L’essor de l’investissement halal au Canada reflète un virage plus large vers la finance éthique qui attire l’attention bien au-delà de ses racines religieuses. Ce qui a commencé comme une approche basée sur la foi pour les investisseurs musulmans s’est transformé en une alternative attrayante pour quiconque recherche des investissements alignés sur certains principes éthiques.
« Nous avons constaté une augmentation de 40% de clients non-musulmans au cours des deux dernières années, » affirme Zahra Khimji, gestionnaire de portefeuille à la division d’investissement halal de Wealthsimple. « Les gens sont attirés par le processus de filtrage qui élimine les entreprises ayant des dettes excessives ou celles impliquées dans l’alcool, le tabac et les jeux d’argent. »
L’investissement halal suit les principes de la finance islamique qui interdisent les intérêts (riba), l’incertitude excessive (gharar) et les industries jugées nocives. Mais ces restrictions ont créé un avantage inattendu : des portefeuilles moins exposés aux entreprises fortement endettées et aux secteurs controversés.
Le marché canadien de la finance islamique dépasse maintenant 2,8 milliards de dollars d’actifs sous gestion, selon l’Alliance des services financiers de Toronto. Bien que toujours modeste par rapport au paysage global des investissements, il croît d’environ 12% par année – surpassant la croissance des fonds conventionnels.
Yasir Khan, fondateur de Halal Wealth Advisors à Vancouver, a été témoin de cette évolution de première main. « Il y a cinq ans, notre clientèle était presque exclusivement musulmane. Aujourd’hui, environ 25% des nouvelles demandes proviennent d’investisseurs soucieux de l’environnement et des questions sociales qui apprécient notre approche rigoureuse de filtrage. »
Les parallèles avec l’investissement ESG (Environnemental, Social, Gouvernance) sont évidents, mais avec des différences clés. Alors que les fonds ESG pourraient accepter des entreprises ayant des pratiques durables quel que soit le secteur, les fonds halal excluent catégoriquement certains secteurs.
Les performances ont contribué à stimuler l’intérêt. L’indice S&P/TSX Canada Shariah a offert des rendements compétitifs sur plusieurs périodes, surpassant parfois les indices conventionnels pendant les replis du marché. Cette résilience découle en partie de l’évitement d’entreprises fortement endettées qui peuvent éprouver des difficultés lors des crises de crédit.
Pour Janet Williams, une enseignante de Toronto sans affiliation religieuse, l’attrait était simple. « Je voulais des investissements qui correspondaient à mes valeurs. Le portefeuille halal excluait les fabricants d’armes et les prêteurs prédateurs – exactement ce que je cherchais. »
Les institutions financières ont remarqué cet attrait grandissant. Les grandes banques canadiennes comme CIBC et Scotiabank offrent maintenant des guichets bancaires islamiques, tandis que des entreprises spécialisées comme Manzil et Wealthsimple ont créé des options d’investissement halal numériques.
La Banque du Canada a reconnu cette croissance, notant dans sa Revue du système financier que la finance islamique représente une « innovation en matière d’inclusion financière » qui sert à la fois des objectifs religieux et éthiques.
Cependant, des défis demeurent. Le processus de filtrage engendre des coûts supplémentaires, entraînant souvent des frais de gestion légèrement plus élevés. L’univers des investissements disponibles est nécessairement plus restreint, limitant potentiellement la diversification. Et malgré une sensibilisation croissante, beaucoup de Canadiens restent peu familiers avec les principes d’investissement halal.
« L’éducation est notre plus grand défi, » explique Omar Kalair, PDG de Manzil, qui offre des hypothèques et des produits d’investissement halal. « Une fois que les gens comprennent comment fonctionne le filtrage et voient les données de performance, la proposition de valeur devient beaucoup plus claire. »
Cette approche séduit particulièrement les jeunes investisseurs. Une étude de l’Association d’investissement responsable a révélé que 71% des millénariaux ont pris des décisions d’investissement basées sur le comportement des entreprises au-delà de la performance financière, ce qui en fait des candidats naturels pour les options d’investissement halal.
L’environnement réglementaire a également évolué. Les autorités canadiennes en valeurs mobilières fournissent désormais des orientations plus claires sur les structures d’investissement conformes à la charia, répondant à l’incertitude précédente qui avait limité le développement des produits.
« Nous assistons à une convergence des approches d’investissement basées sur les valeurs, » note Michael King, codirecteur du Laboratoire de banque numérique Scotiabank à l’Université Western. « Les principes de la finance islamique partagent un terrain d’entente avec l’investissement ESG et l’investissement d’impact, créant des approches hybrides intéressantes. »
Cette convergence se manifeste dans des produits comme le Fonds Iman Global, qui applique à la fois des filtres d’investissement islamiques et responsables, ou l’approche de Wahed Invest qui privilégie les entreprises ayant des impacts environnementaux et sociaux positifs parmi celles qui passent les filtres halal.
La pandémie a accéléré l’intérêt pour les approches d’investissement éthique en général. La volatilité du marché a mis en évidence l’avantage de stabilité des entreprises moins endettées – une caractéristique des entreprises conformes au halal.
« Les périodes de crise incitent souvent les investisseurs à réévaluer ce qui compte, » déclare Khaled Sherif, analyste principal chez Fundata Canada. « La résilience des portefeuilles halal pendant les tensions du marché a été un argument de vente puissant. »
À mesure que le secteur mûrit, l’innovation des produits se poursuit. Les premiers FNB halal canadiens ont été lancés en 2021, abaissant la barrière d’entrée pour les investisseurs particuliers. Les entreprises fintech islamiques développent des plateformes de conseil robotisé spécifiquement pour l’investissement halal. Et des FPI spécialisées offrent maintenant une exposition immobilière structurée pour se conformer aux principes de la finance islamique.
Pour les quelque 1,8 million de musulmans du Canada, ces développements favorisent l’inclusion financière. Mais l’attrait plus large témoigne de quelque chose de plus universel – le désir d’aligner les décisions financières sur les valeurs personnelles, quelles qu’elles soient.
« Ce que nous observons, c’est la démocratisation des principes d’investissement basés sur la foi, » conclut Dr. Saeed Khan, professeur de finance islamique à l’Université York. « Les frontières entre les différentes approches d’investissement éthique s’estompent, créant un paysage plus inclusif où les investisseurs peuvent trouver des options qui reflètent véritablement leurs valeurs personnelles. »