J’ai mis les pieds sur le chantier balayé par les vents à Kitimat, où l’acier et le béton s’élèvent sur fond de montagnes côtières. L’ampleur du terminal d’exportation de GNL Canada est véritablement à couper le souffle – un projet de 40 milliards de dollars transformant cette ville du nord de la Colombie-Britannique en ce qui pourrait devenir la porte du Canada vers les marchés énergétiques mondiaux.
« Ce que vous voyez n’est que le début, » explique Jason Klein, PDG de GNL Canada, alors que nous longeons le périmètre de ce qui sera bientôt la première grande installation canadienne d’exportation de gaz naturel liquéfié. « C’est la phase un, mais nous envisageons déjà la suite. »
Les prévisions de Klein pour les exportations canadiennes de GNL sont remarquablement optimistes. Lors de notre conversation au siège social de l’entreprise à Vancouver la semaine dernière, il a expliqué comment le Canada pourrait devenir un acteur important sur les marchés mondiaux du GNL, avec des expéditions potentielles de 40 millions de tonnes par an d’ici 2030 – une prédiction audacieuse, considérant que le Canada n’exporte actuellement aucun GNL.
Les chiffres racontent une histoire convaincante. La première phase du projet de GNL Canada, achevée à plus de 85%, exportera 14 millions de tonnes par an dès 2025. Cedar GNL, un projet mené par les Autochtones à proximité, prévoit d’ajouter 3 millions de tonnes supplémentaires. La phase deux de GNL Canada pourrait doubler leur capacité, tandis que d’autres propositions comme Woodfibre GNL près de Squamish ajouteraient encore davantage.
« Le marché mondial signale qu’il a besoin de cet approvisionnement, » explique Klein. « Le GNL canadien présente des avantages distincts – notre proximité avec les marchés asiatiques réduit le temps d’expédition de près de moitié par rapport aux fournisseurs du Golfe du Mexique. »
Ce qui rend cette prévision particulièrement significative, c’est son timing. La recherche frénétique de sécurité énergétique en Europe suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a créé une demande sans précédent, avec des pays comme l’Allemagne construisant des terminaux d’importation de GNL à une vitesse record. Pendant ce temps, les économies asiatiques continuent leur transition du charbon vers le gaz naturel, moins polluant.
L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande mondiale de GNL pourrait augmenter de 25% d’ici 2030. Un rapport de Ressources naturelles Canada suggère que le gaz canadien pourrait remplacer des combustibles plus polluants sur les marchés internationaux, créant potentiellement un bénéfice net en termes d’émissions, malgré les préoccupations des groupes environnementaux concernant les impacts de l’extraction domestique.
Pour les Premières Nations côtières comme les Haisla, partenaires de Cedar GNL, ces projets représentent bien plus que des statistiques d’exportation – ils offrent une souveraineté économique.
« Il ne s’agit pas seulement de redevances, » m’a confié Crystal Smith, conseillère en chef de la Nation Haisla, lors de ma dernière visite dans la région. « Il s’agit de créer une indépendance économique tout en maintenant une intendance environnementale. Nous prouvons que les communautés autochtones peuvent diriger d’importants développements d’infrastructure. »
Le gouvernement provincial semble partager l’optimisme de Klein. Le premier ministre David Eby, malgré un scepticisme initial concernant le développement du GNL, a de plus en plus soutenu ces projets, particulièrement ceux avec des partenariats autochtones significatifs.
Mais d’importants défis demeurent. Les défenseurs du climat soutiennent que le Canada ne peut pas développer ses infrastructures de combustibles fossiles tout en respectant ses engagements climatiques. L’Institut Pembina calcule que GNL Canada pourrait à lui seul représenter près de 10% des émissions de la C.-B. d’ici 2030, compromettant potentiellement les objectifs climatiques provinciaux.
Des obstacles réglementaires persistent également. Bien que Klein salue les récentes incitations fiscales fédérales qui ont aidé GNL Canada à prendre sa décision finale d’investissement, il note que d’autres juridictions font passer les projets du concept à la construction beaucoup plus rapidement.
« L’Australie a construit plusieurs installations d’exportation alors que nous étions encore dans le processus d’approbation, » observe Klein. « Si le Canada veut vraiment saisir cette opportunité, le cadre réglementaire doit offrir plus de certitude. »
La concurrence mondiale est également féroce. Le Qatar a récemment annoncé une expansion massive de ses installations de GNL. Les exportateurs américains continuent de construire des terminaux le long du Golfe du Mexique. Même avec les avantages géographiques du Canada pour desservir l’Asie, la fenêtre d’opportunité n’est pas indéfinie.
Je couvre le développement énergétique dans le nord de la C.-B. depuis près d’une décennie, et ce qui me frappe le plus, c’est l’évolution de la conversation. Les communautés autrefois fermement divisées sur les pipelines et les terminaux se concentrent maintenant souvent sur la façon – et non pas si – le développement se poursuit.
Dans le centre-ville de Kitimat, j’ai parlé avec plusieurs résidents qui ont décrit l’impact économique transformateur du projet. Les prix des logements ont fortement augmenté. Les entreprises locales prospèrent en servant les milliers de travailleurs. Des programmes de formation ont créé des voies vers les métiers spécialisés pour les jeunes locaux, y compris de nombreux membres des communautés autochtones.
« Il y a cinq ans, mon fils aurait dû partir pour trouver un bon travail, » explique Marianne Weston, dont la famille vit à Kitimat depuis des générations. « Maintenant, il fait son apprentissage d’électricien ici même. »
La Régie de l’énergie du Canada estime que le pays dispose de plus de 1 200 billions de pieds cubes de ressources en gaz naturel – suffisamment pour maintenir la production actuelle pendant bien plus d’un siècle. La question est de savoir quelle quantité devrait être exportée, et si le GNL sert vraiment de « combustible de transition » comme le prétendent ses partisans.
Les évaluations environnementales de GNL Canada reconnaissent son empreinte carbone significative – environ 4 millions de tonnes d’équivalent CO₂ par an. L’entreprise répond que son installation sera parmi les usines de GNL les moins émettrices au monde, utilisant l’énergie hydroélectrique pour une grande partie de ses opérations.
Ce qui ressort clairement de mon temps passé dans ces communautés, c’est que le soutien local dépend souvent de la protection environnementale. Lorsque j’ai visité le tracé du gazoduc Coastal GasLink au printemps dernier, j’ai parlé avec des membres de la communauté Wet’suwet’en soutenant et s’opposant au projet. Leurs perspectives s’intègrent rarement dans des catégories nettes pro/anti développement, se concentrant plutôt sur des garanties environnementales spécifiques et une inclusion économique significative.
Alors que le Canada émerge potentiellement comme un exportateur majeur de GNL, ces conversations nuancées deviennent de plus en plus importantes. La prévision de Klein de 40 millions de tonnes d’exportations de GNL d’ici 2030 représente non seulement des infrastructures et des parts de marché, mais un changement fondamental dans le rôle du Canada sur les marchés énergétiques mondiaux.
Que sa prédiction s’avère exacte dépendra de facteurs allant des prix mondiaux du gaz à la politique climatique et aux partenariats autochtones. Ce qui est indéniable, c’est que l’immense installation prenant forme à Kitimat représente l’entrée la plus significative du Canada dans le commerce mondial du GNL – et possiblement juste le début d’une histoire d’exportation énergétique beaucoup plus vaste.