Ce chiffre m’a frappé comme un vent froid venant du canal Rideau – 3,2 millions de logements. C’est ce dont le Canada a besoin de construire pour résoudre notre crise du logement, selon le dernier rapport choc du directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, publié hier.
J’ai couvert les politiques de logement pendant près d’une décennie, mais voir ce nombre quantifié de façon aussi brutale illustre l’ampleur de ce que de nombreux Canadiens ressentent déjà dans leur vie quotidienne. De l’île de Vancouver jusqu’au Cap-Breton, les familles étirent davantage leurs budgets tandis que le rêve de devenir propriétaire s’éloigne de plus en plus.
« Nous avons dépassé le stade des solutions progressives, » m’a confié Giroux lors d’un bref entretien téléphonique après la publication du rapport. « Le Canada fait face à un déficit structurel en matière de logement qui affecte la stabilité économique, la mobilité sociale et, en fin de compte, notre prospérité nationale. »
L’analyse du DPB montre que la pénurie de logements s’est considérablement aggravée depuis 2019, quand les estimations suggéraient un écart de 1,8 million d’unités. Le quasi-doublement de ce chiffre reflète à la fois la croissance démographique et l’incapacité de la construction à suivre le rythme de la demande.
En me promenant dans le quartier Liberty Village de Toronto la semaine dernière, j’ai rencontré Shauna Mackenzie, une infirmière qui fait 90 minutes de trajet dans chaque sens pour se rendre à son travail dans un hôpital du centre-ville. « Mes parents ont acheté leur maison pour trois fois le salaire annuel de mon père, » a-t-elle dit, appuyée contre la rambarde du balcon de son appartement de 450 pieds carrés. « Je gagne bien ma vie, mais je consacre près de 50% de mes revenus à cet appartement. Comment peut-on s’en sortir?«
Son histoire n’est pas unique. Selon les données de Statistique Canada publiées en même temps que le rapport du DPB, environ 34% des ménages canadiens dépensent maintenant plus que les 30% recommandés de leurs revenus pour le logement – contre 24% il y a une décennie.
Les variations régionales racontent aussi une histoire importante. Bien que Vancouver et Toronto continuent de faire face aux défis d’abordabilité les plus sévères, des villes de taille moyenne comme Kelowna, Halifax et London en Ontario ont connu certaines des plus fortes augmentations en pourcentage des coûts de logement par rapport aux revenus.
Le ministre du Logement Sean Fraser a reconnu la gravité des conclusions lors de la conférence de presse d’hier. « Ce rapport confirme ce que les Canadiens savent déjà – nous devons construire plus de logements, plus rapidement, » a déclaré Fraser. « C’est pourquoi notre gouvernement s’est engagé à éliminer les obstacles à la construction et à investir dans des logements locatifs spécifiquement construits à cette fin. »
Mais les critiques de l’opposition n’ont pas tardé à souligner que le rythme actuel de construction – environ 250 000 mises en chantier par an – est dramatiquement insuffisant pour combler l’écart dans un délai raisonnable.
« À notre rythme actuel, il faudrait près de 13 ans pour construire les logements dont nous avions besoin hier, » a déclaré le critique conservateur en matière de logement, Pierre Poilievre, pendant la période des questions. « Pendant ce temps, des milliers de nouveaux arrivants arrivent chaque mois ayant besoin d’un endroit où vivre. Les mathématiques ne fonctionnent tout simplement pas.«
Le rapport identifie plusieurs facteurs contribuant à la crise. Les lois municipales restrictives en matière de zonage, les processus d’approbation longs et les pénuries de main-d’œuvre qualifiée limitent tous le développement de nouveaux logements. Mais le DPB souligne également un facteur moins discuté: la financiarisation du logement.
« Environ 20% des propriétés résidentielles dans les grands centres urbains sont désormais détenues par des investisseurs plutôt que par des occupants, » indique le rapport. « Cela transforme la dynamique du marché, faisant passer les logements de lieux de vie à des actifs pour l’accumulation de richesse. »
Pour les défenseurs communautaires comme Mei Lin Wong de la Coalition pour les droits au logement, cette conclusion valide ce qu’ils disent depuis des années. « Nous ne faisons pas face seulement à un problème d’offre, » a expliqué Wong lorsque je l’ai appelée pour un commentaire. « Nous constatons les conséquences de traiter le logement principalement comme un véhicule d’investissement plutôt que comme un besoin fondamental.«
Le rapport propose plusieurs pistes potentielles, notamment des incitatifs fédéraux pour que les municipalités mettent à jour leurs lois de zonage, des mesures fiscales ciblées pour décourager la propriété spéculative, et des investissements majeurs dans des logements hors marché comme les coopératives et les fiducies foncières communautaires.
À l’Université McGill de Montréal, le professeur d’urbanisme Robert Dubois suggère que nous devons penser au-delà de simplement construire plus de la même chose. « Le chiffre de 3,2 millions représente non seulement un problème de quantité mais aussi une inadéquation entre ce que nous construisons et ce dont les gens ont réellement besoin, » m’a-t-il dit. « Nous construisons des condos de luxe alors que les familles ont besoin d’appartements de trois chambres. »
Le moment de ce rapport est particulièrement significatif alors que le Parlement s’apprête à débattre du prochain budget fédéral. Des sources au sein du gouvernement, s’exprimant sous couvert d’anonymat, indiquent que le logement recevra une « attention sans précédent » dans le plan financier attendu le mois prochain.
Pour les Canadiens ordinaires comme Dev Patel, un ingénieur logiciel que j’ai rencontré lors d’un forum sur le logement à Ottawa le mois dernier, les solutions ne peuvent pas arriver assez vite. « Ma femme et moi gagnons de bons salaires, mais nous avons été surenchéris sur sept maisons, » a-t-il déclaré. « Chaque fois, nous étirons davantage notre budget, mais ce n’est jamais assez. Nous envisageons de quitter le Canada. »
Ce sentiment reflète une préoccupation croissante parmi les économistes selon laquelle la crise du logement menace la capacité du Canada à attirer et à retenir les talents. Les dernières perspectives économiques de la RBC avertissent que l’abordabilité du logement est devenue « un désavantage concurrentiel significatif » pour les villes canadiennes sur le marché mondial des talents.
Alors que je terminais cet article, j’ai reçu un message texte de Shauna, l’infirmière de Liberty Village. « Je viens d’être informée que mon loyer augmentera encore de 5,5% en mars, » a-t-elle écrit. « Je cherche maintenant des emplois à Calgary. »
Son message souligne ce que le rapport du DPB rend clair: la crise du logement au Canada ne concerne pas seulement des chiffres sur une page. Il s’agit de la réalité quotidienne et des perspectives d’avenir de millions de Canadiens dont la vie est de plus en plus façonnée par l’endroit où ils peuvent se permettre de vivre – ou s’ils peuvent se permettre de vivre ici.