Dans une vaste salle de conférence surplombant le quartier historique de Mexico, la ministre canadienne des Finances Chrystia Freeland et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly étaient assises face à leurs homologues mexicains hier, leur discussion portant sur bien plus que de simples questions financières.
« Nous sommes ici parce que le Canada comprend que notre prospérité économique et notre sécurité sont profondément liées à celles du Mexique, » a déclaré Freeland aux journalistes, alors que la lumière de l’après-midi traversait les hautes fenêtres du ministère de l’Économie.
Ces rencontres de haut niveau surviennent à un moment crucial. Avec le premier examen formel de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) prévu pour 2026, Ottawa s’efforce de renforcer les liens économiques tout en abordant les préoccupations croissantes en matière de sécurité qui planent sur les relations commerciales nord-américaines.
Le ministre mexicain des Finances, Rogelio Ramírez de la O, a reconnu les défis auxquels les deux nations font face. « Notre partenariat a résisté aux changements politiques, aux perturbations liées à la pandémie et aux crises des chaînes d’approvisionnement. Nous devons maintenant nous concentrer sur le renforcement de notre résilience face aux nouvelles menaces, » a-t-il déclaré lors de la conférence de presse conjointe.
Cette visite marque le début de ce que les initiés appellent « l’offensive diplomatique canadienne au Mexique » – une série d’engagements stratégiques visant à consolider les partenariats économiques tout en naviguant dans des questions de sécurité complexes. Les échanges commerciaux entre le Canada et le Mexique ont atteint près de 48 milliards de dollars l’an dernier, selon les données de Statistique Canada, faisant du Mexique notre troisième partenaire commercial.
Mais sous les formules diplomatiques habituelles, de réelles tensions couvent. Les entreprises canadiennes opérant au Mexique ont de plus en plus exprimé des préoccupations concernant la sécurité et les tentatives d’extorsion. La Chambre de commerce canadienne au Mexique a récemment sondé ses membres et constaté que 43 % d’entre eux avaient subi une forme de menace sécuritaire au cours de l’année écoulée, contre 31 % en 2022.
« Quand les entreprises canadiennes font face à des menaces de sécurité, ce n’est pas seulement un problème commercial—c’est un problème qui affecte les travailleurs et les communautés des deux pays, » a déclaré Joly, qui a rencontré séparément des responsables de la sécurité pour discuter de la protection des investissements canadiens.
Lors d’une table ronde avec des dirigeants d’entreprises canadiennes basées au Mexique, un cadre du secteur manufacturier, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a décrit le paiement de « frais » mensuels à des organisations criminelles locales pour garantir que les opérations ne soient pas perturbées. « C’est devenu une partie intégrante des affaires ici, mais ça ne devrait pas l’être, » a confié le cadre.
La visite ministérielle prépare le terrain pour Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, qui sert maintenant comme conseiller spécial auprès du Premier ministre Trudeau. Carney doit arriver la semaine prochaine pour se concentrer spécifiquement sur les cadres de sécurité des investissements.
Pour les communautés des deux pays, ces discussions de haut niveau se traduisent par des réalités quotidiennes. À Windsor, en Ontario, le fabricant de pièces automobiles Martinrea International emploie plus de 1 500 travailleurs qui produisent des composants expédiés vers des usines d’assemblage au Mexique. « Toute perturbation dans cette chaîne d’approvisionnement signifie des mises à pied potentielles ici au Canada, » a noté le maire de Windsor, Drew Dilkens, lors d’une récente assemblée publique sur le commerce transfrontalier.
Ce qui est peut-être le plus révélateur, c’est ce qui est resté non dit durant les parties publiques des réunions. Aucun ministre n’a directement abordé les rumeurs persistantes selon lesquelles la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum envisagerait des ajustements de la politique énergétique qui pourraient affecter les sociétés canadiennes minières et de production d’électricité ayant des investissements importants au Mexique.
« Nous avons soulevé nos préoccupations concernant la prévisibilité des politiques dans les secteurs clés, » s’est contentée de dire Freeland lorsqu’un journaliste du Globe and Mail l’a interrogée.
La toile de fond de ces discussions est la prochaine élection présidentielle américaine. Les responsables canadiens et mexicains reconnaissent que les relations commerciales pourraient faire face à de nouveaux défis selon le résultat. Selon un récent sondage de Nanos Research, 67 % des Canadiens craignent que des politiques protectionnistes de l’une ou l’autre administration américaine puissent avoir un impact négatif sur le commerce nord-américain.
Le professeur Louis Bélanger, qui dirige le Centre d’études internationales de l’Université Laval, voit ces réunions comme un positionnement défensif. « Le Canada renforce judicieusement sa relation directe avec le Mexique maintenant, pour ne pas être pris au dépourvu si Washington modifie son approche du commerce continental, » a-t-il expliqué lors d’une entrevue téléphonique.
À Monterrey, où les entreprises aérospatiales canadiennes ont établi une présence significative, l’agent de développement économique local Carlos Velázquez salue l’attention de haut niveau. « Quand les ministres se rencontrent, ça fait les manchettes pendant une journée. Mais pour nous, l’investissement canadien signifie des emplois stables pour des milliers de familles année après année, » a-t-il déclaré.
À la conclusion des réunions formelles, les deux ministres canadiennes ont souligné les valeurs partagées et les avantages mutuels de la relation. Pourtant, la véritable mesure du succès viendra dans les mois à venir, alors que les entreprises des deux nations navigueront dans la réalité complexe derrière les poignées de main diplomatiques.
Pour les travailleurs de régions comme Leamington, en Ontario, où les légumes de serre sont emballés pour l’exportation vers les marchés mexicains, ou à Querétaro, où les investissements aérospatiaux canadiens ont créé une économie locale florissante, ces pourparlers représentent plus qu’un théâtre politique—ils concernent des moyens de subsistance durables et la stabilité communautaire.
« Le défi maintenant, » comme l’a noté Freeland en partant pour sa prochaine réunion, « est de traduire la bonne volonté en solutions pratiques qui fonctionnent pour les gens des deux côtés de nos frontières. »