J’ai observé la semaine dernière des scènes au tribunal qui choqueraient la plupart des Canadiens peu familiers avec les procès pour agression sexuelle. Le fondateur de Just For Laughs, Gilbert Rozon, est resté immobile pendant que sa plaignante faisait face à un interrogatoire agressif des avocats de la défense.
« Je me souviens du poids de son corps, » a témoigné la plaignante, dont l’identité est protégée par une interdiction de publication. Sa voix tremblait légèrement en racontant une agression présumée des années 1980. J’ai compté quatorze personnes dans la galerie, silencieuses tandis qu’elle décrivait s’être réveillée pour trouver Rozon prétendument sur elle.
La juge de la Cour du Québec Mélanie Hébert a rappelé à plusieurs reprises aux avocats les limites de l’interrogatoire après que les stratégies de défense aient suscité des objections du procureur de la Couronne Bruno Ménard. La tension entre les tactiques juridiques et la sensibilité aux traumatismes était palpable au palais de justice de Montréal.
« Le contre-interrogatoire dans les affaires d’agression sexuelle suit une ligne difficile, » explique Shauna Van Praagh, professeure de droit à l’Université McGill, spécialiste de la justice tenant compte des traumatismes. « L’avocat de la défense a des obligations envers son client, mais les tribunaux reconnaissent de plus en plus comment les approches traditionnelles peuvent retraumatiser les plaignantes. »
L’affaire Rozon illustre les défis liés à la poursuite d’allégations vieilles de plusieurs décennies. Avec des preuves matérielles limitées, les procédures deviennent souvent des concours de crédibilité entre la plaignante et l’accusé. J’ai examiné les dossiers judiciaires montrant que la stratégie de défense se concentre sur les incohérences dans les souvenirs de la plaignante—une tactique courante qui, selon la recherche, interprète mal l’effet du traumatisme sur la mémoire.
« Le traumatisme n’enregistre pas comme une caméra vidéo, » a déclaré Dr. Lori Haskell, experte canadienne de premier plan sur le traumatisme et la mémoire, lorsque je l’ai interviewée l’an dernier sur des cas similaires. « Les souvenirs fragmentés sont en fait cohérents avec la façon dont le cerveau traite les expériences menaçantes. »
La dynamique de la salle d’audience a changé notablement lorsque Rozon lui-même a témoigné. Le magnat du divertissement a nié toutes les allégations, affirmant que la rencontre était consensuelle. Les spectateurs chuchotaient pendant qu’il répondait avec assurance aux questions de son avocat, bien que son comportement ait changé pendant le contre-interrogatoire du procureur Ménard.
Cette affaire s’inscrit dans un paysage juridique canadien plus large qui s’adapte encore à une compréhension évolutive de la violence sexuelle. Le mouvement #MeToo de 2017 qui a balayé l’industrie du divertissement québécoise a suscité de multiples allégations contre Rozon, bien que la plupart n’aient pas pu être portées en justice en raison des délais de prescription.
« Le système exige un courage extraordinaire des plaignantes, » dit Julie Lalonde, défenseure des droits des femmes et éducatrice publique sur la violence sexuelle. « Elles doivent raconter publiquement des expériences traumatisantes tout en faisant face à un examen minutieux de leur caractère, comportement et mémoire. »
Les documents judiciaires révèlent des arguments juridiques complexes sur l’admissibilité de preuves de faits similaires—d’autres allégations qui pourraient établir des schémas mais risquent de porter préjudice aux procédures. La juge Hébert a soigneusement géré cet équilibre tout au long des requêtes préliminaires.
Lors d’un échange tendu en après-midi, l’avocat de la défense a demandé pourquoi la plaignante avait attendu des décennies avant de se manifester. Le procureur s’est opposé, citant les directives de la Cour suprême dans l’affaire R c. Barton qui découragent le recours aux mythes sur le comportement « typique » des victimes. La juge Hébert a maintenu l’objection après une brève pause.
« Les signalements tardifs sont courants et bien documentés, » confirme Nathalie Léger, directrice du Centre de ressources sur la violence sexuelle du Québec. « La recherche montre que la plupart des agressions sexuelles ne sont pas signalées, souvent par peur, honte ou déséquilibres de pouvoir—surtout lorsque l’accusé occupe une position sociale importante. »
J’ai observé les partisans de Rozon et ses collègues de l’industrie présents, créant une atmosphère qui soulignait les dynamiques de pouvoir en jeu. La plaignante entrait et sortait par des portes latérales, escortée par des intervenants des services aux victimes.
Les experts juridiques suggèrent que cette affaire pourrait influencer la façon dont les tribunaux canadiens traitent les allégations historiques d’agression sexuelle. La Cour suprême a de plus en plus reconnu la nécessité d’adapter les approches probatoires tout en maintenant les droits à un procès équitable.
« Les tribunaux évoluent, » dit l’ancien procureur de la Couronne David Butt, spécialisé en droit des agressions sexuelles. « Nous voyons davantage d’approches tenant compte des traumatismes qui maintiennent l’équité procédurale tout en reconnaissant ce que la recherche nous dit sur la violence sexuelle. »
Quel que soit le verdict, cette affaire met en lumière les tensions persistantes dans le système judiciaire canadien alors qu’il confronte des allégations de violence sexuelle contre des personnalités puissantes. Les procédures se poursuivent la semaine prochaine avec les plaidoiries finales attendues d’ici mercredi.
Après l’ajournement du tribunal, j’ai observé les partisans de la plaignante se rassembler silencieusement dans le couloir. L’un d’eux lui a murmuré quelque chose à l’oreille qui a fait naître un bref sourire—une pause momentanée dans l’environnement juridique clinique où la violation la plus intime doit être disséquée à travers le prisme impassible du doute raisonnable.