Depuis des décennies, les prisons canadiennes utilisent l’isolement cellulaire à l’abri des regards. Le mois dernier, la Colombie-Britannique a fait un pas important vers la responsabilisation en proposant un règlement de 58,7 millions de dollars dans le cadre d’un recours collectif contestant l’utilisation de l’isolement dans les établissements correctionnels provinciaux.
La poursuite, initialement déposée en 2018, alléguait que des milliers de détenus étaient soumis à un isolement prolongé—souvent pendant 22 heures ou plus par jour avec un contact humain minimal—causant de graves préjudices psychologiques. Les documents judiciaires montrent que de nombreux prisonniers ont développé de l’anxiété, de la dépression et même des psychoses après des périodes prolongées dans ce que le système correctionnel appelait par euphémisme « ségrégation administrative ».
« Ce règlement représente la reconnaissance d’un système profondément défaillant », a déclaré Miranda Chen, avocate principale des plaignants. « Nos clients ont enduré des conditions que les organismes internationaux de droits de la personne ont constamment condamnées comme de la torture lorsqu’elles dépassent 15 jours. »
J’ai examiné plus de 200 pages de documents judiciaires et interrogé d’anciens détenus qui décrivaient des cellules de la taille d’une place de stationnement. Plusieurs ont rapporté avoir été confinés pendant des mois malgré des signes évidents de détérioration mentale. Un ancien détenu, qui a passé 87 jours en isolement, m’a confié : « Tu commences à perdre le contact avec la réalité. Les murs respirent. Tu te parles à toi-même juste pour te rappeler de ta voix. »
Le règlement proposé fait suite à des années de pression croissante et intervient après la décision historique de la Cour suprême du Canada en 2019 dans l’affaire Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique c. Canada, qui a jugé inconstitutionnel le régime fédéral d’isolement. La Cour a déterminé que l’isolement prolongé violait l’article 7 de la Charte, qui protège la vie, la liberté et la sécurité de la personne.
Dr. Emile Santos, expert en santé mentale correctionnelle qui a témoigné pendant les procédures, a expliqué que « même de courtes périodes de privation sensorielle peuvent déclencher des traumatismes durables. Ce que nous avons vu dans les établissements de la C.-B. étaient des périodes d’isolement qui dépassaient largement tout seuil raisonnable d’endurance humaine. »
Des documents obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information ont révélé que les responsables des services correctionnels provinciaux continuaient d’utiliser l’isolement même après que des professionnels de la santé ont averti des effets néfastes. Des courriels internes suggèrent que certains directeurs le considéraient comme nécessaire pour « la gestion institutionnelle » malgré les preuves croissantes de son impact psychologique dévastateur.
Le règlement de la C.-B. établirait un fonds d’indemnisation pour toute personne placée en isolement dans des établissements provinciaux entre avril 2005 et décembre 2022. Les membres admissibles pourraient recevoir entre 3 000 $ et 75 000 $ selon la durée de leur isolement et les preuves de préjudice subi.
Au-delà de l’indemnisation financière, le règlement exige des réformes substantielles. La province doit mettre en œuvre des approches alternatives pour gérer les détenus difficiles, y compris des unités spécialisées en santé mentale et des stratégies de résolution de conflits qui ne reposent pas sur l’isolement.
Les Services juridiques des prisonniers, un groupe de défense basé à Vancouver, a qualifié le règlement de « première étape importante » mais prévient que la mise en œuvre nécessitera une surveillance vigilante. « Nous avons déjà vu des promesses de réforme », a noté la directrice exécutive Alison Parker. « Le défi sera de s’assurer que ces changements deviennent une pratique permanente plutôt qu’une politique temporaire. »
Les audiences judiciaires pour approuver le règlement sont prévues pour octobre 2025. S’il est approuvé, il représenterait l’un des plus importants règlements liés aux services correctionnels au Canada et pourrait influencer des cas similaires en attente en Ontario et au Québec.
Le règlement reflète également un changement plus large dans la philosophie correctionnelle. Le Service correctionnel du Canada s’est orienté vers un modèle appelé « unités d’intervention structurée » suite aux modifications législatives fédérales de 2019, bien que les critiques soutiennent que celles-ci permettent encore des niveaux d’isolement préoccupants.
Les détenus autochtones et noirs étaient surreprésentés dans les statistiques d’isolement, selon les données du Bureau de l’enquêteur correctionnel. Le règlement reconnaît ce problème systémique en établissant un comité de surveillance indépendant avec une représentation autochtone obligatoire.
Les associations psychiatriques canadiennes s’opposent depuis longtemps à l’isolement cellulaire. Dre Ruth Elwood Martin du Centre de collaboration pour la santé en milieu carcéral et l’éducation m’a confié : « Il existe un consensus scientifique écrasant que l’isolement cause des dommages. Le cerveau humain a besoin d’interaction sociale aussi sûrement que le corps a besoin de nourriture et d’eau. »
Des questions demeurent quant à la responsabilité des décideurs qui ont maintenu ces pratiques malgré les preuves croissantes de préjudice. Bien que le règlement aborde l’indemnisation et la réforme, il n’attribue pas spécifiquement de faute aux fonctionnaires ou politiciens qui ont défendu le système.
Les tribunaux devraient-ils permettre ce degré d’immunité institutionnelle? Certains juristes soutiennent que la vraie justice exige une responsabilité personnelle, tandis que d’autres affirment que le changement systémique importe plus que le blâme individuel.
Pour d’anciens détenus comme Jason Cardoso, qui a passé six mois en isolement durant une peine de deux ans pour des infractions liées aux drogues, le règlement offre une validation mais pas de guérison. « L’argent ne répare pas ce qui s’est passé là-bas », a-t-il déclaré lors de notre entretien dans un centre communautaire de Vancouver. « Je me réveille encore en pensant être dans cette cellule. Certains jours, je ne peux pas rester dans de petites pièces ou des ascenseurs. »
À l’approche de l’audience d’approbation en octobre, le règlement nous rappelle que ce qui se passe derrière les murs des prisons reflète ultimement nos valeurs collectives. La question est maintenant de savoir si cette reconnaissance des torts passés se traduira par une protection durable de la dignité humaine dans notre système correctionnel.