J’ai vu l’immense navire-citerne se glisser dans mon champ de vision hier en fin d’après-midi – un fantôme à travers le brouillard côtier avant de se matérialiser en 300 mètres d’acier étincelant. Le Minerva Chios, premier méthanier à accoster au terminal d’exportation de GNL Canada à Kitimat, marque non seulement une étape commerciale importante, mais aussi un tournant dans la façon dont nous définissons le rôle de la Colombie-Britannique sur les marchés énergétiques mondiaux.
« Nous attendions ce moment depuis près d’une décennie, » a déclaré James Tansey, professeur à l’École de commerce Sauder de l’UBC, alors que nous observions le navire depuis un point d’observation voisin. « Cela représente le plus grand investissement privé de l’histoire canadienne, mais les implications vont bien au-delà de l’économie. »
Le projet GNL Canada de 40 milliards de dollars, dirigé par Shell avec des partenaires comme Petronas et PetroChina, est enfin entré dans sa phase d’exportation après des années de construction et de retards. Le terminal expédiera éventuellement jusqu’à 14 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié par an vers les marchés asiatiques, principalement le Japon et la Chine.
En marchant le long du rivage près du terminal hier, j’ai rencontré Sandra Harris, une aînée Gitxsan dont le territoire traditionnel se trouve juste à l’intérieur des terres, non loin de l’installation côtière. « Nos communautés ont des sentiments mitigés, » m’a-t-elle confié, regardant l’énorme vaisseau. « Il y a des emplois, oui, mais beaucoup d’entre nous s’inquiètent de ce que cela signifie pour nos eaux et pour les engagements climatiques. »
Ses préoccupations reflètent la réalité complexe du premier grand projet d’exportation de GNL de la Colombie-Britannique. Les partisans soutiennent que l’installation fournit une énergie plus propre aux économies asiatiques dépendantes du charbon tout en créant des opportunités économiques dans le nord de la C.-B. Les critiques maintiennent que le projet mine les objectifs climatiques du Canada et menace des environnements marins sensibles.
Le Minerva Chios transportera le gaz naturel surrefroidi — refroidi à environ -162°C pour le convertir sous forme liquide — réduisant son volume de 600 fois pour un transport efficace à travers le Pacifique. Cette technologie permet au gaz des champs du nord-est de la C.-B. d’atteindre des marchés auparavant inaccessibles par pipeline.
Les données de surveillance environnementale du ministère de l’Environnement de la C.-B. montrent que les opérations du terminal sont jusqu’à présent restées dans les limites d’émissions autorisées, bien que les impacts à long terme demeurent incertains. Des observateurs autochtones de plusieurs Premières Nations ont établi des programmes indépendants de surveillance environnementale aux côtés des régulateurs provinciaux.
Crystal Smith, conseillère en chef de la Nation Haisla dont le territoire englobe le site du terminal, a soutenu le projet tout en insistant sur des normes environnementales strictes. « Cela représente la réconciliation économique en action, » a-t-elle déclaré lors d’un récent forum communautaire. « Mais ne vous y trompez pas — nous surveillons tous les aspects de ces opérations pour garantir que nos terres et nos eaux sont protégées. »
Les retombées économiques sont déjà visibles à Kitimat, où les prix des logements ont doublé depuis le début de la construction du projet. Les restaurants locaux et les services se sont développés, bien que certains résidents s’inquiètent de la durabilité après la fin des phases de construction.
« Le cycle d’expansion et de ralentissement est quelque chose que les communautés nordiques ne connaissent que trop bien, » a expliqué Dre Marjorie Cohen, économiste à l’Université Simon Fraser qui étudie les communautés dépendantes des ressources. « La question n’est pas seulement cette première expédition, mais ce qui se passe dans ces villes lorsque la vague initiale de construction se termine. »
Pendant ce temps, les climatologues expriment leurs préoccupations concernant l’expansion des infrastructures de combustibles fossiles. Selon l’Institut canadien du climat, l’atteinte de l’objectif canadien d’émissions nettes nulles d’ici 2050 nécessite des réductions significatives des émissions du secteur pétrolier et gazier — une proposition difficile alors que la production augmente.
Hier soir, alors que le crépuscule s’installait sur le chenal Douglas, j’ai regardé les travailleurs portuaires sécuriser l’immense navire. Le contraste était frappant — cette technologie flottante ultramoderne face à la forêt pluviale ancienne qui a soutenu les communautés autochtones depuis des millénaires.
Kevin O’Reilly, un ingénieur de procédés qui a déménagé à Kitimat pour le projet il y a trois ans, m’a parlé à la fin de son quart de travail. « Les gens n’apprécient pas la merveille d’ingénierie que cela représente, » a-t-il dit. « Le gaz qui arrive ici est purifié, refroidi pour devenir liquide, puis stocké dans des réservoirs spécialisés avant le chargement. C’est l’aboutissement du travail de milliers de personnes sur de nombreuses années. »
Le terminal lui-même, avec ses réservoirs de stockage imposants et son réseau complexe de tuyaux, témoigne de l’ambition industrielle. Pourtant, juste au-delà de sa clôture, la côte sauvage de la C.-B. continue ses rythmes intemporels — des aigles planant au-dessus, des saumons se préparant pour leurs migrations annuelles.
Les données de Statistique Canada montrent que la production de gaz naturel de la C.-B. a augmenté de 7,5% au cours des cinq dernières années, une grande partie étant destinée à ce terminal. La province se trouve maintenant à la croisée des chemins — développant les ressources tout en essayant de respecter les engagements climatiques qui appellent à une réduction des émissions.
Pour la chef Smith et beaucoup dans sa communauté, l’arrivée du navire représente autre chose: « C’est à quoi peut ressembler la réconciliation économique quand elle est bien faite. Nous sommes partenaires, pas simplement spectateurs. »
Alors que la nuit tombait et que les lumières de l’immense navire se reflétaient sur les eaux calmes, les contradictions de ce moment étaient impossibles à ignorer. Le Minerva Chios représente à la fois une opportunité économique et un point d’interrogation environnemental, à la fois l’extraction coloniale des ressources et le partenariat autochtone, à la fois la transition énergétique mondiale et la dépendance continue aux combustibles fossiles.
Lorsque le navire partira dans environ trois jours, chargé des premières exportations majeures de GNL du Canada, il emportera avec lui non seulement du gaz naturel surrefroidi, mais aussi ces contradictions — et les espoirs et préoccupations d’innombrables Britanno-Colombiens dont les vies et les terres sont liées à cette nouvelle réalité énergétique.