Les coulisses de Bay Street bourdonnent d’un optimisme qu’on n’avait pas vu depuis des années. Alors que le cours de l’or maintient sa progression stable au-dessus de 2 500 $ US l’once et que l’argent suit la même tendance, les dirigeants des compagnies minières canadiennes prennent des décisions audacieuses qui auraient semblé téméraires il y a seulement 18 mois.
« Nous réactivons des sections mises en veilleuse dans nos exploitations du nord de l’Ontario qui n’avaient pas connu d’activité depuis 2013, » explique Mélanie Zhao, directrice financière de CanGold Resources, lors de notre conversation à une récente conférence minière. « Avant, la rentabilité n’était tout simplement pas au rendez-vous. Maintenant, tous les indicateurs nous poussent à nous développer. »
Elle n’est pas la seule. Dans tout le paysage minier canadien, les entreprises dépoussiérent leurs plans d’expansion mis de côté et accélèrent leurs calendriers de production. Les résultats commencent à se refléter dans les chiffres – Statistique Canada rapporte que les valeurs de production minérale ont augmenté de 12,3 % d’une année sur l’autre au deuxième trimestre, les métaux précieux étant en tête de file.
Il ne s’agit pas seulement de creuser plus de trous dans le sol. La transformation est plus profonde, reflétant des changements fondamentaux tant dans le sentiment économique mondial que dans la demande industrielle. L’or a traditionnellement servi de protection contre l’incertitude, mais la flambée actuelle présente des caractéristiques distinctives que les analystes chevronnés observent attentivement.
Mark Bristow, PDG de Barrick Gold, le géant minier basé à Toronto, a souligné une confluence de facteurs lors de la présentation des résultats de l’entreprise la semaine dernière. « Nous constatons des achats sans précédent des banques centrales parallèlement à une forte demande des investisseurs particuliers, notamment sur les marchés asiatiques, » a noté Bristow. « Quand on combine cela avec les contraintes de production que nous avons vues se développer au cours de la dernière décennie de sous-investissement, les fondamentaux de l’offre et de la demande sont extraordinairement favorables. »
Les chiffres confirment son évaluation. Le Conseil mondial de l’or rapporte que les banques centrales ont ajouté 483 tonnes aux réserves mondiales au premier semestre 2024, en voie de dépasser les achats quasi records de l’année dernière. Pendant ce temps, les investissements en FNB dans l’or ont inversé leurs sorties de fonds de 2023, ajoutant plus de 200 tonnes depuis janvier.
Pour l’économie canadienne, cette montée en flèche ne pouvait pas arriver à un meilleur moment. Le secteur minier emploie directement environ 400 000 personnes à l’échelle nationale et contribue à environ 5 % du PIB total du Canada. Plus important encore, c’est l’un des rares points brillants alors que d’autres indicateurs économiques font clignoter des signaux d’alerte.
« La renaissance minière fournit un élan crucial alors que les dépenses de consommation s’affaiblissent et que le logement poursuit sa correction, » explique Avery Williams, économiste en chef chez RBC Marchés des Capitaux. « Les provinces dépendantes des ressources comme l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique constatent des retombées significatives dans la fabrication, le transport et les services spécialisés. »
Les effets d’entraînement s’étendent au-delà de l’économie pure. À Timmins, en Ontario, où l’exploitation minière est au cœur de l’identité de la communauté depuis plus d’un siècle, la mairesse Michelle Jones décrit un changement palpable dans l’air. « Nous voyons de jeunes familles revenir, des projets immobiliers sortir de terre et des petites entreprises ouvrir leurs portes. Ce sont des choses qui ne se produisaient tout simplement pas il y a cinq ans. »
Mais les initiés de l’industrie mettent en garde contre un optimisme sans réserve. Les exploitations minières font face à d’importants vents contraires malgré des prix favorables. Les pénuries de main-d’œuvre continuent de toucher le secteur, avec des postes qualifiés restant vacants pendant des mois. Les Perspectives du marché du travail minier canadien prévoient une pénurie pouvant atteindre 79 000 travailleurs d’ici 2029 si les tendances actuelles se maintiennent.
