Le message est arrivé alors que je montais à bord d’un traversier pour l’île Bowen. Mon amie, une nouvelle maman, était affolée: « As-tu entendu parler du rappel des brosses à dents Dollarama? Celle qu’on a achetée pour Emma la semaine dernière?«
Je n’étais pas au courant, mais en quelques minutes, je me suis retrouvée à parcourir les avis de rappel de Santé Canada pendant que le traversier fendait les eaux brumeuses de Howe Sound. La brosse à dents pour bébé Oracare, un article apparemment inoffensif vendu dans les magasins Dollarama à travers le pays, venait d’être retirée des tablettes après des signalements indiquant que ses poils pouvaient se détacher et présenter un risque d’étouffement pour les nourrissons.
Pour près de 100 000 familles canadiennes qui ont acheté ce produit entre janvier 2023 et juin 2024, l’avis de rappel a particulièrement résonné. Ces brosses à dents à 1,50 $ représentaient à la fois la réalité économique à laquelle de nombreux parents font face et la confiance implicite que nous accordons aux systèmes réglementaires pour protéger nos plus vulnérables.
« Je l’ai achetée parce qu’elle était abordable, » explique Melissa Chen, mère de jumeaux avec qui j’ai discuté devant un Dollarama de Vancouver. « On fait confiance au fait que si quelque chose est vendu au Canada, surtout pour les bébés, il a été correctement testé.«
L’avis de rappel, émis le 14 juin par Santé Canada en coordination avec Dollarama, décrit la préoccupation spécifique de sécurité en termes cliniques: « Les poils peuvent se détacher de la brosse pendant l’utilisation, présentant un risque d’étouffement. » Mais derrière ce langage bureaucratique se cache une histoire plus profonde sur la sécurité des produits, l’accessibilité économique et la vulnérabilité particulière des enfants.
Selon la base de données de sécurité des produits de consommation de Santé Canada, environ 93 000 unités de ces brosses à dents pour nourrissons bleues et roses ont été vendues à travers le Canada. Les produits, fabriqués en Chine et distribués par Dollarama, étaient spécifiquement commercialisés pour les dents et les gencives en développement des bébés.
Dre Emily Wong, dentiste pédiatrique avec un cabinet dans l’est de Vancouver, explique pourquoi ce rappel particulier la préoccupe. « Les produits de soins bucco-dentaires pour nourrissons doivent subir des tests de sécurité rigoureux. Un poil qui se détache est particulièrement dangereux car les bébés utilisent naturellement leur bouche pour explorer les objets, et leurs réflexes nauséeux ne sont pas complètement développés.«
Bien que Santé Canada ne signale aucune blessure au Canada jusqu’à présent, les conséquences potentielles d’un poil logé dans les voies respiratoires d’un enfant sont graves. L’étouffement reste l’une des principales causes de blessures et de décès chez les jeunes enfants, selon la Société canadienne de pédiatrie.
Ce qui rend ce rappel particulièrement remarquable, c’est comment il s’entrecroise avec la réalité économique de nombreuses familles canadiennes. Les magasins à un dollar sont devenus des détaillants essentiels pour de nombreux ménages aux prises avec le coût de la vie croissant au Canada. Les données de Statistique Canada montrent qu’au cours de la dernière année, le coût d’élever des enfants a augmenté de près de 6%, les produits pour bébés connaissant certaines des hausses de prix les plus importantes.
« Quand on essaie d’étirer chaque dollar, on compte sur les systèmes réglementaires pour s’assurer que même les articles à bas prix répondent aux normes de sécurité de base, » affirme Alex Morrissette, analyste de politiques au Conseil des consommateurs du Canada. « Il ne devrait pas y avoir d’écart de sécurité entre ce que les familles aisées et à faible revenu peuvent se permettre.«
Dollarama a publié des déclarations indiquant qu’ils coopèrent pleinement avec Santé Canada et exhortent les consommateurs à cesser immédiatement d’utiliser le produit. Les clients peuvent retourner les brosses à dents dans n’importe quel magasin Dollarama pour un remboursement complet, sans reçu requis.
