Alors que les pourparlers progressent vers ce que les initiés appellent « l’accord gaz-contre-vin », le Canada et l’Afrique du Sud semblent se rapprocher de la conclusion d’un partenariat commercial inattendu qui pourrait remodeler les marchés de l’énergie et de l’agriculture dans les deux nations.
L’accord proposé établirait un cadre pour les exportations de gaz naturel canadien vers le marché sud-africain en manque d’énergie, tout en créant un accès préférentiel pour les producteurs de vin sud-africains aux tablettes des sociétés d’alcool canadiennes.
« Nous envisageons une relation commerciale complémentaire qui répond aux besoins critiques des deux côtés, » déclare Maria Nkosi, vice-ministre sud-africaine du Commerce international. « La sécurité énergétique pour nous et la diversification des marchés pour les deux pays. »
Le moment ne pourrait être plus stratégique. L’Afrique du Sud continue de lutter contre des pénuries d’énergie persistantes, avec des coupures de courant affectant la production industrielle. Pendant ce temps, les producteurs de gaz canadiens cherchent agressivement de nouveaux marchés d’exportation alors que la demande américaine atteint un plateau en raison de leur boom de production nationale.
Pour l’industrie vinicole renommée de l’Afrique du Sud, qui a lutté contre les défis climatiques et les perturbations liées à la pandémie, un accès garanti au marché canadien de l’alcool, réglementé mais lucratif, représente une opportunité significative. La consommation de vin au Canada a augmenté régulièrement de 3 à 4 % par an au cours de la dernière décennie, selon les données de Statistique Canada.
Les analystes de l’industrie estiment que l’accord potentiel pourrait augmenter les exportations de vin sud-africain vers le Canada jusqu’à 35 % en trois ans, tandis que les exportations de gaz naturel canadien pourraient aider l’Afrique du Sud à réduire sa dépendance au charbon d’autant que 15 % sur la même période.
« C’est essentiellement du troc à l’échelle nationale, » explique l’économiste de l’énergie basée à Toronto, Priya Sharma. « Les deux parties obtiennent quelque chose dont elles ont véritablement besoin sans épuiser leurs réserves de devises étrangères. »
L’accord proposé n’est pas sans controverse. Les vignerons canadiens, particulièrement ceux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, ont exprimé des préoccupations concernant l’augmentation de la concurrence. L’Association des vignerons canadiens a demandé des mécanismes de protection dans tout accord final.
« Nous soutenons le commerce international, mais notre industrie vinicole nationale a besoin de garanties, » affirme Jean-Marc Bouchard, porte-parole de l’association. « Nos producteurs sont déjà en concurrence avec des vins européens et américains fortement subventionnés. »
Les groupes environnementaux ont également soulevé des préoccupations concernant l’expansion des exportations de combustibles fossiles du Canada alors qu’il s’engage publiquement à des objectifs de réduction des émissions. « Nous exportons effectivement notre empreinte carbone, » argue Derek Williams, porte-parole d’Action Climat Canada.
Les partisans rétorquent que le gaz naturel reste un combustible de transition nécessaire pour les économies en développement encore fortement dépendantes du charbon. L’Afrique du Sud tire environ 70 % de son électricité de centrales au charbon, ce qui fait du gaz naturel une alternative plus propre à court terme.
La structure de l’accord semble intentionnellement flexible. Plutôt que des quotas rigides, il établit un traitement tarifaire préférentiel et des approbations réglementaires simplifiées. Cette approche permet aux forces du marché de déterminer les volumes réels d’échanges tout en supprimant les barrières bureaucratiques.
Pour les producteurs de gaz canadiens, particulièrement ceux de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, l’accord représente une opportunité de diversification bienvenue après des années de contraintes de pipeline limitant l’accès aux marchés asiatiques.
« Nous cherchons à élargir notre clientèle au-delà des États-Unis depuis une décennie, » note Susan Chen, vice-présidente chez Ressources du Nord. « L’Afrique du Sud représente un marché stable et en croissance avec d’importants investissements d’infrastructure en cours. »
L’accord proposé comprend également des dispositions de coopération technique. L’expertise canadienne dans le traitement et le transport du gaz naturel liquéfié (GNL) serait partagée avec des partenaires sud-africains, tandis que les pratiques viticoles durables sud-africaines seraient échangées avec les producteurs de vin canadiens.
« Les composantes de transfert de connaissances pourraient finalement s’avérer plus précieuses que les produits eux-mêmes, » suggère Alejandro Morales, professeur de commerce international à l’Université de Toronto. « Cela crée des avantages relationnels à long terme au-delà des simples chiffres d’import-export. »
Les négociations devraient se conclure au début de l’année prochaine, avec une cérémonie de signature potentielle lors de la Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth à Johannesburg. La mise en œuvre commencerait probablement d’ici mi-2026, sous réserve d’approbations réglementaires dans les deux nations.
L’impact sur les consommateurs reste incertain. Bien que les vins sud-africains puissent devenir plus abordables et largement disponibles au Canada, les exportations de gaz ne devraient pas affecter significativement les prix de l’énergie domestique dans l’un ou l’autre pays.
« Cet accord concerne davantage le positionnement stratégique que les avantages immédiats pour les consommateurs, » note l’analyste économique Jamie Wu. « Les deux pays jouent sur le long terme en matière de transition énergétique et d’accès au marché. »
Alors que les pressions climatiques et les tensions géopolitiques continuent de remodeler les modèles de commerce mondial, l’accord Canada-Afrique du Sud pourrait représenter un nouveau modèle d’accords bilatéraux—un modèle axé sur la complémentarité pratique plutôt que sur un accès global au marché.
Pour l’instant, les consommateurs ne peuvent que spéculer si leur Pinotage sud-africain préféré deviendra plus abordable, ou si le gaz canadien aidera à maintenir les lumières allumées au Cap. Mais en coulisses, les négociateurs semblent de plus en plus confiants que les verres seront bientôt levés pour porter un toast à ce partenariat non conventionnel.