Les quatre hommes accusés d’implication dans une agression sexuelle collective survenue en 2018 ont assisté hier à une troisième journée de témoignage, alors que la femme au centre de l’affaire subissait un contre-interrogatoire intense concernant ses souvenirs de la nuit en question.
L’affaire a relancé des conversations nationales sur le consentement dans la culture sportive, particulièrement lorsque les avocats de la défense ont questionné la femme sur sa consommation d’alcool et les messages texte envoyés avant sa rencontre avec les joueurs dans un bar de London, en Ontario, après un gala de la Fondation Hockey Canada.
« C’est un schéma troublant qu’on continue de voir dans les cas d’agression sexuelle, » affirme Farrah Khan, gestionnaire de « Le consentement d’abord » à l’Université Métropolitaine de Toronto. « L’attention se déplace vers l’examen minutieux du comportement de la victime plutôt que d’examiner si un consentement affirmatif et continu était présent. »
La cour a entendu que la femme, qui ne peut être identifiée en raison d’une interdiction de publication, a témoigné qu’elle se sentait « complètement figée » pendant certaines parties de la rencontre avec l’ancien joueur de la LNH Alex Formenton et les ex-joueurs juniors Dillon Dubé, Cal Foote et Carter Hart. Les quatre hommes ont plaidé non coupable d’agression sexuelle.
Le procès survient six ans après l’incident et fait suite à une poursuite de 3,55 millions de dollars intentée par la femme contre Hockey Canada et huit joueurs non identifiés, qui a été réglée à l’amiable en mai 2022. Ce règlement a déclenché un tollé national lorsqu’il est devenu public, menant à des audiences parlementaires et d’importants changements de gouvernance chez Hockey Canada.
Selon les experts, l’affaire met en lumière des problèmes persistants dans le déroulement des procès pour agression sexuelle. Elaine Craig, professeure de droit à l’Université Dalhousie qui étudie le droit relatif aux agressions sexuelles, note que « malgré des décennies de réformes juridiques, les plaignantes font encore face à un examen extraordinaire de leur comportement avant et après les agressions présumées, d’une manière qui peut perpétuer les mythes sur ce qui constitue un ‘vrai viol’. »
La femme a témoigné plus tôt cette semaine qu’elle avait rencontré certains joueurs dans un bar et s’était rendue volontairement dans une chambre d’hôtel avec l’un d’entre eux, mais n’avait pas consenti à des activités sexuelles avec plusieurs hommes. Les avocats de la défense ont suggéré que la rencontre était consensuelle.
Hockey Canada a mis en œuvre une nouvelle formation obligatoire sur la violence sexuelle et un code de conduite complet depuis 2022. L’enquête indépendante de l’organisation sur l’incident est demeurée suspendue en attendant la procédure pénale.
« Des cas comme celui-ci ont des répercussions bien au-delà de la salle d’audience, » déclare Lorraine Lafrenière, PDG de l’Association canadienne des entraîneurs. « Ils nous forcent à affronter des questions inconfortables sur les cultures que nous créons dans les sports, du niveau amateur jusqu’au niveau élite. »
Le procès a suscité une attention publique intense, et les défenseurs des survivants d’agression sexuelle s’inquiètent des effets dissuasifs potentiels sur les signalements. Les données de Statistique Canada montrent que seulement environ 6% des agressions sexuelles sont signalées à la police, et encore moins aboutissent à des condamnations.
« Quand des affaires très médiatisées deviennent des spectacles publics, cela peut renforcer les craintes des victimes à se manifester, » explique Nneka MacGregor, directrice exécutive du Centre des femmes pour la justice sociale. « Beaucoup se demandent si endurer ce niveau d’examen en vaut la peine. »
La cour a entendu qu’en 2018, la police de London avait initialement clos son enquête sans porter d’accusations, mais l’affaire a été rouverte en 2022 après que des reportages médiatiques sur la gestion du cas par Hockey Canada aient suscité l’indignation du public.
Le procès devrait se poursuivre pendant plusieurs semaines. Le juge Bruce Thomas préside l’affaire, qui est entendue par un juge seul plutôt que par un jury.
Entre-temps, plusieurs équipes professionnelles de hockey ont mis les joueurs accusés en congé en attendant l’issue de la procédure. La LNH a déclaré qu’elle attendrait la conclusion du processus judiciaire avant de déterminer d’éventuelles mesures disciplinaires.
Alors que les témoignages se poursuivent, l’affaire soulève des questions plus larges sur les dynamiques de pouvoir, l’alcool et le consentement – particulièrement dans des environnements où de jeunes athlètes atteignent le statut de célébrité à un âge précoce.
« Il ne s’agit pas seulement de comportement individuel, » soutient Dr. Michael Kehler, professeur de recherche en études des masculinités à l’Université de Calgary. « Il s’agit de systèmes qui parfois ne parviennent pas à enseigner aux jeunes hommes le respect, les limites et la prise de décision éthique aussi minutieusement qu’ils enseignent les compétences techniques. »
Le procès reprend lundi.