Le processus de rappel lui-même révèle à la fois les forces et les faiblesses du cadre de protection des consommateurs au Canada. Bien que Santé Canada maintienne un système de rappel robuste, l’efficacité de ces avis repose fortement sur la sensibilisation des consommateurs. Une étude de 2022 de l’Université de la Colombie-Britannique a révélé que les avis de rappel n’atteignent qu’environ 60% des consommateurs concernés, les ménages à faible revenu étant moins susceptibles d’être informés des rappels.
En me promenant dans le quartier Hastings-Sunrise de Vancouver hier, je me suis arrêtée dans trois magasins Dollarama. Deux avaient des avis bien visibles concernant le rappel affichés aux caisses, tandis qu’un n’avait aucune information visible. Lorsqu’on lui a demandé, un membre du personnel du troisième magasin était au courant du rappel mais a mentionné qu’ils n’avaient pas encore reçu la signalisation officielle.
Pour les parents comme Jasmine Torres, que j’ai rencontrée dans un parc communautaire avec son bébé de 8 mois, le processus de rappel lui-même peut être intimidant. « L’anglais n’est pas ma langue maternelle, et je ne vérifie pas toujours ces sites gouvernementaux, » m’a-t-elle confié tout en surveillant sa fille sur les balançoires. « Parfois, je m’inquiète de ce que je pourrais manquer.«
Torres soulève un point important sur l’accessibilité. Santé Canada publie des informations de rappel dans les deux langues officielles, mais pour les près de 22% de Canadiens qui ne parlent ni l’anglais ni le français comme première langue, ces avis de sécurité critiques peuvent passer inaperçus.
Certains centres de santé communautaires travaillent à combler cette lacune. Au Centre de santé communautaire Reach dans l’est de Vancouver, le personnel a commencé à inclure des informations sur les rappels dans leurs communications régulières avec les nouveaux parents.
« Nous essayons de nous assurer que ces avis atteignent tout le monde, indépendamment des barrières linguistiques ou de l’accès numérique, » explique Nurjehan Ahmed, une travailleuse de la santé communautaire chez Reach. « Quelque chose d’aussi simple qu’une brosse à dents ne devrait pas mettre un enfant en danger parce qu’une famille a manqué un avis de rappel.«
Le rappel Oracare met également en évidence la nature mondiale de la fabrication des produits et les défis du maintien de normes de sécurité cohérentes. Les brosses à dents ont été fabriquées en Chine, importées par un détaillant canadien et soumises aux réglementations canadiennes en matière de sécurité – une chaîne d’approvisionnement courante pour les biens de consommation.
La Dre Wong souligne que ce n’est pas seulement un problème des magasins à un dollar. « Nous avons également vu des rappels de marques coûteuses. La différence réside souvent dans la rapidité avec laquelle les problèmes sont identifiés et comment les entreprises réagissent.«
En rentrant sur le traversier de l’après-midi, j’ai envoyé un message à mon amie avec le lien de Santé Canada et la politique de remboursement de Dollarama. Son soulagement était palpable même par texto: « Merci d’avoir vérifié. Je la rapporte aujourd’hui.«
Ce rappel, comme beaucoup d’autres, s’estompera probablement de la conscience publique dans les semaines à venir. Mais pour les défenseurs de la sécurité, les régulateurs, les parents et les professionnels de la santé qui naviguent dans ces eaux, chaque rappel représente à la fois un système qui a détecté un danger potentiel et un système qui a permis à ce danger d’atteindre les étagères des magasins.
Entre-temps, 93 000 petites brosses à dents bleues et roses feront leur chemin de retour vers les magasins Dollarama à travers le Canada – de petits rappels de l’infrastructure de sécurité invisible sur laquelle nous comptons chaque jour, et ce qui se passe lorsqu’elle fait défaut.