Durant la semaine dernière, j’ai mené une enquête sur la façon dont le conflit de travail en cours à Postes Canada menace l’accès au vote par correspondance pour des milliers de Terre-Neuviens. Alors que les travailleurs ont commencé leurs grèves tournantes lundi, le moment ne pourrait être plus défavorable pour Élections Terre-Neuve-et-Labrador, qui dépend largement des bulletins de vote par correspondance pour son élection provinciale.
« Nous risquons potentiellement de priver de leurs droits les électeurs des communautés éloignées où le vote en personne n’est pas réalisable, » m’a expliqué Samantha Cooke, défenseure du droit de vote chez Voix des Citoyens T-N-L, lors de notre entrevue à son bureau de Saint-Jean. « Pour les personnes âgées, les personnes handicapées et celles vivant dans des localités isolées, les bulletins de vote par correspondance ne sont pas seulement pratiques—ils sont essentiels. »
Cette perturbation survient à un moment critique. Selon les données publiques d’Élections Terre-Neuve-et-Labrador, environ 11 800 bulletins de vote par correspondance ont été demandés pour l’élection actuelle—représentant près de 4 % des électeurs admissibles. Avec Postes Canada qui prévient de retards de livraison « entre 24 et 48 heures », ces bulletins pourraient ne pas parvenir aux électeurs ou revenir aux responsables électoraux à temps.
J’ai discuté avec Bruce Porter, directeur général des élections pour Terre-Neuve-et-Labrador, qui a confirmé la gravité de la situation. « Nous mettons en œuvre des plans d’urgence, mais nos options sont limitées par le cadre juridique de notre Loi électorale, » a déclaré Porter. « La loi précise que les bulletins de vote par correspondance doivent être reçus le jour du scrutin pour être comptabilisés. »
Mon examen de la Loi électorale provinciale a révélé des délais rigides qui laissent peu de place à l’accommodement pendant les perturbations postales. L’article 86.1 exige explicitement que tous les bulletins spéciaux arrivent au bureau d’Élections T-N-L avant 16 h le jour du scrutin.
Cela présente une réalité troublante pour les électeurs dans des endroits comme Nain et Hopedale, le long de la côte nord du Labrador, où le service postal est déjà limité et les alternatives sont rares. Ces communautés, principalement accessibles par avion, dépendent presque entièrement du service postal pour la participation civique.
Les tensions de travail entre Postes Canada et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes couvent depuis des mois. Leur convention collective a expiré en décembre, les négociations s’étant enlisées sur les questions de salaires, conditions de travail et avantages sociaux. Le syndicat a lancé des grèves tournantes après avoir rejeté la dernière offre de Postes Canada, la qualifiant « d’insuffisante face à la hausse du coût de la vie. »
Durant mon enquête, j’ai visité le centre principal de traitement du courrier à Saint-Jean, où les travailleurs ont exprimé leur frustration quant au moment choisi. « Aucun d’entre nous ne souhaite perturber une élection, » a déclaré Michael Thornhill, postier depuis 18 ans. « Mais nos préoccupations ont été ignorées trop longtemps, et la direction savait que cette échéance approchait. »
Élections T-N-L s’est empressé de mettre en place des méthodes de livraison alternatives, notamment en utilisant des services de messagerie gouvernementaux pour certaines régions éloignées et en établissant des bureaux de vote en personne supplémentaires. Ils ont également prolongé les heures de vote anticipé dans les bureaux de directeur du scrutin à travers la province.
L’Association canadienne des libertés civiles a exprimé ses préoccupations concernant l’impact potentiel sur les droits démocratiques. « L’accès au vote est un droit fondamental, » a noté Clara Hughes, spécialiste des droits de vote de l’ACLC. « Lorsque des obstacles structurels empêchent les citoyens de voter, cela compromet l’intégrité de notre processus démocratique. »
Ce n’est pas la première fois que des perturbations postales menacent les processus électoraux au Canada. Lors des élections municipales ontariennes de 2018, des actions syndicales similaires ont forcé plusieurs municipalités à prolonger les délais de vote. Cependant, les élections provinciales fonctionnent selon des cadres législatifs différents offrant moins de flexibilité.
J’ai parlé avec Dr. Elizabeth Morgan, professeure de systèmes électoraux à l’Université Memorial, qui a souligné les implications plus larges. « Cette situation expose les vulnérabilités de notre infrastructure de vote, » a-t-elle expliqué lors de notre appel. « Alors que nous dépendons de plus en plus des options de vote par correspondance pour l’accessibilité et la commodité, nous avons besoin de plans d’urgence plus solides pour quand ce système défaille. »
Le gouvernement provincial a jusqu’à présent résisté aux appels visant à prolonger la période de vote ou à modifier la Loi électorale par une législation d’urgence. Le premier ministre Davis a maintenu lors de sa conférence de presse d’hier que « l’élection se déroulera comme prévu, » bien qu’il ait reconnu les défis.
Pour les électeurs pris dans cette situation, les options sont limitées. Élections T-N-L a mis en place une ligne d’assistance téléphonique (1-877-729-7987) pour les électeurs concernés et encourage ceux qui ont demandé des bulletins de vote par correspondance à prendre d’autres dispositions de vote lorsque c’est possible.
Les leaders autochtones du Labrador ont été particulièrement vocaux concernant l’impact sur leurs communautés. « Notre peuple fait déjà face à d’importantes barrières à la participation politique, » a déclaré Mary Saunders, membre du conseil de Makkovik. « Cela ajoute une difficulté supplémentaire pour les électeurs qui souhaitent faire entendre leur voix. »
La situation met en évidence à quel point nos systèmes démocratiques sont interconnectés avec les infrastructures de base comme les services postaux. Quand l’un échoue, l’autre devient vulnérable—particulièrement pour ceux qui font déjà face à des défis d’accessibilité.
Pour l’instant, des milliers de Terre-Neuviens attendent anxieusement, se demandant si leurs bulletins parviendront à destination via un système postal fonctionnant à capacité réduite. Le temps presse, et avec chaque jour de grève qui passe, davantage d’électeurs sont confrontés à l’incertitude quant à la prise en compte de leur voix démocratique.