L’air frais du matin me frappe le visage pendant que je marche le long de la digue de Vancouver, observant les navires de charge qui parsèment l’horizon du port. Chaque vaisseau représente d’innombrables décisions sur ce que nous valorisons, ce que nous consommons et, de plus en plus, comment nous équilibrons la prospérité économique avec la responsabilité environnementale.
La semaine dernière, j’étais dans le salon de Janet Morrison à Port Moody. Cette technicienne comptable de 58 ans avait des feuilles de calcul éparpillées sur sa table basse—non pas pour son travail, mais pour suivre les coûts croissants de sa famille. « Ma facture de chauffage a augmenté de 30% depuis l’année dernière, » me dit-elle, pointant vers des chiffres surlignés. « Et mon fils vient d’être licencié de son emploi dans la fabrication. Ils ont dit que la tarification du carbone rendait impossible toute compétitivité. »
Des histoires comme celle de Janet deviennent courantes à travers le Canada, où les familles et les entreprises naviguent dans la réalité complexe des politiques climatiques qui ont transformé notre paysage économique tout en offrant des gains environnementaux discutables.
Depuis la mise en œuvre de son cadre d’action climatique en 2016, le Canada a introduit une tarification du carbone, des normes de carburant propre et des plafonds d’émissions qui figurent parmi les programmes climatiques les plus ambitieux au monde. Pourtant, les preuves suggèrent que nous avons créé un paradoxe: des coûts économiques importants avec une réduction minimale des émissions.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante rapporte que 78% des petites entreprises ont absorbé des coûts opérationnels accrus en raison de la tarification du carbone, l’entreprise moyenne payant plus de 33 000 $ annuellement en conformité avec les politiques climatiques combinées. Les secteurs de la fabrication, du transport et des ressources ont été particulièrement touchés.
« Nous avons dû choisir entre embaucher et couvrir les coûts de conformité, » explique Wei Chen, directeur des opérations dans une installation d’emballage à Surrey. « L’année dernière, cela signifiait reporter l’expansion et laisser trois postes non pourvus. »
Pendant ce temps, les émissions se sont avérées obstinément persistantes. Les données d’Environnement et Changement climatique Canada montrent que les émissions du Canada n’ont diminué que de 8,4% entre 2005 et 2022, la plupart des réductions survenant pendant le ralentissement économique dû à la pandémie de 2020.
En traversant le cœur de l’Alberta le mois dernier, j’ai observé des torchères brûlant dans les installations de traitement—rappels visuels que le Canada reste le quatrième plus grand producteur de pétrole au monde. Notre production a en fait augmenté de 22% depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, selon les chiffres de Ressources naturelles Canada.
Lorsque je mentionne cela à l’économiste du climat Mark Jaccard de l’Université Simon Fraser, il soupire. « Le problème n’est pas que les politiques climatiques ne fonctionnent pas—c’est que nous avons créé un système où nous mettons en œuvre des prix du carbone au niveau national tout en approuvant simultanément de nouveaux projets d’extraction pour les marchés d’exportation. La comptabilité des émissions devient sélective. »
Cette contradiction émerge dans les conversations avec les Canadiens à travers le spectre politique. À Burnaby, la développeuse de logiciels Sophia Larocque me dit qu’elle paie volontiers les taxes carbone, croyant en l’action climatique, mais questionne les résultats. « J’ai changé mon comportement—vendu ma voiture, rénové mon condo—mais ensuite je lis que nous avons approuvé de nouveaux pipelines. Qu’accomplissons-nous vraiment? »
Les impacts économiques s’accumulent de façon visible et cachée. L’Institut C.D. Howe estime que les politiques climatiques du Canada réduiront le PIB d’environ 2-3% d’ici 2030 par rapport aux projections de référence. Bien que cela puisse sembler modeste, cela représente environ 90 milliards de dollars d’activité économique.
