Je descends du Twin Otter sur la piste en gravier de Salluit, l’une des communautés les plus septentrionales du Nunavik, nichée entre des collines escarpées le long du détroit d’Hudson. Le vent porte l’odeur de la mer et de la toundra tandis que j’ajuste mon sac d’appareil photo. Je suis venu dans cette communauté inuite d’environ 1 500 personnes pour documenter une histoire qui ne devrait pas exister dans le Canada moderne – une épidémie persistante de tuberculose qui afflige la région depuis des années.
« Nous en avons assez d’être juste des statistiques, » me confie Minnie Annahatak, une travailleuse de la santé communautaire que je rencontre à la clinique locale. Ses yeux reflètent à la fois la lassitude et la détermination alors qu’elle prépare des kits de dépistage. « La tuberculose n’a jamais quitté le Nunavik. Le sud a simplement cessé d’y prêter attention. »
Les taux de tuberculose au Nunavik – le territoire inuit occupant le tiers nord du Québec – demeurent environ 300 fois plus élevés que dans le reste du Canada. Cette disparité flagrante a récemment incité les autorités sanitaires régionales à proposer une mesure sans précédent : faire appel à des prestataires de soins privés pour aider à contenir l’épidémie qui a étiré les ressources publiques au-delà de leurs limites.
La Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik a annoncé la semaine dernière qu’elle explore des partenariats avec des organisations de soins privées pour compléter l’infrastructure de santé publique débordée de la région. Cette approche marque un changement significatif de stratégie pour une région qui a longtemps compté exclusivement sur le système de santé public québécois.
« Il ne s’agit pas de privatisation, » explique Dre Marie-Claude Lacasse, médecin de santé publique à la régie du Nunavik. « Il s’agit de trouver des solutions immédiates à une situation de crise. Nous avons besoin de personnel spécialisé capable d’effectuer un dépistage généralisé, d’assurer un suivi constant des traitements et d’aider à la recherche des contacts – toutes des choses que nos effectifs actuels ne peuvent pas adéquatement accomplir. »
La situation de la tuberculose au Nunavik a atteint des niveaux critiques. Selon les données de l’Institut national de santé publique du Québec, la région a enregistré 50 cas actifs de tuberculose en 2022 – représentant un taux d’incidence d’environ 350 cas pour 100 000 personnes. À titre de comparaison, le taux dans l’ensemble du Canada est d’environ 4,7 cas pour 100 000.
En parcourant les rues étroites de Salluit, les conditions sous-jacentes alimentant cette crise sanitaire deviennent douloureusement évidentes. Le surpeuplement des logements – souvent avec trois générations partageant des maisons petites et mal ventilées – crée des conditions idéales pour la transmission de la tuberculose. De nombreuses maisons présentent des signes visibles de moisissure. Des enfants jouent dehors malgré le froid, leurs rires contrastant fortement avec les graves problèmes de santé auxquels ils sont confrontés.
« Le logement, c’est un médicament, » affirme Elijah Ningiuk, un aîné local avec qui je discute devant la coop du village. « Le gouvernement parle de stratégies contre la tuberculose, mais nous avons toujours des familles de huit personnes vivant dans des logements de deux chambres. Comment s’isoler quand quelqu’un tombe malade? »
Le partenariat privé proposé a généré des réactions mitigées. Certains membres de la communauté le considèrent comme une intervention d’urgence nécessaire, tandis que d’autres expriment des préoccupations quant à la création d’un précédent et à la durabilité.
« Nous avons vu trop de consultants du sud venir et repartir, » déplore Sarah Kenuajuak, qui a perdu son oncle des suites de complications liées à la tuberculose l’année dernière. « Ils encaissent leurs chèques de paie et s’en vont, mais les problèmes demeurent. Ces prestataires privés seront-ils différents? »
La régie de la santé insiste sur le fait que cette approche est temporaire et spécifiquement axée sur le contrôle de la tuberculose. Le plan amènerait des infirmières supplémentaires, des inhalothérapeutes et des spécialistes en santé publique pour mener une campagne massive de dépistage dans les 14 communautés du Nunavik, tout en assurant un suivi plus constant pour ceux sous traitement.
