Dans l’ombre de la saison des feux de forêt au Manitoba, les communautés des Premières Nations élèvent leurs voix contre un problème qui couve depuis des années. Bien qu’elles subissent le plus lourd tribut des incendies chaque saison, de nombreuses communautés autochtones manquent d’équipements de lutte contre les incendies pour protéger leurs foyers et leurs terres.
« Nous demandons des équipements adéquats depuis plus d’une décennie, » déclare la Cheffe Shirley Ducharme de la Nation crie O-Pipon-Na-Piwin. Lors des évacuations de l’été dernier, des membres de sa communauté sont restés sur place avec des tuyaux d’arrosage et des outils de fortune pour combattre les flammes qui approchaient. « Notre peuple ne devrait pas avoir à choisir entre l’évacuation et la lutte contre les incendies avec des ressources inadéquates. »
Le Manitoba Keewatinowi Okimakanak (MKO), qui représente les Premières Nations du nord, a formellement appelé les gouvernements provincial et fédéral à combler cette lacune critique. Leur demande est simple : fournir aux communautés des équipements essentiels de lutte contre les incendies avant que la saison des feux 2024 ne s’intensifie.
Selon les données de Services aux Autochtones Canada, les communautés des Premières Nations font face à des risques d’incendie près de trois fois supérieurs à ceux des communautés non-autochtones, tout en recevant proportionnellement moins d’infrastructures de lutte contre les incendies. La pénurie d’équipement ne concerne pas seulement les camions de pompiers, mais aussi les pompes, les tuyaux et les équipements de protection qui pourraient faire la différence entre sauver ou perdre des maisons.
L’Organisation des mesures d’urgence du Manitoba reconnaît cette disparité. « Nous reconnaissons la nécessité d’améliorer la capacité de réponse aux feux de forêt dans les communautés éloignées, » affirme Thomas Reynolds, coordinateur provincial des urgences. « Le défi implique les responsabilités juridictionnelles entre différents paliers de gouvernement. »
Cette complexité juridictionnelle a créé un dangereux fossé. Alors que la province gère la réponse aux feux de forêt dans tout le Manitoba, l’infrastructure dans les réserves relève de la responsabilité fédérale via Services aux Autochtones Canada. Les communautés se retrouvent souvent prises entre ces mandats qui se chevauchent.
La saison des feux de forêt de l’été dernier a déplacé plus de 4 000 personnes des communautés du nord du Manitoba. La Croix-Rouge canadienne a rapporté que près de 70 % des évacués provenaient des territoires des Premières Nations, soulignant l’impact disproportionné sur les populations autochtones.
La Cheffe Betsy Kennedy de la Première Nation de War Lake se souvient avoir vu des membres de la communauté combattre les incendies avec les outils qu’ils pouvaient trouver. « Notre peuple utilisait des pelles et des seaux en attendant l’arrivée des secours, » explique-t-elle. « Avec un équipement adéquat, nous aurions pu contenir certains de ces incendies avant qu’ils ne menacent nos maisons. »
La pénurie d’équipement reflète un problème plus profond dans la gestion des urgences dans les communautés autochtones éloignées. Quand les minutes comptent dans la réponse aux incendies, de nombreuses Premières Nations se trouvent à des heures des services professionnels de lutte contre les incendies les plus proches.
Les statistiques du Bureau du commissaire aux incendies du Manitoba montrent des temps de réponse moyens dépassant trois heures pour les communautés nordiques éloignées, comparativement à moins de 15 minutes dans les régions du sud. Cette disparité transforme des incendies gérables en catastrophes potentielles.
Le Grand Chef Garrison Settee du MKO cite des programmes autochtones de lutte contre les incendies réussis dans d’autres provinces comme modèles potentiels. « En Colombie-Britannique et en Ontario, les Premières Nations ont développé leurs propres forces de lutte contre les incendies avec une formation et un équipement adéquats, » note-t-il. « Le Manitoba doit investir dans un renforcement similaire des capacités. »
L’appel à l’équipement s’accompagne d’une vision plus large : développer des systèmes d’intervention d’urgence dirigés par les Autochtones qui combinent les connaissances traditionnelles avec les techniques modernes de lutte contre les incendies. Cette approche a montré des promesses dans d’autres régions, où les pompiers autochtones comprennent les paysages uniques qu’ils protègent.
Un rapport de 2023 du Bureau d’assurance du Canada estimait que chaque dollar investi dans la prévention et la préparation aux feux de forêt permet d’économiser environ sept dollars en coûts d’intervention d’urgence et de rétablissement. Pour les communautés éloignées, ce rapport coût-bénéfice pourrait être encore plus dramatique.
Le ministre provincial des Services d’urgence, Ron Schuler, a reconnu le problème, s’engageant à « explorer les options » pour améliorer l’intervention d’urgence dans les régions éloignées. Cependant, les dirigeants des Premières Nations soulignent que l’exploration doit rapidement se traduire en action avant la prochaine saison des incendies.
Certaines communautés n’attendent pas les solutions gouvernementales. La Nation crie de Fisher River a lancé une initiative de collecte de fonds communautaire pour acheter leur propre équipement de lutte contre les incendies. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre une autre saison, » déclare le conseiller Carl Cochrane. « La sécurité de notre peuple dépend de notre préparation. »
L’Association des pompiers autochtones du Manitoba a offert d’aider à coordonner la distribution d’équipement et la formation si le gouvernement fournit les ressources nécessaires. Leur réseau de bénévoles soutient déjà de nombreuses communautés, mais ils manquent de financement pour résoudre de manière globale les pénuries d’équipement.
Avec le changement climatique qui intensifie les risques de feux de forêt dans toute la province, le manque d’équipement représente plus qu’un inconvénient – c’est un problème humanitaire potentiel. Les communautés disposant de ressources adéquates de lutte contre les incendies connaissent moins d’évacuations et se rétablissent plus rapidement lorsque des catastrophes surviennent.
Pour la Cheffe Ducharme, la solution semble évidente : « Donnez-nous les outils pour nous protéger. Nous connaissons nos terres. Nous savons où les incendies sont susceptibles de commencer et comment ils se propagent. Avec un équipement adéquat, nous pouvons être la première ligne de défense pour nos communautés. »
Alors que le Manitoba se prépare à une autre saison d’incendies potentiellement dangereuse, la question demeure de savoir si les gouvernements répondront à ces appels avec l’urgence que les dirigeants des Premières Nations estiment que la situation exige. Pour les communautés encore en train de se remettre des évacuations de l’année dernière, la réponse ne peut pas venir assez tôt.