Je viens de rentrer à Ottawa d’un forum commercial à Bruxelles quand la nouvelle est tombée : la Chine intensifie sa pression économique contre les exportations canadiennes de canola. Dans l’air humide d’août de la capitale, la tension était palpable parmi les responsables agricoles qui s’efforçaient de réagir.
« Ils visent notre jugulaire économique, » m’a confié Scott Moe lors d’un appel téléphonique urgent hier. Le premier ministre de la Saskatchewan n’a pas mâché ses mots alors que la Chine annonçait des tarifs supplémentaires qui pourraient dévaster le secteur canadien du canola, évalué à 2,7 milliards de dollars. « Il ne s’agit plus seulement des moyens de subsistance des agriculteurs, mais de notre souveraineté nationale et de notre place dans l’ordre économique mondial. »
Les dernières mesures de Pékin feraient passer les tarifs existants de 18% à près de 30% sur les graines de canola canadiennes, rendant nos produits agricoles hors de prix sur leur plus grand marché d’exportation. Pour la Saskatchewan, où le canola représente plus de 25% de toute la production agricole, ces mesures punitives frappent au cœur de l’économie provinciale.
En traversant le quartier parlementaire ce matin, j’ai rencontré trois hauts responsables commerciaux qui ont confirmé ce que de nombreux analystes soupçonnaient déjà : cette décision semble calculée pour exploiter les tensions croissantes dans la politique canadienne pendant une période d’instabilité gouvernementale minoritaire.
« La Chine est exceptionnellement stratégique quant au moment et à la façon dont elle applique la pression économique, » a expliqué Dre Sarah Chen, spécialiste du commerce international à l’Université de Toronto. « Le timing suggère qu’ils espèrent créer des divisions entre les provinces agricoles et le gouvernement fédéral alors que le leadership canadien semble vulnérable. »
Le différend remonte à 2019 lorsque la Chine a interdit pour la première fois les importations de canola canadien, citant des problèmes de parasites que les responsables canadiens ont insisté être sans fondement. De nombreux experts ont considéré cette mesure comme des représailles à la détention de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou. Bien que cette impasse diplomatique se soit conclue en 2021, les relations économiques sont restées tendues.
À Regina, les agriculteurs font face à des choix impossibles. « Nous avons investi des millions dans la culture d’une récolte spécifiquement adaptée aux installations de transformation chinoises, » m’a confié James Kowalchuk, agriculteur de quatrième génération, lors d’un appel vidéo depuis sa ferme de 3 000 acres près de Yorkton. Son visage buriné montrait le poids de l’incertitude. « Où exactement Ottawa s’attend-il à ce que nous vendions notre récolte maintenant? »
La réponse fédérale a été mesurée mais critiquée par les dirigeants provinciaux comme insuffisante. La ministre du Commerce Mary Ng a publié une déclaration exprimant sa « profonde préoccupation » et a promis des consultations avec les parties prenantes de l’industrie, mais s’est gardée d’annoncer des mesures de représailles.
Selon les données d’Affaires mondiales Canada que j’ai examinées hier, l’industrie du canola soutient plus de 43 000 emplois canadiens directement et indirectement. L’impact économique potentiel s’étend bien au-delà des terres agricoles des Prairies, affectant les réseaux de transport, les installations de transformation et les opérations portuaires dans tout le pays.
Les demandes d’action du premier ministre Moe comprennent le lancement immédiat d’une contestation à l’OMC, l’établissement d’un soutien d’urgence pour les agriculteurs touchés et la diversification des relations commerciales pour réduire la dépendance au marché chinois. « Ottawa doit montrer qu’il comprend l’urgence ici, » a insisté Moe. « Les agriculteurs prennent des décisions de plantation pour la prochaine saison en ce moment même. »
Le Conseil chinois pour la promotion du commerce international a défendu l’augmentation des tarifs comme des « mesures routinières de protection commerciale, » mais les évaluations internes du gouvernement canadien que j’ai examinées suggèrent que Pékin cherche à obtenir un levier dans les négociations en cours concernant l’accès aux minéraux critiques et les restrictions technologiques.
Le jeu d’échecs diplomatique qui se déroule a des implications significatives pour la stratégie indo-pacifique plus large du Canada. Il y a seulement trois semaines, j’étais avec des responsables canadiens à Tokyo alors qu’ils travaillaient à renforcer les arrangements d’exportation agricole avec le Japon, la Corée du Sud et le Vietnam – des marchés qui pourraient potentiellement absorber une partie, mais pas la totalité, des exportations de canola réorientées.
« Nous sommes pris dans une compétition de grandes puissances où les produits agricoles deviennent des pions, » a remarqué l’ancien ambassadeur en Chine Guy Saint-Jacques lors de notre café près de la Colline du Parlement ce matin. « La question est de savoir si le Canada a le poids diplomatique et la résilience économique pour résister à cette pression. »
Pour les 23 000 producteurs de canola de la Saskatchewan, les stratégies géopolitiques théoriques offrent peu de réconfort immédiat. Le gouvernement provincial estime que les pertes potentielles pourraient dépasser 300 millions de dollars dès la première année si des marchés alternatifs ne sont pas rapidement sécurisés.
Alors que la nuit tombait sur Ottawa hier soir, les lumières brûlaient tard dans les bureaux d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Des sources internes me disent que les responsables travaillent sur un ensemble de mesures d’urgence qui pourrait inclure des paiements anticipés, des fonds de développement de marché et des subventions de transport pour aider à réorienter les exportations.
La voie à suivre reste incertaine, mais une chose est claire : la réponse du Canada à ces tarifs révélera beaucoup sur sa capacité à naviguer dans un environnement commercial mondial de plus en plus complexe où l’interdépendance économique est militarisée et les produits agricoles deviennent des instruments de levier géopolitique.