Par un matin glacial de février à Thunder Bay, la paramédic Sarah Winters manœuvre son ambulance à travers une énième tempête de neige. Son patient, un homme âgé souffrant de douleurs thoraciques, a besoin de l’urgence la plus proche. Ce qui devrait être une décision simple se complique lorsque l’hôpital le plus proche affiche un temps d’attente de six heures.
« Nous prenons ces décisions de vie ou de mort avec des informations fragmentaires, » me confie Winters alors que nous sommes assis dans le salon des paramédics pendant sa rare pause. « Parfois, je me demande combien de patients auraient connu des issues différentes si nous avions des données en temps réel à portée de main. »
Ce scénario se répète quotidiennement à travers l’immense territoire canadien, mettant en lumière une lacune critique dans notre système de santé : une infrastructure de données de santé fragmentée. Mais une initiative révolutionnaire vise à changer cette réalité.
Le mois dernier, Santé Canada a lancé le Partenariat pour l’infrastructure canadienne des données de santé, un investissement de 500 millions de dollars visant à moderniser la circulation des informations de santé entre les provinces, les territoires et les prestataires de soins. Ce partenariat représente l’investissement le plus important de l’histoire canadienne dans les systèmes de données de santé.
« Notre système de santé fonctionne comme des îles séparées plutôt que comme un continent connecté, » explique le Dr Alika Lafontaine, président de l’Association médicale canadienne. « Les antécédents médicaux d’un patient en Colombie-Britannique peuvent être complètement invisibles lorsqu’il a besoin de soins d’urgence en Nouvelle-Écosse. Ce partenariat vise à construire des ponts entre ces îles. »
L’initiative arrive à un moment critique. L’Institut canadien d’information sur la santé rapporte que près de 40% des Canadiens ont éprouvé des difficultés à accéder aux soins pendant la pandémie, les systèmes d’information fragmentés étant cités comme un obstacle majeur. Dans les communautés éloignées et autochtones, ces défis sont encore plus prononcés.
J’ai visité Sioux Lookout, en Ontario, où Joseph Beardy, travailleur de santé communautaire anishinaabe, a décrit les lacunes d’information dont il est témoin quotidiennement. « Nos gens voyagent des centaines de kilomètres pour des soins spécialisés, pour découvrir à leur arrivée que leurs résultats d’analyses n’ont pas été transférés, » dit-il. « Ils sont alors forcés de répéter les tests ou de reporter leurs rendez-vous. Ce n’est pas seulement inefficace—c’est nuisible. »
Le nouveau partenariat propose une approche à trois volets pour résoudre ces problèmes. Premièrement, il établira des normes nationales de données pour garantir que les informations de santé puissent être partagées sans heurts entre les frontières provinciales et territoriales. Deuxièmement, il investira dans une infrastructure numérique sécurisée pour protéger les données sensibles des patients. Troisièmement, il créera un cadre de gouvernance qui respecte la vie privée tout en permettant la coordination entre les prestataires de soins.
Le Dr Vivek Goel, médecin de santé publique et président de l’Université de Waterloo, y voit un énorme potentiel. « Lorsque nous pouvons analyser les données de santé entre les régions, nous acquérons le pouvoir d’identifier plus tôt les épidémies, d’évaluer plus précisément l’efficacité des traitements et de remédier aux inégalités de santé qui pourraient autrement rester invisibles, » a-t-il expliqué lors d’une récente conférence à l’Université de Toronto.
L’initiative promet également des avantages économiques. Le Conference Board du Canada estime qu’un système de données de santé modernisé pourrait faire économiser 5 milliards de dollars par an au système de santé grâce à la réduction des tests en double et à une coordination des soins plus efficace. De plus, il pourrait créer des milliers d’emplois dans le secteur en pleine croissance de la technologie de la santé au Canada.
Les experts en protection de la vie privée préviennent que l’initiative doit privilégier des garanties solides. « Les données de santé font partie de nos informations personnelles les plus sensibles, » note Teresa Scassa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et politique de l’information à l’Université d’Ottawa. « Le partenariat doit veiller à ce que les protections de la vie privée ne soient pas sacrifiées au nom de l’efficacité. »
Les leaders autochtones soulignent que tout système national de données doit respecter les principes de souveraineté des données des Premières Nations. « Nos communautés doivent conserver la propriété et le contrôle des informations concernant la santé de notre peuple, » affirme le Grand Chef Garrison Settee de Manitoba Keewatinowi Okimakanak. Le partenariat s’est engagé à une participation significative des Autochtones tout au long de sa mise en œuvre.
Pour les travailleurs de la santé de première ligne comme l’infirmière praticienne Maya Cheng à l’Hôpital général de Vancouver, l’initiative représente un espoir face aux pressions croissantes du système. « Chaque jour, je perds un temps précieux à chercher des informations qui devraient être facilement disponibles, » dit-elle. « Du temps que je pourrais passer avec les patients. »
Le partenariat fait face à d’importants défis de mise en œuvre. Les systèmes de santé provinciaux ont historiquement fonctionné indépendamment, avec différents degrés de maturité numérique. Harmoniser ces systèmes nécessitera une coopération sans précédent entre les juridictions.
Le ministre de la Santé Mark Holland reconnaît la complexité mais reste optimiste. « Il ne s’agit pas seulement de technologie—il s’agit de bâtir la confiance entre les gouvernements, les prestataires de soins et, plus important encore, les patients, » a-t-il déclaré lors de l’annonce du partenariat.
L’initiative se déploiera sur cinq ans, les premiers efforts se concentrant sur des domaines prioritaires comme la coordination des soins d’urgence, l’information sur les médicaments d’ordonnance et les résultats d’imagerie diagnostique. Le succès sera mesuré non seulement par des jalons techniques, mais par des améliorations tangibles dans l’expérience des patients.
De retour à Thunder Bay, la paramédic Winters espère que les changements arriveront assez tôt pour faire une différence dans son travail quotidien. « Chaque minute compte dans les soins d’urgence, » dit-elle. « De meilleures informations signifient de meilleures décisions, et de meilleures décisions sauvent des vies. »
Alors que le Canada se lance dans cet effort ambitieux pour connecter ses systèmes de données de santé, la véritable mesure du succès sera de savoir si les patients comme l’homme âgé dans l’ambulance de Winters reçoivent des soins plus rapides et mieux coordonnés. Dans un pays défini par de vastes distances et des communautés diverses, construire ces ponts numériques pourrait s’avérer aussi essentiel que l’infrastructure physique qui nous relie.