Je me souviens encore d’être entré dans une pharmacie de Toronto l’été dernier, observant une cliente qui se disputait avec le pharmacien concernant la couverture d’un médicament pour la santé mentale. « Mais mon régime couvre cela, » insistait la femme, agitant son téléphone avec l’application d’assurance. Le pharmacien haussa les épaules, impuissant. Ce moment illustre parfaitement les points de friction dans le système d’avantages sociaux canadien – un système à la fois essentiel mais souvent frustrant pour les 27 millions de Canadiens qui en dépendent.
Lorsque Green Shield Canada a annoncé sa fusion avec Canada Life l’année dernière, créant GSC Holdings, ce n’était pas simplement un autre remaniement corporatif. Cela signalait quelque chose de plus profond qui se produisait dans l’assurance santé canadienne – une industrie rarement associée à l’innovation ou à la perturbation.
« La fusion représente une réinvention fondamentale de la façon dont la prestation des avantages sociaux peut fonctionner au Canada, » explique Zahid Salman, PDG de GSC Holdings. « Nous essayons de résoudre le décalage entre les modèles d’assurance traditionnels et la façon dont les Canadiens vivent réellement les soins de santé aujourd’hui. »
Ce qui rend l’approche de GSC remarquable, c’est sa structure d’entreprise inhabituelle. En tant qu’entreprise sociale, GSC Holdings maintient un volet d’assurance santé à but non lucratif aux côtés de filiales à but lucratif. Ce modèle hybride génère à la fois des solutions pour les clients et un impact social – une combinaison rare dans les services financiers.
Le paysage des avantages sociaux de santé canadien est resté relativement inchangé depuis des décennies. La plupart des Canadiens reçoivent une couverture par l’intermédiaire des régimes d’employeurs, quelques grands assureurs dominant le marché. Les innovations de service se sont produites de manière progressive plutôt que transformative. Pendant ce temps, les coûts de soins de santé continuent d’augmenter à des taux supérieurs à l’inflation.
« Le statu quo n’était pas viable, » note Maria Vandenhurk, consultante en avantages sociaux chez Mercer Canada. « Les employeurs avaient besoin d’un meilleur contrôle des coûts tandis que les employés voulaient des options de soins plus personnalisées. Quelque chose devait céder. »
L’approche de GSC cible plusieurs points de douleur dans le modèle traditionnel. Premièrement, elle s’attaque à la fragmentation entre la couverture d’assurance et la prestation réelle des soins de santé. Grâce à son service de santé mentale numérique Inkblot et aux opérations de pharmacie spécialisée NKS Health, GSC tente de combler les lacunes où la couverture existe techniquement mais où l’accès reste difficile.
« Prétendre couvrir la santé mentale tout en faisant attendre les patients huit mois pour voir un thérapeute n’est pas une couverture significative, » déclare Dr. Luke Doherty, directeur clinique chez Inkblot. « Nous essayons de créer un système où la composante d’assurance et la prestation de soins fonctionnent ensemble plutôt que dans des silos séparés. »
Les rapports financiers montrent que la stratégie semble fonctionner. GSC Holdings a signalé une croissance de 12% dans sa division des services de santé numérique au dernier trimestre, avec des scores de satisfaction des patients dépassant les moyennes de l’industrie de 18 points selon les sondages J.D. Power.
La structure à but non lucratif de l’entreprise permet également des expériences intéressantes avec l’impact social. L’année dernière, GSC a engagé 25 millions de dollars pour des initiatives de santé communautaire ciblant les populations mal desservies. Cela comprenait un programme dentaire pour les aînés à faible revenu et un soutien en santé mentale pour les nouveaux Canadiens – des groupes souvent négligés par les modèles d’assurance traditionnels.