Pour les communautés construites autour des industries de ressources, la transition s’avère particulièrement difficile. À Fort McMurray, j’ai rencontré le conseiller communautaire Robert Cardinal, qui a exprimé sa frustration. « Notre peuple veut aussi la protection du climat—nous voyons les changements sur nos terres traditionnelles. Mais les plans de transition continuent de se concentrer sur les coûts maintenant, avec des avantages qui ne semblent jamais nous atteindre. »
Le problème n’est pas l’action climatique elle-même, mais plutôt sa mise en œuvre et sa mesure. L’approche du Canada s’est fortement appuyée sur des cadres réglementaires et la taxation tout en permettant l’expansion continue des combustibles fossiles.
Dr. Kathryn Harrison, politologue à l’UBC, soutient que la déconnexion provient de notre structure économique. « Le Canada fait face à une tension fondamentale—nous avons conçu des politiques climatiques pour les émissions domestiques tout en maintenant une économie fortement dépendante de l’exportation de combustibles fossiles. À moins que nous n’abordions cette contradiction, nous continuerons à voir des coûts élevés avec des progrès environnementaux limités. »
Cette tension crée des questions légitimes sur l’efficacité des politiques. Lorsque les politiques climatiques impactent substantiellement les budgets des ménages et la viabilité des entreprises sans amélioration environnementale proportionnelle, le soutien public s’érode inévitablement.
L’Institut Fraser calcule que les ménages canadiens moyens paient maintenant entre 900 $ et 1 800 $ annuellement en coûts directs et indirects de tarification du carbone. Pour beaucoup, ces montants représentent des portions significatives du revenu discrétionnaire, créant des défis pour ceux qui luttent déjà avec les coûts du logement et de la nourriture.
En me promenant dans le Downtown Eastside de Vancouver, je rencontre Eliza Thomson, qui gère une cuisine communautaire. « Nos coûts alimentaires ont augmenté de 40% depuis trois ans, » explique-t-elle en coupant des légumes. « Une partie est due à l’inflation, une partie à la tarification du carbone sur le transport et l’agriculture. Nous servons moins de repas maintenant avec le même financement. »
Ces pressions économiques créent une vulnérabilité politique. Les gouvernements provinciaux conservateurs ont contesté les cadres climatiques fédéraux, l’Ontario, l’Alberta et la Saskatchewan montant une opposition juridique aux mandats de tarification du carbone.
Mais ce n’est pas simplement un positionnement partisan—cela reflète une préoccupation sincère que le Canada a créé des désavantages économiques sans bénéfices environnementaux correspondants. Nos principaux partenaires commerciaux, particulièrement les États-Unis, ont adopté des approches différentes avec moins de coûts directs pour les consommateurs et les entreprises.
La voie à suivre exige de l’honnêteté concernant notre contradiction climat-économie. Le Canada ne peut raisonnablement pas prétendre au leadership climatique tout en développant la production et les exportations de combustibles fossiles. Une politique efficace doit aborder à la fois les décisions de consommation et de production domestiques.
Des communautés comme Kitimat, en Colombie-Britannique, démontrent des possibilités. Là-bas, le passage de la production d’aluminium à la fabrication d’énergie propre a maintenu des emplois industriels tout en réduisant les émissions. « Nous nous sommes reconvertis plutôt que de fermer, » explique la représentante syndicale locale Samantha Williams. « Mais cela a nécessité un soutien gouvernemental pour la transition, pas seulement des coûts plus élevés. »
Alors que Janet à Port Moody met à jour son budget familial et que Wei à Surrey reporte l’expansion de son entreprise, les Canadiens méritent des politiques climatiques qui font correspondre les coûts économiques à de véritables réductions d’émissions. Cela signifie confronter la contradiction plus large dans notre approche nationale—nous ne pouvons pas être des leaders climatiques tout en restant des champions des combustibles fossiles.
Les navires de charge que j’observe depuis la digue de Vancouver me rappellent que les systèmes environnementaux et économiques n’existent pas séparément. Ils sont connectés par d’innombrables décisions, des politiques gouvernementales aux pratiques commerciales et aux choix des ménages. Trouver un alignement entre nos ambitions climatiques et nos réalités économiques représente le défi politique le plus pressant du Canada—un défi qui affecte chaque feuille de calcul sur chaque table de cuisine à travers notre pays.