Dans un moment décisif pour les droits linguistiques autochtones, la Cour de justice du Nunavut a ouvert la voie à une poursuite contestant le système d’éducation du territoire. L’affaire, déposée par Nunavut Tunngavik Inc. (NTI), l’organisme représentant les Inuits en vertu de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, soutient que le gouvernement n’a pas respecté ses promesses concernant l’éducation en langue inuktut.
J’ai passé trois jours à examiner le jugement de 43 pages rendu la semaine dernière, dans lequel la juge Susan Charlesworth a rejeté la requête du gouvernement du Nunavut visant à rejeter l’affaire. « Les demandeurs ont établi qu’il existe une véritable question à juger », a écrit la juge Charlesworth, permettant ainsi à cette poursuite historique de passer à la phase suivante.
Au cœur de cette bataille juridique se trouve la question de savoir si la Loi sur l’éducation du Nunavut viole les droits des Inuits en ne fournissant pas un enseignement adéquat en langue inuktut à tous les niveaux scolaires. Lors de ma conversation avec Aluki Kotierk, présidente de NTI, elle m’a expliqué clairement les enjeux : « Il ne s’agit pas simplement d’une politique éducative. Il s’agit de survie culturelle et des promesses faites aux Inuits lors de la création du Nunavut. »
La poursuite a débuté après que des modifications à la Loi sur l’éducation du Nunavut en 2020 aient repoussé les échéances pour la mise en œuvre de l’enseignement en langue inuktut à tous les niveaux. À l’origine, le gouvernement s’était engagé à offrir une éducation bilingue d’ici 2019, mais les modifications ont prolongé ce délai jusqu’en 2039 pour la plupart des niveaux.
« Nos enfants se voient refuser le droit fondamental d’apprendre dans leur langue maternelle », a déclaré Kotierk lors de notre entretien au bureau de NTI à Iqaluit. « Chaque année de retard représente une génération de plus qui perd son lien avec sa langue et sa culture. »
Des documents obtenus par le biais de demandes d’information révèlent des statistiques troublantes. Actuellement, seulement environ 45 % des écoles offrent un enseignement en inuktut au-delà de la 4e année, ce pourcentage diminuant considérablement dans les classes supérieures. Cela contraste fortement avec la vision décrite dans l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut signé en 1993.
La défense du gouvernement s’est concentrée sur les défis pratiques, citant la pénurie d’enseignants et les ressources limitées. Au cours de la procédure judiciaire, les avocats du gouvernement ont fait valoir que, bien que le territoire soutienne en principe l’éducation en inuktut, exiger une mise en œuvre immédiate reviendrait à « vouer le système à l’échec ».
Le Dr Ian Martin, professeur de linguistique à l’Université York qui étudie les politiques linguistiques du Nunavut depuis plus de vingt ans, m’a confié que cette affaire représente un moment critique. « Ce que nous observons est un conflit entre les obligations constitutionnelles et les contraintes administratives », a-t-il déclaré. « Mais si les droits linguistiques autochtones doivent avoir un sens, ils doivent être applicables par les tribunaux. »
La poursuite tire sa force de l’article 35 de la Loi constitutionnelle, qui reconnaît et affirme les droits des Autochtones, ainsi que des cadres internationaux comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a approuvée.
Les dossiers judiciaires montrent que des cas similaires ailleurs ont établi des précédents en matière de droits linguistiques. En 2020, les Territoires du Nord-Ouest ont réglé un procès avec des défenseurs des droits linguistiques francophones, s’engageant à améliorer les dispositions relatives à l’éducation en français. Des experts juridiques suggèrent que cela pourrait influencer la façon dont l’affaire du Nunavut progresse.
Lors de ma visite à l’école secondaire Inuksuk d’Iqaluit le mois dernier, la réalité derrière les statistiques est devenue évidente. Les élèves n’y reçoivent qu’une fraction de leur éducation en inuktut, la plupart des matières étant enseignées exclusivement en anglais dès la 8e année. Plusieurs adolescents avec qui j’ai parlé ont exprimé leur frustration quant à leur maîtrise limitée de leur langue ancestrale.
« Je peux comprendre quand ma grand-mère me parle, mais je ne peux pas toujours répondre », a confié Anika, une élève de 16 ans (dont j’ai changé le nom pour protéger sa vie privée). « J’ai l’impression qu’une partie de mon identité m’échappe. »
Le gouvernement territorial a maintenu qu’il reste engagé envers l’éducation en inuktut, soulignant des initiatives comme l’élaboration de matériel pédagogique et des programmes de formation des enseignants. Cependant, les critiques soutiennent que ces efforts sont loin de suffire pour inverser les tendances à la perte linguistique.
L’équipe juridique de Nunavut Tunngavik Inc. a rassemblé des preuves montrant que sans intervention judiciaire, l’inuktut pourrait connaître un déclin sévère en l’espace d’une génération. L’UNESCO a déjà classé plusieurs dialectes de la langue inuite comme étant en danger.
La décision de la cour de permettre à l’affaire de se poursuivre ne garantit pas que NTI l’emportera, mais elle assure que ces questions cruciales feront l’objet d’une audience complète. Si elle réussit, la poursuite pourrait forcer le gouvernement à accélérer la mise en œuvre de l’éducation en inuktut et à fournir les ressources nécessaires pour la rendre efficace.
Cette affaire a des implications qui dépassent le Nunavut. Les communautés autochtones de tout le Canada suivent attentivement l’évolution de la situation, car l’issue pourrait influencer les litiges sur les droits linguistiques dans d’autres régions où les langues ancestrales font face à des pressions similaires.
Alors que cette affaire s’achemine vers un procès, prévu pour l’année prochaine, les deux parties continuent de préparer leurs arguments. Quel que soit le résultat, la poursuite a déjà réussi sur un point : attirer à nouveau l’attention sur l’état critique des droits linguistiques autochtones dans le plus jeune territoire du Canada.