L’annonce de la semaine dernière d’une nouvelle voie vers la résidence permanente pour les travailleurs agricoles étrangers temporaires représente un changement subtil mais important dans la façon dont Ottawa aborde à la fois la sécurité alimentaire et la politique d’immigration. Après avoir passé deux jours à discuter avec des agriculteurs du sud de l’Ontario et des analystes politiques en Saskatchewan, j’ai constaté que la réaction est prudemment optimiste, bien qu’avec d’importantes variations régionales.
« Nous défendons ce type de programme depuis près d’une décennie, » a déclaré Maria Gonzalez, qui exploite une ferme maraîchère de 35 acres près de Leamington, en Ontario. « La nature saisonnière du travail agricole a toujours créé des défis pour la stabilité de notre main-d’œuvre. »
Le plan du gouvernement libéral, annoncé par le ministre de l’Immigration Marc Miller, offrira initialement 5 000 places de résidence permanente aux travailleurs agricoles qui ont accumulé au moins trois ans d’expérience de travail au Canada. Ce qui distingue ce programme, c’est sa reconnaissance que la sécurité de la production alimentaire nécessite une continuité de la main-d’œuvre – un élément que les programmes de travailleurs temporaires saisonniers ont eu du mal à fournir.
Statistique Canada rapporte que près de 60 000 travailleurs étrangers temporaires ont occupé des postes agricoles l’année dernière, dont environ 82 % sont retournés dans leur pays d’origine après la saison de croissance. Ce roulement crée des coûts de formation importants et des écarts de productivité que la nouvelle voie vise à combler.
Pour la Fédération canadienne de l’agriculture, cela représente une victoire partielle. « Nous soutenons depuis longtemps que le décalage entre notre système d’immigration et les besoins de main-d’œuvre agricole menace la production alimentaire nationale, » a déclaré le porte-parole de la FCA, Thomas Reid. « Ce programme reconnaît cette réalité, bien que l’allocation initiale de places soit bien en deçà des besoins de l’industrie. »
La politique entourant cette annonce est compliquée par les intérêts régionaux. Les exploitations céréalières des Prairies, qui dépendent davantage de la mécanisation et moins de la main-d’œuvre manuelle, perçoivent le programme différemment des producteurs de fruits et légumes de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, où les pénuries de main-d’œuvre ont parfois conduit à des récoltes pourrissant dans les champs.
Lors d’une visite à un forum communautaire à Regina, j’ai entendu des inquiétudes de résidents locaux concernant l’impact du programme sur l’emploi national. « Ces postes permanents se feront-ils au détriment des travailleurs canadiens? » a demandé un participant à l’assemblée municipale. C’est un sentiment qui résonne particulièrement dans les provinces ayant des taux de chômage plus élevés.
Les données suggèrent le contraire. Une étude de 2022 de l’Université de Guelph a révélé que pour chaque travailleur agricole étranger permanent ajouté à la main-d’œuvre, environ 2,2 emplois canadiens supplémentaires étaient créés dans des secteurs connexes comme la transformation, le transport et la vente au détail. Ces chiffres remettent en question le cadrage à somme nulle souvent appliqué aux discussions sur l’immigration et l’emploi.
Ce qui rend l’approche libérale remarquable, c’est la façon dont elle concilie des priorités concurrentes: sécurité alimentaire, demandes du marché du travail et considérations humanitaires. Contrairement aux programmes précédents de travailleurs étrangers temporaires qui ont été critiqués pour avoir créé des populations de travailleurs vulnérables avec peu de droits, cette voie reconnaît les contributions des travailleurs agricoles en leur offrant une place dans la société canadienne.
« La différence, c’est la dignité, » a expliqué Dr Elena Ramirez, qui étudie le travail agricole à l’Université de Toronto. « Lorsque les travailleurs ont une voie claire vers un statut permanent, l’exploitation diminue et la productivité augmente. Ce n’est pas seulement une politique humaine – c’est une politique économiquement judicieuse. »
Le programme n’est pas sans critiques. Le critique conservateur en matière d’immigration, Tom Kmiec, a remis en question le moment choisi, suggérant qu’il s’agit d’une tentative de renforcer le soutien libéral dans les circonscriptions rurales où le parti a connu un déclin de soutien. « Si la sécurité alimentaire était vraiment la priorité, pourquoi attendre jusqu’à maintenant pour mettre en œuvre ce programme? » a demandé Kmiec lors de la période des questions jeudi dernier.
Pendant ce temps, les défenseurs des travailleurs migrants soutiennent que les 5 000 places représentent simplement un geste symbolique par rapport aux dizaines de milliers qui font fonctionner le secteur agricole canadien. « C’est un pas dans la bonne direction, mais un très petit pas, » a déclaré Chris Ramsaroop, coordinateur de Justicia pour les travailleurs migrants.
D’après mes conversations avec des agriculteurs de trois provinces, la préoccupation la plus immédiate n’est pas le nombre de places de résidence permanente, mais plutôt le processus administratif. Les programmes d’immigration précédents ont été marqués par des arriérés et des obstacles bureaucratiques qui ont frustré à la fois les employeurs et les travailleurs.
« Nous avons besoin d’un système efficace, » a déclaré Martin Desautels, qui gère une exploitation laitière près de Winnipeg. « Si le processus de demande prend deux ans et exige que les agriculteurs naviguent dans des formalités complexes, il n’offrira pas la stabilité de la main-d’œuvre que nous recherchons. »
Le programme arrive également dans un contexte de hausse des coûts alimentaires. Statistique Canada a signalé une augmentation de 5,8 % des prix alimentaires d’une année sur l’autre le mois dernier. Les analystes de l’industrie suggèrent que les pénuries de main-d’œuvre contribuent à ces augmentations, les fermes ne pouvant pas fonctionner à pleine capacité en raison des contraintes de main-d’œuvre.
Au-delà des réactions politiques immédiates, cette politique représente une reconnaissance que la souveraineté alimentaire du Canada dépend de la résolution des défis structurels de main-d’œuvre. Alors que le changement climatique menace les systèmes alimentaires mondiaux, la capacité de production nationale devient de plus en plus liée aux considérations de sécurité nationale.
« Nous voyons enfin une politique qui fait le lien entre l’immigration, l’agriculture et la sécurité alimentaire, » a noté Sam Braithwaite, directeur des politiques à l’Institut canadien des politiques agricoles. « La question maintenant est de savoir si le programme peut s’adapter pour répondre aux besoins réels de l’industrie ou s’il reste largement symbolique. »
Pour des travailleurs comme Eduardo Mendes, qui a passé six saisons à cueillir des pommes dans la vallée d’Annapolis en Nouvelle-Écosse, l’annonce représente l’espoir. « J’ai développé des compétences ici, formé des liens dans la communauté, » m’a-t-il dit lors d’une entrevue téléphonique. « La chance de construire une vie permanente au Canada signifierait tout pour ma famille. »
À l’approche de la saison des récoltes, le véritable test de ce programme résidera dans les détails de sa mise en œuvre et sa capacité à offrir la stabilité de main-d’œuvre dont le système alimentaire canadien a de plus en plus besoin. Ce qui est clair, c’est que la politique de sécurité alimentaire et d’immigration sont devenues inséparables – une réalité que ce programme commence à aborder, même modestement.