La bataille juridique pour la reconnaissance des peuples autochtones au Canada
J’ai ouvert mon ordinateur portable au palais de justice de Montréal, attendant la conférence de presse qui donnerait enfin la parole à ce que beaucoup appellent la « génération cachée » du Canada. Les couloirs étaient remplis de familles serrant des documents – certificats de naissance, actes de mariage et arbres généalogiques méticuleusement cartographiés sur papier. Ce n’étaient pas de simples dossiers, mais des preuves dans ce qui pourrait devenir un recours collectif historique contre le gouvernement fédéral.
L’affaire concerne des milliers d’Autochtones qui luttent pour récupérer leur statut légal après que des générations de politiques discriminatoires ont dépouillé leurs ancêtres – principalement des femmes – de leur identité autochtone et des droits qui l’accompagnent.
« Ma grand-mère a perdu son statut lorsqu’elle a épousé mon grand-père non-autochtone en 1951, » explique Marie Lavallee, l’une des principales plaignantes. « Ce simple certificat de mariage a effacé sur papier des siècles d’héritage familial, mais jamais dans la pratique ou l’esprit. »
La poursuite, déposée la semaine dernière devant la Cour fédérale, vise à remédier aux inégalités persistantes dans l’approche gouvernementale de la restauration du statut, particulièrement pour les descendants de femmes qui ont épousé des hommes non-autochtones avant 1985. Selon les documents judiciaires que j’ai consultés, les plaignants allèguent que les correctifs législatifs fragmentaires du gouvernement ont créé un ensemble confus de règles qui laissent encore beaucoup d’Autochtones sans leur statut légitime.
Devant le palais de justice, Pamela Palmater, avocate mi’kmaw et titulaire de la chaire en gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto, a expliqué l’importance de cette affaire. « Il ne s’agit pas simplement de cartes d’identité. Le statut détermine l’accès aux droits issus des traités, aux soins de santé, au financement de l’éducation et à la possibilité de vivre sur les terres des réserves. »
La bataille juridique couve depuis des décennies. Le projet de loi C-31 a modifié la Loi sur les Indiens en 1985, abordant partiellement la discrimination fondée sur le sexe en rétablissant le statut des femmes qui l’avaient perdu par le mariage. Des modifications ultérieures sont venues avec les projets de loi C-3 en 2011 et S-3 en 2017, chacun élargissant l’admissibilité mais laissant encore des lacunes.
Les documents judiciaires indiquent qu’environ 270 000 personnes pourraient être potentiellement affectées par l’issue de cette affaire. La poursuite vise à simplifier le processus pour tous les descendants, quelle que soit la clause d’exclusion particulière qui a touché leurs ancêtres.
Les dossiers gouvernementaux obtenus grâce aux demandes d’accès à l’information révèlent un arriéré de plus de 17 000 demandes de statut chez Services aux Autochtones Canada, certains demandeurs attendant des années pour obtenir une décision. Les délais de traitement du ministère ont plus que doublé depuis 2018, selon des rapports internes de performance.
« Le processus est conçu pour épuiser les gens, » affirme Thomas Cardinal, directeur exécutif de la Coalition pour les droits au statut. « Beaucoup d’aînés meurent en attendant une reconnaissance qui aurait dû être leur droit de naissance. »
J’ai parlé avec Eliza Morrison, 72 ans, qui se bat pour obtenir son statut depuis 1989. Sa demande a été rejetée trois fois sur la base de différentes interprétations des exigences de lignée. « Ils ne cessent de déplacer les poteaux de but, » m’a-t-elle dit en me montrant un classeur de correspondance avec des fonctionnaires. « D’abord, ils ont dit que le certificat de naissance de ma grand-mère n’était pas une preuve suffisante. Ensuite, ils ont remis en question si elle vivait sur la réserve avant son mariage. »
La poursuite vise à établir une « règle d’un parent » plus simple où avoir un parent ayant le statut qualifierait automatiquement une personne pour le statut, indépendamment du sexe, de la date du mariage ou d’autres facteurs qui ont compliqué le processus.
Services aux Autochtones Canada a décliné ma demande d’entrevue, citant le litige en cours, mais a fourni une déclaration reconnaissant les « torts historiques » tout en défendant les réformes récentes comme « des étapes importantes vers l’élimination des inégalités connues fondées sur le sexe. »
L’Institut Yellowhead, un centre de recherche dirigé par des Autochtones, a publié l’an dernier une note d’orientation documentant comment les processus de restauration du statut demeurent « administrativement lourds » et « structurellement discriminatoires. » Leur analyse de 150 demandes rejetées a révélé une application incohérente des normes de preuve et ce que les chercheurs ont décrit comme des « barrières bureaucratiques coloniales. »
Les arguments juridiques s’appuient sur l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit l’égalité devant la loi, et l’article 35 de la Loi constitutionnelle, qui reconnaît et affirme les droits autochtones.
« Cette affaire a des implications au-delà des cartes de statut, » explique l’avocate constitutionnelle Sarah Mason. « Elle remet en question la capacité du gouvernement à continuer d’administrer l’identité autochtone à travers la Loi sur les Indiens, un instrument colonial que de nombreux juristes autochtones considèrent comme fondamentalement défectueux. »
Pour des familles comme les Lavallee, le combat est profondément personnel. Marie me montre des photos de sa grand-mère, décédée sans jamais avoir récupéré son statut légal malgré une vie entière connectée aux traditions de sa communauté. « Elle m’a enseigné notre langue, nos cérémonies, nos responsabilités envers la terre. Que le gouvernement dise qu’elle n’était pas assez autochtone sur papier n’a jamais changé qui elle était. »
Le recours collectif vise non seulement la restauration du statut mais aussi une compensation pour les avantages et opportunités perdus. Les économistes témoignant pour les plaignants estiment que l’impact financier pourrait dépasser 3 milliards de dollars en tenant compte des décennies d’accès refusé au logement, à l’éducation et aux prestations de soins de santé.
Les dates d’audience ont été fixées pour le début de l’année prochaine, l’audience de certification du recours collectif étant prévue pour février. Entre-temps, les familles continuent de rassembler des documents et de partager des histoires, construisant à la fois des preuves juridiques et une solidarité communautaire.
À la fin de la conférence de presse, j’ai observé des aînés embrasser des membres plus jeunes de leur famille, beaucoup entendant pour la première fois les histoires complètes de comment leur héritage a été bureaucratiquement effacé. Ces histoires personnelles, maintenant au cœur d’un défi juridique majeur, représentent une puissante intersection entre le traumatisme familial et les droits constitutionnels qui pourrait remodeler la façon dont le Canada aborde son héritage colonial.