La brise fraîche d’automne fait bruisser les érables devant le petit bungalow de Karen Henley à Saint-Jean. À l’intérieur, cette enseignante retraitée de 64 ans s’installe dans son fauteuil préféré, ajuste son tube d’oxygène et prend soigneusement son médicament contre le cancer. Il y a deux ans, ce moment aurait nécessité une longue visite à l’hôpital. Aujourd’hui, c’est juste un mardi ordinaire à la maison.
« J’avais l’habitude de redouter ces déplacements à l’hôpital, » me confie Karen lors d’une récente visite. « Quatre heures de route, trouver un stationnement, des salles d’attente pleines d’autres personnes malades. Quand je rentrais chez moi, j’étais complètement épuisée. Maintenant, le traitement vient à moi. »
Karen fait partie des vingt premiers patients inscrits au programme novateur de traitement à domicile du cancer du poumon du Nouveau-Brunswick, lancé en septembre par le Réseau de santé Horizon. Cette initiative représente un changement significatif dans la prestation des soins contre le cancer que les professionnels de la santé considèrent comme transformateur pour les patients de toute la province.
Le programme se concentre sur les thérapies orales pour le cancer du poumon non à petites cellules, permettant aux patients de prendre leurs médicaments chez eux plutôt que de recevoir une chimiothérapie intraveineuse en milieu hospitalier. Pour les résidents du Nouveau-Brunswick—la seule province officiellement bilingue du Canada avec de vastes zones rurales—cette approche élimine le fardeau des déplacements tout en maintenant l’efficacité clinique.
La Dre Nadia Lachance, chef d’oncologie à l’Hôpital régional de Saint-Jean, défend ce programme depuis près de trois ans. « La géographie ne devrait pas déterminer les résultats du cancer, » explique-t-elle lors de notre conversation à l’unité d’oncologie de l’hôpital. « Avec de nombreux traitements modernes contre le cancer du poumon disponibles sous forme de comprimés, nous avons vu l’opportunité d’apporter des soins de haute qualité directement aux patients tout en réduisant la pression sur nos installations. »
Le programme implique bien plus que l’envoi de médicaments par la poste. Des infirmières spécialisées en oncologie effectuent des visites régulières à domicile, réalisent des évaluations et fournissent de l’éducation. Les patients bénéficient également de suivis virtuels entre les visites et ont accès à un soutien clinique 24 heures sur 24 via une ligne téléphonique dédiée.
Les statistiques de Soins contre le cancer Nouveau-Brunswick montrent qu’environ 680 Néo-Brunswickois reçoivent un diagnostic de cancer du poumon chaque année. Près de 40 pour cent vivent à plus d’une heure du centre de traitement du cancer le plus proche. Pour ces patients, chaque visite à l’hôpital représente non seulement des soins médicaux, mais aussi un défi logistique important.
« Nous voyons le système de santé s’adapter aux besoins des patients plutôt que de forcer les patients à s’adapter au système, » dit la Dre Lachance. « C’est une petite révolution significative dans notre façon de fournir des soins spécialisés. »
Le programme s’appuie sur les leçons tirées pendant la pandémie de COVID-19, lorsque les fournisseurs de soins de santé ont dû trouver des modèles de prestation alternatifs. Les données recueillies par la Société canadienne du cancer pendant cette période suggèrent que les patients recevant des traitements à domicile rapportaient une meilleure qualité de vie et, surtout, une meilleure adhérence aux médicaments—un facteur critique pour le succès du traitement.
De retour dans le salon de Karen, elle me montre une boîte à médicaments soigneusement organisée et une tablette fournie par le programme. La tablette la connecte avec son équipe de soins et contient des instructions détaillées pour son traitement.
« Avoir un cancer du poumon est déjà assez terrifiant sans avoir à naviguer dans le système de santé, » dit-elle. « Ce programme me redonne un certain contrôle. Je peux prendre mes médicaments en regardant mes petits-enfants jouer dans la cour au lieu de fixer le plafond de l’hôpital. »
Les implications financières sont également importantes. Les projections initiales du Réseau de santé Horizon suggèrent que le programme pourrait réduire les coûts d’hospitalisation d’environ 4 300 $ par patient annuellement tout en libérant des capacités dans les départements d’oncologie. Cela est important dans une province où les dépenses de santé représentent près de 40 pour cent du budget total, selon le ministère des Finances du Nouveau-Brunswick.
Cependant, le programme n’est pas sans défis. Lors d’une visite au Centre de cancérologie de l’Hôpital régional de Saint-Jean, je parle avec Marie Arsenault, la coordinatrice du programme, qui reconnaît la complexité d’assurer un soutien approprié aux patients en dehors des milieux cliniques.
« Nous affinons constamment nos processus, » explique Arsenault. « Il y a un équilibre délicat entre la surveillance de niveau hospitalier et le confort des soins à domicile. Nous avons mis en place une formation rigoureuse pour nos infirmières à domicile et établi des protocoles clairs pour déterminer quand les patients doivent retourner à l’hôpital. »
La sélection des patients est également soigneusement considérée. Tous les patients atteints d’un cancer du poumon ne sont pas admissibles au traitement à domicile. Les candidats doivent répondre à des critères cliniques spécifiques et démontrer leur capacité à gérer les médicaments de façon autonome ou disposer de systèmes de soutien adéquats.
Pour les communautés autochtones du Nouveau-Brunswick, le programme offre une promesse particulière. Jessica Paul, navigatrice de santé pour la Nation Wolastoqey, voit l’initiative comme une réponse aux obstacles de longue date aux soins.
« Beaucoup de membres de notre communauté ont une profonde méfiance envers les cadres institutionnels en raison de traumatismes historiques, » explique Paul lors de notre rencontre au centre communautaire de la Première Nation de Tobique. « Recevoir un traitement à la maison, entouré de la famille et de soutiens culturels, fait une énorme différence dans la guérison tant physique que spirituelle. »
Le succès du programme a suscité l’intérêt d’autres provinces canadiennes. Des représentants de Santé Î.-P.-É. ont déjà visité pour observer le modèle, et des discussions sont en cours avec Santé Nouvelle-Écosse pour explorer des initiatives similaires.
Alors que le soir approche, Karen prépare le dîner en attendant la visite hebdomadaire de son infirmière. Sur son réfrigérateur, tenu par des aimants, se trouve un calendrier marquant les étapes de son traitement. Ses récentes analyses ont montré une réduction de la tumeur—une nouvelle positive délivrée par appel vidéo plutôt que dans une salle de consultation stérile.
« Le cancer vous prend tellement, » réfléchit Karen en remuant une marmite de soupe maison. « Ce programme redonne quelque chose—de la dignité, du temps avec la famille, des moments normaux entre les moments difficiles. Cela compte autant que le médicament. »
Pour les fournisseurs de soins de santé et les décideurs du Nouveau-Brunswick, le succès initial de ce programme représente plus qu’un nouveau modèle de traitement. Il signale une refonte fondamentale de la façon dont les soins spécialisés peuvent être dispensés dans une province caractérisée par des défis géographiques et une population vieillissante.
« Nous n’en sommes qu’au début, » me dit la Dre Lachance en concluant notre entretien. « Si nous pouvons traiter avec succès des conditions complexes comme le cancer du poumon à domicile, imaginez quelles autres innovations pourraient être possibles. Les murs de l’hôpital deviennent plus perméables, et c’est une bonne médecine pour tous. »