Les coûts de conformité environnementale ont également considérablement augmenté. Les nouvelles réglementations fédérales sur la gestion des résidus miniers devraient à elles seules ajouter 1,2 milliard de dollars en dépenses d’investissement à l’échelle de l’industrie au cours de la prochaine décennie, selon Ressources naturelles Canada.
Le défi le plus important vient peut-être de l’augmentation des coûts d’exploitation. « Les intrants énergétiques, l’équipement et les consommables ont tous connu une inflation à deux chiffres, » explique Thomas Cooper, directeur des opérations chez Agnico Eagle. « Nous captons des revenus plus élevés, mais les marges ne s’élargissent pas autant que les augmentations de prix des gros titres pourraient le suggérer. »
Néanmoins, les minières canadiennes ont répondu avec l’ingéniosité qui les caractérise. Beaucoup accélèrent leurs initiatives d’automatisation pour faire face aux contraintes de main-d’œuvre tout en réduisant simultanément leur empreinte environnementale. L’exploitation Porcupine de Newmont dans le nord de l’Ontario utilise maintenant des foreuses autonomes qui ont amélioré la productivité de 30 % tout en réduisant la consommation de diesel.
« L’adoption de la technologie concernait autrefois des améliorations marginales, » affirme Sarah Chen, analyste en technologie minière chez Deloitte. « Maintenant, c’est existentiel – les entreprises ne peuvent tout simplement pas augmenter leur production pour répondre à la demande du marché sans adopter la transformation numérique et l’automatisation. »
La communauté des investisseurs l’a remarqué. L’indice S&P/TSX Global Gold a surpassé le marché général de plus de 20 points de pourcentage depuis le début de l’année. Les offres d’actions des sociétés minières canadiennes ont levé 4,2 milliards de dollars au cours des trois premiers trimestres, soit plus du double du montant de la même période l’an dernier.
Pour les investisseurs qui ont traversé les années difficiles des années 2010, l’environnement actuel semble être une validation tardive. « Nous avons maintenu des positions dans des producteurs d’or de qualité quand c’était profondément démodé, » admet Jason Kim, gestionnaire de portefeuille chez Horizons FNB. « Notre thèse était simple – on ne peut pas imprimer de l’or, et éventuellement la politique monétaire créerait les conditions pour sa réévaluation. »
Pour l’avenir, les leaders de l’industrie restent prudemment optimistes quant à la force soutenue des marchés des métaux précieux. Le paysage géopolitique montre peu de signes de stabilisation, et les banques centrales continuent de diversifier leurs réserves en s’éloignant des devises traditionnelles.
Pour des communautés comme Kirkland Lake, Val-d’Or et Trail, la résurgence minière représente plus qu’une simple opportunité économique – c’est une question d’identité et de continuité. « L’exploitation minière n’est pas seulement ce que nous faisons, » réfléchit Jones depuis son bureau surplombant le centre-ville historique de Timmins. « C’est qui nous sommes. Cette renaissance signifie que notre prochaine génération pourrait choisir de construire sa vie ici plutôt que de se sentir obligée de partir. »
Alors que les sociétés minières canadiennes naviguent dans cette opportunité en or, elles équilibrent une expansion agressive avec les leçons durement apprises des cycles précédents. L’industrie a déjà été échaudée en s’étendant trop pendant les pics de prix, pour ensuite faire face à des contractions douloureuses lorsque les marchés se corrigent inévitablement.
Cette fois, il y a un sentiment de discipline mesurée qui tempère l’excitation. Comme le dit Zhao : « Nous augmentons la production, oui, mais nous le faisons avec des opérations qui ont du sens à 1 800 $ l’or, pas seulement aux prix actuels. C’est la différence entre construire quelque chose de durable et quelque chose qui ne fonctionne que dans des conditions idéales. »
Dans l’exploitation minière, comme dans la vie, rien ne brille éternellement. Mais pour l’instant, les producteurs canadiens profitent de leur moment au soleil.