J’observe avec une inquiétude croissante la partie d’échecs économique qui se déroule entre le Canada et les États-Unis. La dernière analyse de Desjardins brosse un tableau préoccupant pour la santé fiscale du Canada alors que nous naviguons à travers des pressions concurrentes des deux côtés de la frontière.
La double menace des récentes réductions d’impôts d’Ottawa et du plan de Washington visant à réduire les tarifs douaniers crée ce que les économistes pourraient appeler une tempête fiscale parfaite. Ces forces se combinent pour potentiellement laisser une entaille importante dans le budget déjà tendu du Canada.
« Nous sommes confrontés à une situation où les sources de revenus sont comprimées de plusieurs directions, » note Jimmy Jean, économiste en chef chez Desjardins. L’analyse de son équipe suggère que ces pressions rendront de plus en plus difficile pour le Canada de maintenir son équilibre fiscal tout en fournissant les services promis.
Les réductions d’impôts récemment annoncées par le gouvernement Trudeau représentent une tentative d’alléger le fardeau des Canadiens aux prises avec une inflation persistante et des coûts de logement élevés. Bien que politiquement nécessaires, ces réductions surviennent à un moment où les coffres fédéraux sont déjà mis à rude épreuve par les dépenses de l’ère pandémique qui ne se sont pas encore résorbées.
Ce qui rend cette situation particulièrement difficile, c’est le timing. La décision de l’administration américaine de réduire certains tarifs crée une pression concurrentielle que le Canada peut difficilement ignorer. Les entreprises canadiennes ont longtemps composé avec la réalité complexe d’opérer dans l’ombre de la plus grande économie mondiale, mais ces derniers développements accentuent considérablement ce défi.
« Quand votre plus grand partenaire commercial effectue un changement de politique significatif, les effets d’entraînement ne se font pas seulement sentir sur les volumes d’échanges – ils modifient fondamentalement les calculs fiscaux, » explique Patricia Croft, ancienne économiste en chef chez RBC Global Asset Management, avec qui je me suis entretenu hier au sujet du rapport de Desjardins.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Finances Canada avait déjà prévu un déficit de 40 milliards de dollars pour l’exercice fiscal en cours avant ces récents développements. Le directeur parlementaire du budget a indiqué que ce chiffre pourrait augmenter substantiellement si la croissance économique ralentit plus que prévu – ce que ces changements fiscaux et tarifaires rendent de plus en plus probable.
Pour les Canadiens moyens, cette tension macroéconomique se traduit par de véritables préoccupations domestiques. Les services gouvernementaux dont ils dépendent font face à des pressions de financement croissantes, tandis que les entreprises qui les emploient doivent naviguer des défis concurrentiels qui pourraient avoir un impact sur les emplois et les salaires.
Les propriétaires de petites entreprises comme Tariq Ahmed, qui dirige une exploitation manufacturière à Mississauga que j’ai visitée le mois dernier, se sentent pris entre deux feux. « Nous sommes reconnaissants pour tout allégement fiscal, mais nous sommes également préoccupés par la durabilité des programmes gouvernementaux si les revenus continuent de diminuer, » m’a-t-il confié. Son entreprise emploie 47 personnes et vend environ 30% de ses produits à des clients américains.
L’analyse de Desjardins arrive à un moment particulièrement délicat pour l’économie canadienne. La Banque du Canada a prudemment assoupli sa politique monétaire, l’inflation montrant des signes de modération. Cependant, ces développements fiscaux pourraient compliquer ce tableau, forçant potentiellement les décideurs politiques à reconsidérer le rythme des ajustements des taux d’intérêt.
Ce qui rend la situation du Canada particulièrement difficile est notre réalité démographique. Avec une population vieillissante et des demandes croissantes en soins de santé, la marge de manœuvre fiscale était déjà limitée. Ces nouvelles pressions contraignent davantage les options d’Ottawa.
Les finances provinciales font face à des tensions similaires. Le ministre des Finances de l’Ontario, Peter Bethlenfalvy, a récemment reconnu que la province surveille ces développements de près, particulièrement étant donné la nature intégrée du secteur manufacturier Ontario-États-Unis qui demeure crucial pour l’économie provinciale.
Les réductions tarifaires prévues par Washington sont particulièrement préoccupantes pour des secteurs spécifiques comme l’aluminium, l’acier et les produits agricoles, où les producteurs canadiens ont longtemps navigué dans un paysage concurrentiel complexe avec leurs homologues américains.
« Il ne s’agit pas seulement des bilans gouvernementaux, » note l’économiste Walid Hejazi de l’Université de Toronto. « Il s’agit de la capacité du Canada à investir dans la compétitivité future tout en maintenant le filet de sécurité sociale qui nous distingue de notre voisin du sud. »
Historiquement, le Canada a géré des défis similaires grâce à un calibrage politique soigneux et en tirant parti de nos avantages en ressources. Cependant, l’incertitude économique mondiale actuelle – des tensions géopolitiques à la réorganisation continue des chaînes d’approvisionnement – rend cet épisode particulièrement difficile.
La question qui se pose maintenant à Ottawa est de savoir s’il faut répondre par des mesures fiscales supplémentaires, approfondissant potentiellement les déficits, ou maintenir le cap et traverser ce qui pourrait être une période d’ajustement difficile.
Pour les Canadiens ordinaires, les implications de ces pressions fiscales peuvent ne pas être immédiatement évidentes, mais elles pourraient éventuellement se traduire par des choix difficiles concernant les services gouvernementaux prioritaires ou la nécessité d’ajuster les taux d’imposition dans les budgets futurs.
Les chefs d’entreprise avec qui j’ai parlé expriment leur inquiétude non seulement quant à l’impact immédiat, mais aussi concernant l’incertitude de la planification à long terme. Les décisions d’investissement en capital nécessitent une prévisibilité fiscale raisonnable – quelque chose qui devient de plus en plus difficile lorsque des changements politiques majeurs se produisent simultanément des deux côtés de la frontière.
Alors que le Parlement reprend sa session, ces préoccupations économiques occuperont probablement une place centrale dans les débats politiques. La capacité du gouvernement à naviguer ces défis tout en maintenant la confiance du public sera un test déterminant pour l’administration actuelle.
Ce qui reste clair, c’est que la position fiscale du Canada fait face à de nouvelles tensions qui nécessiteront une gestion attentive et potentiellement des choix difficiles dans les mois à venir. L’analyse de Desjardins sert de rappel important que dans nos économies interconnectées, les décisions politiques ne se produisent pas isolément – et leurs conséquences respectent rarement les frontières nationales.