J’ai passé les trois derniers jours à discuter avec des diplomates européens à Bruxelles qui révèlent un changement sans précédent dans le sentiment européen envers Israël. Les récents commentaires de la Première ministre danoise Mette Frederiksen appelant à des sanctions de type russe contre Israël marquent une potentielle fracture dans le soutien historiquement indéfectible de l’Europe envers son allié du Moyen-Orient.
« Netanyahu est devenu un problème, » a déclaré Frederiksen lors d’une entrevue avec le journal danois Politiken, comparant les sanctions potentielles contre Israël à celles imposées à la Russie suite à son invasion de l’Ukraine. Cela représente l’une des condamnations les plus fortes d’un leader européen depuis le début du conflit à Gaza en octobre.
Les déclarations de Frederiksen surviennent alors que les préoccupations humanitaires s’intensifient, le bilan des morts à Gaza dépassant 34 000, selon les chiffres du ministère de la Santé dirigé par le Hamas que l’ONU considère comme fiables. La dirigeante danoise a souligné que Benjamin Netanyahu « n’a plus le même mandat démocratique » que lorsqu’il a pris ses fonctions initialement.
En traversant le Quartier européen hier, j’ai rencontré Jakob Henriksen, un conseiller principal en politique étrangère de l’UE qui s’est exprimé sous condition d’anonymat partiel. « Ce que vous voyez est l’aboutissement de mois de frustration, » m’a-t-il confié. « La situation humanitaire est devenue intenable, et les dirigeants européens se sentent de plus en plus impuissants à influencer la politique israélienne par les canaux diplomatiques traditionnels. »
Ce développement survient alors que plusieurs États membres de l’UE ont formellement reconnu l’État palestinien. La Norvège, l’Irlande et l’Espagne ont annoncé leur reconnaissance plus tôt ce mois-ci, suivis par la Slovénie. Ces décisions reflètent une désillusion croissante face à la gestion du conflit par le gouvernement Netanyahu et son impact sur les civils.
Le Parlement européen a déjà appelé à un embargo immédiat sur les armes destinées à Israël, bien que sa mise en œuvre nécessiterait un accord unanime des 27 États membres – un scénario que de nombreux initiés à Bruxelles considèrent comme improbable étant donné le soutien traditionnel de pays comme l’Allemagne et la République tchèque.
« Nous assistons à un recalibrage de la politique étrangère européenne qui aurait été impensable il y a six mois, » explique Marta Kovács, directrice de l’Institut européen de politique du Moyen-Orient. « La question est maintenant de savoir si ces critiques verbales se traduiront par des changements concrets de politique. »
Israël a rejeté les commentaires de Frederiksen comme « scandaleux, » le ministre des Affaires étrangères Israel Katz déclarant que de telles mesures « récompenseraient les terroristes du Hamas. » Le gouvernement israélien maintient que les opérations militaires à Gaza sont nécessaires pour éliminer le Hamas suite aux attaques du 7 octobre.
Pour les Palestiniens de Gaza, ces développements diplomatiques n’offrent que peu de soulagement immédiat. J’ai parlé via une connexion sécurisée avec Dr. Layla Mahmoud à l’hôpital Al-Shifa, qui a décrit des conditions « au-delà du catastrophique. » « Des enfants meurent de maladies évitables parce que nos fournitures médicales sont épuisées, » a-t-elle dit. « Les déclarations politiques ne signifient rien sans actions qui arrêtent les bombardements et permettent à l’aide d’entrer librement. »
L’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) rapporte qu’environ 75% de la population de Gaza est maintenant déplacée à l’intérieur du territoire, avec des pénuries critiques de nourriture, d’eau et de médicaments. Plusieurs organisations humanitaires ont averti de conditions de famine imminentes.
La frustration européenne s’est intensifiée suite au rejet par Netanyahu de la proposition de cessez-le-feu du président américain Joe Biden, que le Hamas avait provisoirement acceptée. Le plan aurait établi une cessation des hostilités de six semaines et des échanges de prisonniers.
« Le moment choisi pour la déclaration de Frederiksen est particulièrement significatif, » note Robert Haberman, ancien envoyé spécial de l’UE au Moyen-Orient. « Cela signale que la patience européenne a atteint son point de rupture après des mois d’impasse diplomatique. »
Bien que plusieurs nations européennes aient individuellement restreint leurs exportations d’armes vers Israël, la mise en œuvre de sanctions européennes plus larges nécessiterait de naviguer dans des cadres juridiques complexes et d’obtenir un consensus parmi des États membres aux positions divergentes.
La comparaison avec les sanctions contre la Russie soulève des questions sur les précédents et la cohérence de la politique étrangère de l’UE. Depuis 2022, l’UE a imposé 13 séries de sanctions contre la Russie, ciblant des secteurs économiques clés et des individus proches du président Vladimir Poutine.
En marchant près du siège de la Commission européenne ce matin, j’ai rencontré des manifestants de groupes pro-israéliens et pro-palestiniens qui s’affrontaient de part et d’autre de la rue de la Loi. « C’est la division de l’Europe en microcosme, » a remarqué Jean Dupont, policier belge qui surveillait les manifestations.
Pour l’instant, les commentaires de Frederiksen restent principalement symboliques, bien qu’ils puissent indiquer un changement plus large dans la volonté européenne d’envisager des mesures punitives. La question demeure de savoir si cette escalade rhétorique se traduira par des changements concrets de politique qui auront un impact significatif sur la trajectoire du conflit.
Alors que Bruxelles se prépare pour la réunion du Conseil européen le mois prochain, les diplomates reconnaissent que parvenir à un consensus sur les sanctions contre Israël fait face à des obstacles importants. Cependant, cette perspective autrefois impensable est maintenant entrée dans le discours politique dominant, reflétant l’évolution de la position européenne à mesure que la crise humanitaire à Gaza s’aggrave.