La fonction publique fédérale se trouve à la croisée des chemins. Avec la directive du Conseil du Trésor qui impose aux ministères des réductions budgétaires allant jusqu’à 15 %, la question de savoir qui en subira les conséquences devient de plus en plus pressante, particulièrement pour les groupes en quête d’équité qui se sont historiquement battus pour leur place dans les couloirs du gouvernement.
La semaine dernière, le Conseil du Trésor du Canada a publié son rapport annuel sur l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique, offrant un portrait essentiel de la diversité au sein des rangs fédéraux avant que les réductions d’effectifs prévues ne prennent effet. Le moment ne pourrait être plus significatif, créant ce que plusieurs observateurs appellent un « moment de référence » pour mesurer l’impact des compressions à venir.
« Ce rapport nous donne essentiellement notre image ‘avant’, » explique Dre Melissa Chen, professeure d’administration publique à l’Université Carleton. « Lorsque les ministères commenceront à mettre en œuvre les réductions, nous aurons des données concrètes pour déterminer si les compressions affectent de façon disproportionnée les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées ou les minorités visibles. »
Le rapport révèle des progrès significatifs ainsi que des défis persistants. Les femmes représentent maintenant 56,4 % de l’effectif fédéral – un sommet historique – bien que leur représentation s’amenuise considérablement aux niveaux de direction. Les employés autochtones constituent 5,2 % des fonctionnaires, dépassant leur disponibilité au sein de la population active de 4 %, tandis que les personnes handicapées représentent 9,3 % des employés, surpassant leur objectif de disponibilité de 9 %.
Les minorités visibles, à 18,9 % de la fonction publique, demeurent légèrement en-dessous de leur disponibilité au sein de la population active de 19,3 %, bien que leur nombre ait régulièrement augmenté au cours des cinq dernières années.
Karen Mohammed, présidente du Caucus des employés noirs fédéraux, a exprimé un optimisme prudent concernant ces chiffres, mais a mis en garde contre la vulnérabilité potentielle des groupes en quête d’équité lors des réductions d’effectifs.
« Les progrès ont été progressifs et durement acquis, » m’a confié Mohammed lors d’un entretien téléphonique depuis son bureau d’Ottawa. « Quand les compressions arrivent, l’approche ‘dernier entré, premier sorti’ affecte souvent de manière disproportionnée ceux qui ont le plus récemment gagné l’accès à ces institutions. Nous avons besoin de garanties que les mesures budgétaires ne défairont pas des décennies de travail en matière d’équité. »
L’analyse du Conseil du Trésor reconnaît cette préoccupation, indiquant que « les ministères devront effectuer des analyses comparatives entre les sexes plus (ACS+) de tout plan de réaménagement des effectifs. » Pourtant, les critiques se demandent si ces évaluations auront du poids lorsque les pressions financières s’intensifieront.
Lors d’une assemblée publique à Winnipeg le mois dernier, j’ai été témoin de l’anxiété parmi les travailleurs fédéraux issus des groupes en quête d’équité. Marlene Thunder, une analyste politique autochtone chez Service Canada, a exprimé ce que beaucoup ressentaient : « Nous mettons enfin le pied dans la porte, seulement pour craindre qu’elle ne se referme à nouveau. »
La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, s’est publiquement engagée à préserver les gains en matière de diversité tout en mettant en œuvre des mesures d’efficacité. « La force de notre fonction publique réside dans sa diversité, » a déclaré Anand dans un communiqué accompagnant le rapport. « Nous restons engagés à bâtir un effectif inclusif qui reflète les Canadiens que nous servons. »
Pourtant, le scepticisme demeure profond, particulièrement compte tenu des tendances historiques. Durant les réductions d’effectifs fédéraux de 2011-2015 sous le gouvernement Harper, une recherche menée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a révélé que les scientifiques et professionnels issus des minorités visibles ont été touchés de façon disproportionnée par les suppressions d’emplois.