La tuberculose, bien que curable avec des antibiotiques, nécessite un régime de traitement strict durant six mois ou plus. Dans les communautés éloignées avec un roulement élevé du personnel soignant, maintenir cette continuité s’est avéré difficile. Les interruptions de traitement peuvent conduire à une résistance aux médicaments et à une transmission continue.
Lors de ma visite au centre de santé, j’observe l’équipe locale de soins, dévouée mais visiblement débordée. Deux infirmières gèrent la clinique aujourd’hui, s’occupant de tout, des suivis prénataux à la gestion des maladies chroniques. Le dépistage de la tuberculose et le suivi des traitements ajoutent une couche supplémentaire à leur charge de travail déjà écrasante.
« Certains jours, nous ne faisons qu’éteindre des feux, » admet Claire Deslauriers, une infirmière qui travaille au Nunavik depuis cinq ans. « Nous voulons faire un suivi adéquat de la tuberculose, mais ensuite des urgences surviennent, des évacuations médicales nécessitent une coordination, et soudain la journée est terminée. »
Services aux Autochtones Canada a rapporté en 2021 que les taux de tuberculose chez les Inuits sont plus de 300 fois supérieurs à ceux des Canadiens non autochtones nés au pays. L’ancienne ministre des Services aux Autochtones, Jane Philpott, s’était engagée en 2018 à éliminer la tuberculose dans les communautés inuites d’ici 2030, mais les progrès ont été lents et inégaux dans les quatre régions inuites.
La régie de santé du Nunavik souligne que tout partenariat privé fonctionnerait sous une surveillance stricte et en coordination avec les systèmes de santé publique existants. La proposition inclut des composantes de transfert de connaissances pour renforcer les capacités locales plutôt que de créer des systèmes parallèles.
Dre Lacasse évoque des collaborations public-privé réussies dans d’autres régions autochtones. « Au Nunavut, des prestataires privés ont soutenu les efforts d’élimination de la tuberculose tout en travaillant aux côtés du système de santé territorial. Nous cherchons à adapter des modèles similaires au contexte unique du Nunavik. »
Le coût estimé de l’initiative proposée – environ 10 millions de dollars sur deux ans – serait financé conjointement par le gouvernement du Québec et des contributions fédérales par l’entremise de Services aux Autochtones Canada.
Alors que le soleil de minuit projette de longues ombres sur Salluit, je me joins à un rassemblement communautaire à l’école locale. Des jeunes exécutent du chant guttural traditionnel pendant que les aînés partagent des histoires. Malgré le sujet lourd de mon reportage, il y a de la résilience ici – une communauté déterminée à surmonter des défis qui ont de profondes racines coloniales.
« La tuberculose n’est pas qu’une infection bactérienne, » explique Louisa Thomassie, coordinatrice d’un programme culturel. « Elle est liée à notre histoire de relocalisations forcées, de pensionnats et d’inégalités persistantes. Toute solution doit comprendre ce contexte. »
Le lendemain matin, alors que je me prépare à embarquer dans l’avion pour retourner au sud, je réfléchis aux complexités de la lutte contre une maladie qui aurait dû être éliminée il y a des décennies. La tuberculose persiste au Nunavik non pas par manque de connaissances médicales, mais à cause d’échecs systémiques à aborder les déterminants sociaux de la santé qui lui permettent de prospérer.
Reste à savoir si le partenariat privé proposé aidera finalement à renverser la tendance. Ce qui est clair, c’est que les communautés du Nunavik méritent mieux que des interventions fragmentaires et des promesses non tenues. Elles méritent la même liberté face aux maladies évitables que la plupart des Canadiens tiennent pour acquise.
Alors que mon vol s’élève au-dessus de la toundra, j’emporte avec moi les histoires d’un peuple résilient qui lutte non seulement contre la tuberculose, mais aussi pour la dignité de soins de santé équitables – une lutte qui se poursuit bien après mon retour dans le confort du sud.