Dans une décision historique qui révèle l’évolution des rapports de force entre les communautés autochtones et les industries d’extraction de ressources, trois Premières Nations de la Colombie-Britannique ont réussi à négocier une pause de deux ans sur les activités minières dans leurs territoires traditionnels. L’accord, annoncé hier par les responsables provinciaux et les chefs tribaux, couvre près de 8 000 kilomètres carrés de terres riches en minéraux dans le nord-ouest de la C.-B.
Les Premières Nations Tahltan, Kaska et Taku River Tlingit ont obtenu ce moratoire après des mois de négociations intensives avec le gouvernement provincial et les parties prenantes du secteur minier. La cheffe Marie Quock des Tahltan a décrit cette pause comme « une période de répit pour développer des cadres de consultation appropriés qui respectent nos droits et nos titres sur des terres que nous gérons depuis des milliers d’années. »
Les territoires concernés comprennent plusieurs sites d’exploration actifs et des projets de développement proposés évalués à plus de 4 milliards de dollars en extraction potentielle de minerais. Les analystes de l’industrie suggèrent que cette pause reflète un changement significatif dans la façon dont les projets de ressources progressent dans les provinces riches en ressources du Canada.
« Il ne s’agit pas d’arrêter définitivement le développement, » explique Chad Norman Day, président du gouvernement central Tahltan. « Il s’agit de garantir que notre peuple ait une contribution significative à ce qui se passe sur nos terres, et que les protections environnementales correspondent à nos valeurs en tant que peuples autochtones. » Day a souligné les préoccupations concernant les impacts sur les bassins versants et les perturbations des corridors fauniques que les évaluations minières précédentes n’avaient pas suffisamment abordées.
Le ministre de l’Énergie et des Mines de la C.-B. a reconnu l’impact économique temporaire mais a présenté la décision comme un investissement pour de meilleurs résultats à long terme. « L’époque où l’on imposait des décisions en matière de ressources aux Premières Nations est révolue, » a déclaré le ministre lors de la conférence de presse à Victoria. « Les entreprises qui adoptent un véritable partenariat avec les communautés autochtones trouveront des environnements d’investissement plus stables à l’avenir. »
Selon un récent sondage de l’Institut Angus Reid, près de 68% des Britanno-Colombiens soutiennent des exigences de consultation autochtone plus strictes pour les projets de ressources, ce qui représente un changement significatif dans l’opinion publique au cours de la dernière décennie. Le même sondage a révélé que 72% croient que les protections environnementales devraient avoir préséance sur le développement rapide des ressources.
Les compagnies minières touchées par la pause ont réagi de façon mitigée. Valor Resources, qui détient des droits d’exploration d’un gisement de cuivre dans le territoire touché, a exprimé sa frustration face aux retards du projet, mais a reconnu la nécessité d’améliorer les relations. « Nous sommes déterminés à trouver des solutions qui fonctionnent pour toutes les parties, » a déclaré la porte-parole de l’entreprise, Jennifer Marsh. « Cette pause nous donne l’occasion de repenser notre approche de l’engagement communautaire. »
Ce moratoire n’est pas sans précédent. Des restrictions temporaires similaires ont été mises en œuvre dans les régions nordiques du Québec et dans certaines parties du Territoire du Yukon, bien que couvrant généralement des zones plus petites. Ce qui rend ce cas remarquable, c’est la coalition de Premières Nations travaillant ensemble au-delà des frontières traditionnelles pour aborder des préoccupations communes.
« Nous avons vu trop de communautés confrontées aux conséquences d’une extraction mal planifiée, » affirme l’Aîné William Davidson de la Nation Kaska. « Le saumon ne reconnaît pas les lignes territoriales sur une carte, pas plus que la contamination de l’eau. Notre approche doit être holistique. »
Au-delà de la pause immédiate, l’accord établit un comité de surveillance conjoint comprenant des représentants de chaque Première Nation, des régulateurs provinciaux et des experts environnementaux indépendants. Ce comité élaborera de nouveaux protocoles de consultation et des normes d’évaluation environnementale que les entreprises devront respecter avant que de futurs projets puissent avancer.
L’impact économique s’étend au-delà des sociétés minières. Les fournisseurs d’équipement locaux, les entreprises de transport et les prestataires de services dans des communautés comme Smithers et Dease Lake prévoient des ralentissements temporaires de l’activité économique. Cependant, l’agent de développement économique régional Martin Radley suggère que cette pause pourrait finalement renforcer l’économie régionale. « Quand nous établissons correctement ces relations, nous observons un développement plus durable avec des bénéfices locaux plus solides. Une douleur à court terme pour une stabilité à long terme a du sens. »
Les experts juridiques autochtones considèrent cet accord comme la preuve de la mise en œuvre pratique des principes établis dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que la Colombie-Britannique a officiellement adoptée dans sa législation provinciale en 2019. La déclaration exige un consentement libre, préalable et éclairé pour les projets de développement affectant les territoires autochtones.
« Ce que nous voyons, c’est la réconciliation qui passe des batailles judiciaires aux solutions négociées, » déclare Heather Cochrane, professeure de droit autochtone à l’Université de Victoria. « Ces Premières Nations affirment leur juridiction par la gouvernance plutôt que par des litiges, ce qui représente une évolution importante. »
Pour de nombreux membres de la communauté, cette pause représente quelque chose de profondément personnel. « Mon grand-père piégeait et chassait dans ces montagnes, » explique Jason Dennis, membre du conseil des jeunes Tahltan. « Mais mes enfants méritent plus que des histoires sur ce qui existait autrefois. Ils méritent de faire l’expérience de ces terres comme elles ont toujours été. »
Les groupes de conservation ont applaudi cette décision, notant que les territoires concernés comprennent des habitats essentiels pour les troupeaux de caribous menacés et des bassins versants intacts qui soutiennent cinq espèces de saumon sauvage. Mark Worthing, porte-parole de Sierra Club BC, a qualifié cette pause de « rare opportunité d’évaluer correctement les impacts cumulatifs avant que des dommages irréversibles ne se produisent. »
Alors que le compte à rebours de deux ans commence, toutes les parties reconnaissent qu’un travail considérable les attend. Le gouvernement provincial s’est engagé à financer une planification complète de l’utilisation des terres qui cartographiera les zones culturellement importantes et les sensibilités environnementales avant que de nouveaux permis d’extraction ne soient envisagés.
Reste à voir si cette pause représente un ralentissement temporaire ou une restructuration fondamentale des relations de développement des ressources en Colombie-Britannique. Ce qui est clair, c’est que les Premières Nations réussissent de plus en plus à faire valoir leurs droits à une participation significative aux décisions concernant leurs territoires ancestraux, remodelant ainsi l’économie des ressources du Canada.