« Il y a une mémoire institutionnelle ici, » a expliqué Jean-Philippe Turgeon, spécialiste des relations de travail à l’Alliance de la Fonction publique du Canada. « Quand les ministères font face à des pressions budgétaires, les considérations d’équité deviennent souvent secondaires par rapport aux objectifs financiers. »
Le rapport souligne plusieurs ministères qui réalisent des progrès notables. L’Agence du revenu du Canada a augmenté sa représentation des personnes handicapées à 11,8 %, tandis qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est en tête pour la représentation des minorités visibles à 31,4 %.
À l’inverse, certains ministères techniques et axés sur la sécurité continuent de lutter avec les critères de diversité. Le Centre de la sécurité des télécommunications, par exemple, ne compte que 14,6 % de représentation des minorités visibles malgré son siège dans la diversifiée ville d’Ottawa.
Des disparités régionales émergent également dans les données. Les bureaux du Canada atlantique affichent une plus forte représentation autochtone mais accusent un retard dans l’embauche de minorités visibles. Les bureaux du Québec démontrent une meilleure parité des genres aux postes de direction mais font face à des défis dans l’adaptation pour les personnes handicapées.
Selon la dernière enquête sur la population active de Statistique Canada, le gouvernement fédéral emploie environ 319 600 travailleurs à travers le pays. Avec des compressions potentielles affectant jusqu’à 15 % des postes, près de 48 000 emplois pourraient être menacés. Les implications en matière d’équité de telles réductions sont substantielles.
« La pandémie nous a appris que les chocs économiques n’affectent pas tous les groupes de manière égale, » a noté Dre Chen. « Les décisions gouvernementales en matière d’effectifs suivent des modèles similaires—des politiques apparemment neutres peuvent avoir des conséquences profondément inégales. »
Pour les communautés qui dépendent de l’emploi fédéral, les enjeux vont au-delà des emplois individuels. Dans des régions comme le nord de l’Ontario et certaines parties du Canada atlantique, le gouvernement fédéral est un employeur majeur offrant des postes stables et bien rémunérés qui soutiennent les économies locales.
Sheila Francis, mairesse d’une petite communauté du Nouveau-Brunswick avec une importante présence de bureaux fédéraux, a exprimé son inquiétude quant à la dimension d’équité régionale. « Quand Ottawa prend ces décisions, ils doivent se rappeler que supprimer des postes dans notre ville a un impact différent que des compressions dans les grandes villes où les options d’emploi sont nombreuses. »
Le Conseil du Trésor a promis des mises à jour trimestrielles sur la démographie de la main-d’œuvre à mesure que les ministères mettent en œuvre leurs stratégies de réduction budgétaire. Cet engagement à la transparence représente un changement significatif par rapport aux cycles de compressions précédents, permettant potentiellement des corrections de cap si des déséquilibres en matière d’équité émergent.
Ce qui reste flou, c’est si les ministères disposent des outils analytiques et de l’engagement nécessaires pour protéger les gains en matière de diversité tout en atteignant les objectifs financiers. Le rapport reconnaît les défis persistants dans la rétention et la promotion des groupes en quête d’équité, des problèmes qui pourraient être exacerbés pendant les périodes de contraction institutionnelle.
Comme me l’a confié sous couvert d’anonymat un cadre autochtone, « Le problème n’est pas seulement de savoir qui sera mis à pied, mais quel travail sera dévalué dans le processus. Quand les ministères rétrécissent, les perspectives autochtones et les initiatives d’adaptation pour les personnes handicapées sont souvent les premières à être jugées ‘non essentielles’. »
Pour les milliers de fonctionnaires issus des groupes en quête d’équité, les mois à venir représentent non seulement une préoccupation personnelle en matière d’emploi, mais aussi un test pour déterminer si l’engagement du Canada envers une bureaucratie représentative peut résister à la pression fiscale. La référence a été établie—la façon dont le portrait évoluera révélera beaucoup sur les priorités institutionnelles.