Alors que l’été s’installe partout au Canada, les automobilistes découvrent un phénomène inhabituel à la pompe – des prix d’essence véritablement abordables. Selon plusieurs analystes de l’industrie, les Canadiens paient actuellement les prix de carburant estivaux les plus bas que nous ayons connus depuis près de dix ans, un soulagement bienvenu pendant la haute saison de conduite.
« Nous observons des moyennes nationales environ 30 cents inférieures à l’été dernier, » explique Roger McKnight, analyste en chef du pétrole chez En-Pro International. « Ce genre de contexte tarifaire en été n’a pas été vu depuis environ 2016. »
Les chiffres racontent une histoire convaincante. Bien que des variations régionales existent, la moyenne nationale se maintient autour de 1,52 $ le litre, comparativement à 1,82 $ à la même période l’an dernier. Dans certains marchés comme Edmonton et certaines régions du Québec, les prix sont descendus sous les 1,40 $ – des chiffres pratiquement inouïs pendant les mois d’été ces dernières années.
Qu’est-ce qui explique ce cadeau inattendu pour les conducteurs canadiens? La réponse se trouve dans un réseau complexe de facteurs mondiaux et nationaux.
D’abord, les prix du pétrole brut sont restés étonnamment stables malgré les tensions géopolitiques actuelles. Le pétrole brut West Texas Intermediate (WTI), référence pour les prix du pétrole nord-américain, est resté sous les 80 $ US le baril pendant une grande partie de 2024, défiant les prévisions antérieures de flambées des prix. La stabilité relative au Moyen-Orient par rapport aux escalades de l’année dernière a considérablement calmé les marchés.
« La prime de risque géopolitique s’est essentiellement évaporée des marchés pétroliers, » note Vijay Muralidharan, analyste principal chez Kalibrate. « L’été dernier, les marchés anticipaient les pires scénarios concernant les perturbations d’expédition en mer Rouge et d’éventuels conflits plus larges. Ces craintes ne se sont pas matérialisées au degré attendu. »
Au niveau national, les raffineries canadiennes ont fonctionné à près de pleine capacité, évitant les arrêts d’entretien et les problèmes opérationnels qui entraînent généralement les augmentations de prix estivales. L’abondance de l’offre qui en résulte a créé des conditions favorables pour les consommateurs.
Le plus surprenant est peut-être la situation de la demande. Malgré les prévisions de pics de voyages post-pandémiques, la consommation d’essence est restée modérée. Les données de Statistique Canada montrent que les achats de carburant n’ont toujours pas complètement retrouvé les niveaux de 2019, suggérant des changements durables dans les habitudes de déplacement et les choix de transport.
« Nous observons ce qu’on pourrait appeler un changement permanent dans les habitudes de conduite des Canadiens, » explique Susan Harper, économiste au Conference Board du Canada. « Le télétravail a réduit les déplacements pour de nombreux employés de bureau, tandis que l’essor des véhicules électriques dans les zones urbaines commence à avoir un impact mesurable sur la demande d’essence. »
Ce paysage de consommation en évolution est particulièrement évident dans des provinces comme la Colombie-Britannique et le Québec, où les taux d’adoption des VÉ ont augmenté le plus rapidement. La Colombie-Britannique détient maintenant le pourcentage le plus élevé de véhicules électriques au Canada, avec près de 18 % des nouvelles immatriculations de véhicules étant des modèles entièrement électriques.
Pour le ménage canadien moyen, ces bas prix de l’essence se traduisent par des économies significatives. Une famille possédant deux véhicules conventionnels pourrait économiser entre 60 et 80 $ par mois par rapport à l’été dernier – pas de quoi changer une vie, mais certainement bienvenu face aux prix des épiceries et des logements qui demeurent élevés.
La situation diffère nettement de celle de nos voisins américains, où les prix de l’essence estivale restent relativement élevés en raison d’une demande plus forte et de problèmes régionaux de raffinage. L’écart de prix entre l’essence canadienne et américaine (lorsqu’on les convertit à la même mesure et devise) s’est élargi à des niveaux inhabituels.
« Typiquement, le Canada et les États-Unis évoluent selon des modèles similaires avec une légère prime de prix de notre côté en raison des taxes, » souligne McKnight. « Cet été, nous observons l’inverse – les prix canadiens sont effectivement plus bas même en tenant compte des taux de change et des différences de mesure. »
Combien de temps ce répit durera-t-il? La plupart des analystes croient que ces conditions favorables pourraient se maintenir pendant une bonne partie de l’été, bien que septembre apporte généralement des ajustements de prix lorsque les raffineries passent aux mélanges de carburant d’hiver.
Les perspectives à plus long terme introduisent davantage d’incertitude. La prochaine élection américaine pourrait avoir un impact significatif sur les politiques énergétiques et les marchés mondiaux. Pendant ce temps, l’OPEP+ continue de lutter pour maintenir la discipline de production parmi ses membres, des pays comme l’Irak et la Russie dépassant fréquemment les limites de production convenues.
Au-delà des économies immédiates pour les consommateurs, ces bas prix de l’essence présentent un paradoxe économique intéressant pour le Canada. En tant que producteur majeur de pétrole, des prix mondiaux plus bas nuisent aux revenus des provinces productrices d’énergie comme l’Alberta. Cependant, des coûts de carburant plus bas profitent à la fabrication, à la logistique et à l’économie de consommation plus large.
Alors que les Canadiens se lancent dans des voyages routiers d’été et des week-ends au chalet, ils peuvent au moins rayer un souci de leur liste. Dans une période où les préoccupations d’abordabilité dominent les conversations à table, l’essence moins chère offre un petit mais significatif point positif économique. Que l’on fasse le plein à Vancouver, Toronto ou Halifax, les conducteurs profitent d’un répit estival sur les prix qui ne s’était pas fait sentir depuis près d’une décennie.