« Quand vous n’avez pas d’actionnaires exigeant une croissance trimestrielle, vous pouvez prendre des décisions différentes, » explique Brent Allen, chef de la stratégie de GSC. « Nous mesurons le succès par les résultats de santé et les améliorations d’accessibilité, pas seulement par les rendements financiers. »
L’approche de GSC soulève des questions fascinantes sur l’avenir de la couverture santé canadienne. Les compagnies d’assurance privées peuvent-elles efficacement fournir des biens publics? Le modèle d’entreprise sociale offre-t-il des avantages par rapport aux systèmes purement à but lucratif et gouvernementaux?
Tout le monde n’est pas convaincu. Dr. Mei Wong, chercheuse en politique de soins de santé à l’UBC, met en garde contre la surestimation des solutions du secteur privé pour les défis systémiques des soins de santé.
« Bien que les innovations de GSC puissent améliorer la prestation de services pour ceux qui sont déjà couverts, elles ne répondent pas fondamentalement aux problèmes d’équité et d’accès dans notre système de santé plus large, » soutient Wong. « Nous devons distinguer entre améliorer le fonctionnement de l’assurance et améliorer le fonctionnement des soins de santé pour tous. »
Le contexte de santé canadien rend ces questions particulièrement importantes. Contrairement au système américain, où l’assurance privée est le principal point d’accès pour beaucoup, le système de santé universel public du Canada crée une dynamique différente. Les avantages privés comblent des lacunes cruciales non couvertes par les régimes provinciaux – soins dentaires, vision, produits pharmaceutiques, et de plus en plus, services de santé mentale.
Des données récentes de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes montrent que ces régimes privés versent près de 30 milliards de dollars annuellement, couvrant plus de 12 millions d’ordonnances et 70 millions de visites dentaires. L’intégration des services de santé numérique dans ces régimes s’est considérablement accélérée pendant la pandémie, les réclamations pour soins virtuels augmentant de 5 000% entre 2019 et 2021.
Pour les employeurs, qui financent la majorité de ces régimes, les enjeux sont significatifs. Les coûts des avantages représentent maintenant entre 10-15% de la masse salariale pour l’entreprise canadienne moyenne selon les données d’Aon Hewitt. Les réclamations pour santé mentale en particulier ont doublé au cours des cinq dernières années.
« Nous devons réimaginer les avantages comme des investissements en santé plutôt que des coûts de rémunération, » dit Janice Thompson, VP des Ressources humaines chez Maple Leaf Foods. « Les entreprises qui considèrent les avantages strictement comme des dépenses à minimiser passent à côté de l’image plus large de la santé et de la productivité de la main-d’œuvre. »
Les employés utilisant ces avantages ont également des attentes changeantes. Les travailleurs millénariaux et de la génération Z considèrent de plus en plus le soutien de santé personnalisé comme un avantage fondamental d’emploi plutôt qu’un simple bonus. Les données d’enquête de Benefits Canada montrent que 72% des travailleurs de moins de 35 ans envisageraient de changer d’emploi pour une meilleure couverture santé.
De retour dans cette pharmacie de Toronto, la résolution était révélatrice. La cliente a finalement sorti une application secondaire – celle du programme PAE de son employeur, pas son assureur – qui fournissait un code d’autorisation différent. Deux systèmes, déconnectés mais atteignant finalement le bon résultat grâce à la persévérance du consommateur.
Alors que GSC poursuit son expérience avec la prestation de soins intégrés et la couverture, ce genre de point de friction est exactement ce qu’ils ciblent. Que leur approche représente l’avenir des avantages sociaux de santé canadiens ou simplement un cas particulier intéressant reste à voir. Ce qui est clair, c’est que les frontières traditionnelles entre les compagnies d’assurance, les prestataires de soins de santé et les organisations à impact social s’estompent.
Pour les Canadiens ordinaires naviguant dans leurs besoins de santé, les enjeux ne pourraient être plus élevés. La question n’est pas seulement à propos des structures d’entreprise ou des parts de marché – il s’agit de savoir si nos systèmes d’avantages peuvent évoluer pour mieux servir à la fois les résultats de santé individuels et communautaires dans un paysage de soins de santé de plus en plus complexe.