à un coût supplémentaire important pour les contribuables. Selon les nouvelles règles, les entreprises de toutes les provinces seraient en concurrence sur un pied d’égalité pour les contrats gouvernementaux dépassant certains seuils.
Le Conseil canadien des affaires estime que la mise en œuvre complète du libre-échange intérieur pourrait ajouter entre 50 et 130 milliards de dollars au PIB du Canada – environ 4 000 $ par ménage annuellement.
Fait révélateur, la province a inclus une clause de temporisation exigeant un examen de la législation après cinq ans pour évaluer son impact économique. Cette approche pragmatique a gagné le soutien des groupes d’affaires qui ont longtemps plaidé pour une politique fondée sur des données probantes concernant les questions commerciales.
Alors que les ombres de l’après-midi s’allongeaient sur Fredericton, j’ai parlé avec Alex LeBlanc du Conseil d’entreprises du Nouveau-Brunswick, qui a offert une perspective qui semblait capturer l’ambiance : « Pendant des décennies, nous avons parlé du commerce intérieur comme s’il s’agissait d’un concept économique abstrait. Mais ce n’est pas le cas. Il s’agit de savoir si un coiffeur du Québec peut couper les cheveux à Edmundston sans recyclage. Il s’agit de savoir si une entreprise du Nouveau-Brunswick peut soumissionner pour des contrats en Ontario sans certifications spéciales. Ce sont de véritables barrières qui affectent de vraies personnes. »
Avec l’adoption de la législation prévue dans les semaines à venir, l’expérience du Nouveau-Brunswick en matière d’ouverture interprovinciale pourrait devenir le modèle que d’autres provinces suivront – ou éviteront – selon son succès. Quoi qu’il en soit, elle représente la tentative la plus ambitieuse à ce jour pour réaliser la promesse d’union économique qui reste insaisissable depuis la Confédération.