Alors que les travailleurs de Postes Canada se rapprochent d’une grève potentielle, les petites entreprises à travers le pays s’empressent d’élaborer des plans d’urgence. Les opérations de la société d’État pourraient s’arrêter dès le 15 novembre si les négociations en cours entre la direction et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ne produisent pas d’accord.
Pour Mélanie Chen, conceptrice de cartes de vœux basée à Toronto, qui expédie des centaines de produits artisanaux chaque semaine, le moment ne pourrait être pire.
« Novembre et décembre représentent environ 40% de mes revenus annuels, » me confie Chen depuis son atelier dans le quartier Junction de Toronto. « J’ai déjà commencé à avertir mes clients des retards possibles et je teste des méthodes d’expédition alternatives. Les coûts sont nettement plus élevés. »
Chen n’est pas seule. Une récente enquête de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante suggère que 67% des propriétaires de petites entreprises considèrent les services postaux comme « essentiels » ou « très importants » pour leurs activités. Plusieurs sont maintenant confrontés à la réalité de devoir passer à des services de messagerie privés qui facturent généralement 30 à 40% de plus que les tarifs pour petites entreprises de Postes Canada.
Cette perturbation potentielle survient à un moment particulièrement difficile. Les petites entreprises se remettent encore des contrecoups liés à la pandémie, font face aux pressions inflationnistes et se préparent pour la cruciale saison des achats des Fêtes. Pour beaucoup, le service postal représente la solution d’expédition la plus économique, surtout pour les articles légers de moins de deux kilogrammes.
« Nous sommes devenus tellement dépendants d’une expédition fiable et abordable, » explique Marvin Thomas, propriétaire de la Boutique Bookworm à Halifax. « Passer à UPS ou FedEx du jour au lendemain signifie que je devrai soit absorber ces coûts supplémentaires, soit les répercuter sur des clients qui surveillent déjà attentivement leurs dépenses. »
Le conflit à Postes Canada porte sur les salaires, les conditions de travail et la sécurité d’emploi – des enjeux qui créent des tensions entre la société d’État et sa main-d’œuvre depuis des années. La direction maintient que des changements structurels sont nécessaires alors que les volumes de courrier traditionnel continuent de diminuer tandis que les livraisons de colis augmentent en raison de la croissance du commerce électronique.
De leur côté, les travailleurs postaux soutiennent que l’augmentation des charges de travail sans compensation proportionnelle a poussé plusieurs à leurs limites. Selon les représentants syndicaux, les facteurs livrent maintenant beaucoup plus de colis sur chaque parcours comparativement à il y a cinq ans.
Cette impasse a accéléré une tendance déjà en cours : les entreprises diversifient leurs options d’expédition au-delà de Postes Canada. La plateforme de commerce électronique Shopify rapporte que les marchands utilisant leurs services ont augmenté l’adoption de transporteurs alternatifs de 27% au cours des six derniers mois, probablement en prévision de perturbations potentielles.
« Nous constatons que les petites entreprises deviennent beaucoup plus sophistiquées dans leur planification logistique, » note Ellen Rodriguez, analyste de la chaîne d’approvisionnement chez RBC Marchés des Capitaux. « Plusieurs répartissent leur volume d’expédition entre plusieurs transporteurs ou adoptent des modèles hybrides où les livraisons locales sont gérées différemment des livraisons nationales ou internationales. »
Certains entrepreneurs font preuve de créativité. Le service d’abonnement de boîtes Boreal Brews, basé à Montréal, a organisé des points de ramassage locaux où les clients peuvent récupérer leurs livraisons mensuelles de café si le service postal est interrompu. Le propriétaire Jean-Philippe Lavoie a même recruté des amis avec des véhicules pour aider aux livraisons locales en cas de besoin.
« On s’adapte ou on perd des clients, » dit Lavoie. « Nous considérons cela comme une opportunité de nous connecter plus directement avec nos abonnés montréalais, même si c’est définitivement plus exigeant en main-d’œuvre. »
Les entreprises numériques font face à des défis différents. Bien que les entreprises de logiciels n’expédient pas de produits physiques, plusieurs comptent sur Postes Canada pour l’envoi de factures, de documents juridiques ou de matériel promotionnel. Certains services gouvernementaux exigent encore le courrier postal pour certaines communications ou soumissions de documents.
Le gouvernement fédéral a exhorté les deux parties à parvenir à un accord et à éviter les perturbations. Le ministre du Travail Randy Boissonnault a récemment déclaré que les solutions négociées sont « toujours le meilleur résultat, » bien qu’il se soit gardé de suggérer une législation de retour au travail – une mesure controversée qui a été utilisée lors de précédents conflits postaux.
Pour les consommateurs, la grève potentielle soulève des questions concernant les expéditions des Fêtes. Les délais de livraison qui semblaient raisonnables en octobre pourraient devenir impossibles si les interruptions de service se prolongent jusqu’à la fin novembre ou décembre.
« C’est le moment où je dis aux clients d’avoir des plans de secours pour leurs plans de secours, » affirme Maria Fernandez, consultante en logistique. « Si vous êtes une entreprise qui expédie des produits physiques, vous devez communiquer clairement avec les clients concernant les retards potentiels et envisager d’offrir des options de cadeaux numériques lorsque c’est possible. »
Certaines entreprises accélèrent leurs expéditions avant la date potentielle de grève. Les détaillants en ligne signalent une augmentation du volume de commandes alors que les clients tentent de devancer la date limite, créant une mini-poussée qui met à rude épreuve les opérations de traitement des commandes.
Il y a des gagnants potentiels dans ce scénario. Les entreprises de messagerie privées pourraient gagner des affaires importantes pendant toute interruption de service de Postes Canada. UPS Canada aurait augmenté ses effectifs dans les installations de tri clés, tandis que les petits transporteurs régionaux reçoivent des demandes d’entreprises avec lesquelles ils n’ont jamais travaillé auparavant.
Les fournisseurs de services numériques offrant la facturation électronique, les cartes-cadeaux virtuelles et les solutions de signature de documents s’attendent également à une adoption accrue si les perturbations postales persistent. DocuSign et des plateformes similaires ont connu des pics d’utilisation lors de précédentes interruptions du courrier.
Pour les petites entreprises qui fonctionnent déjà avec des marges serrées, les semaines à venir représentent un défi important. Les coûts d’expédition supplémentaires, le temps passé à rechercher des alternatives et les ventes potentiellement perdues en raison des préoccupations de livraison ont tous un impact sur les résultats.
« La partie la plus frustrante est l’incertitude, » dit Chen, qui envisage maintenant d’effectuer elle-même certaines livraisons locales. « Nous pouvons planifier pour des coûts plus élevés, mais ne pas savoir combien de temps cela pourrait durer rend impossible une communication précise avec les clients. »
Alors que les deux parties poursuivent les négociations, l’horloge avance vers ce que de nombreux propriétaires de petites entreprises décrivent comme le pire moment possible pour une perturbation. Certains analystes suggérant que le conflit pourrait s’étendre jusqu’en décembre, beaucoup espèrent une résolution tout en se préparant à des semaines sans le service postal sur lequel ils ont bâti leurs opérations.