Alors que le soleil du matin filtrait à travers les fenêtres cintrées du Musée de la guerre d’Ottawa, James Wilkins, 98 ans, ajustait son blazer bleu marine orné de médailles. Ses mains usées reposaient sur une canne qui semblait plus cérémonielle que nécessaire, vu la posture droite qu’il a maintenue tout au long de notre conversation.
« Nous ne pensions pas faire quelque chose d’extraordinaire, » m’a confié Wilkins, sa voix claire malgré son âge. « Nous étions simplement des gars qui faisaient ce qu’il fallait faire.«
Cette semaine marque les 80 ans depuis que les forces canadiennes ont pris d’assaut la plage Juno lors du débarquement du Jour J, un moment charnière qui a contribué à assurer la victoire des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. La communauté décroissante d’anciens combattants qui ont été témoins directs de ces événements historiques s’est réunie lors d’événements commémoratifs à travers le pays, leurs rangs s’amenuisant mais leurs souvenirs restant vifs.
Statistique Canada estime qu’il reste moins de 20 000 anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale vivants au Canada aujourd’hui, avec un âge moyen de plus de 95 ans. Pour beaucoup de Canadiens nés dans les décennies qui ont suivi, ces aînés représentent des liens vivants avec un chapitre déterminant de notre histoire nationale.
« J’étais terrifiée, ne vous y trompez pas, » a déclaré Margaret Collins, 97 ans, qui a servi comme opératrice radio au sein du Service féminin de la Marine royale canadienne. « Mais la peur n’était pas un luxe dans lequel nous pouvions nous complaire. Il y avait toujours du travail à faire. »
Collins, qui a voyagé depuis Halifax pour les événements anniversaires, se souvient du moment où elle a appris que la guerre était terminée. « Je surveillais les transmissions quand la nouvelle est tombée. La salle a explosé de joie. Mais même dans notre célébration, nous savions que beaucoup ne reviendraient pas. »
Anciens Combattants Canada a documenté que plus de 45 000 Canadiens ont perdu la vie durant ce conflit, et des milliers d’autres sont revenus avec des blessures physiques et psychologiques. Les commémorations nationales de cette semaine reconnaissent à la fois la victoire obtenue et l’énorme sacrifice qu’elle a exigé.
Pour les jeunes générations, ces anniversaires offrent de rares occasions d’entendre des témoignages directs de ceux qui ont vécu le conflit mondial. Lors d’un événement dans un cégep de Toronto, des étudiants ont enregistré des entrevues avec des anciens combattants dans le cadre d’un projet d’histoire orale visant à préserver ces souvenirs au-delà de la génération vivante.
« Ce qui me frappe le plus, c’est à quel point ils parlent de circonstances extraordinaires de façon si ordinaire, » a déclaré la professeure Emily Zhao, qui coordonne le projet. « Il y a là une humilité qui semble de plus en plus rare à notre époque de médias sociaux.«
À Ottawa, la ministre de la Défense Anita Anand a rencontré des anciens combattants sur la Colline du Parlement, soulignant l’engagement continu du Canada envers ceux qui ont servi. « Les libertés dont nous jouissons aujourd’hui ont été assurées par le courage et le sacrifice de ces individus et de leurs camarades tombés au combat, » a-t-elle déclaré durant la cérémonie.
Pour certains vétérans, ces commémorations suscitent des émotions complexes. Robert Mackenzie, 96 ans, qui a servi dans l’Aviation royale canadienne, a exprimé son inquiétude quant à la façon dont l’histoire est remémorée.
« Je crains parfois que cela devienne juste une histoire parmi d’autres, » a-t-il dit, regardant à travers le musée où des écoliers examinaient des vitrines d’artefacts de guerre. « Ce n’était pas un film ou un jeu vidéo. C’était de la boue et du sang, et dire adieu à des amis qui ne sont jamais revenus. »
Les filiales de la Légion canadienne à travers le pays ont organisé des événements communautaires alliant souvenir et éducation. À Winnipeg, des écoles locales se sont associées à la Légion pour créer des installations artistiques basées sur les histoires des vétérans, tandis qu’à Vancouver, une cérémonie au bord du port incluait des navires et un survol aérien honorant les contributions maritimes à l’effort allié.
L’anniversaire a également suscité une réflexion sur la façon dont l’expérience canadienne de la guerre a façonné notre identité nationale et notre position internationale. L’historienne Margaret MacMillan de l’Université de Toronto souligne que la période d’après-guerre a transformé la place du Canada dans le monde.
« Le Canada est sorti de la guerre avec une nouvelle confiance et de nouvelles capacités, » a expliqué MacMillan lors d’une table ronde de Radio-Canada. « Nos contributions nous ont valu une place aux tables internationales où les décisions étaient prises. Cet héritage diplomatique continue de bénéficier aux Canadiens aujourd’hui. »
Pour les communautés à travers le pays, l’anniversaire est devenu l’occasion d’examiner les liens locaux avec le conflit mondial. Des musées dans les petits centres ont dévoilé des expositions spéciales mettant en lumière les contributions locales, tandis que les archives municipales ont numérisé des documents de guerre pour les rendre accessibles aux chercheurs et aux descendants.
Alors que le soir tombait sur le premier jour des commémorations, j’ai observé Wilkins et d’autres vétérans se réunir pour un dîner privé. Leur conversation oscillait facilement entre réflexion sérieuse et humour surprenant, parfois ponctuée par des souvenirs si spécifiques qu’ils ne pouvaient être partagés que par ceux qui les avaient vécus.
« Nous ne sommes pas des héros, » a insisté Wilkins avant de partir. « Les héros sont ceux qui ne sont pas revenus. Nous sommes juste les chanceux qui ont pu vivre les vies qu’ils ont manquées.«
Alors que le Canada marque ce 80e anniversaire, ces témoignages directs deviennent de plus en plus précieux. Chaque année qui passe, moins d’anciens combattants demeurent pour raconter directement leurs histoires. Leurs témoignages—parfois réticents, souvent humbles, toujours puissants—offrent aux Canadiens quelque chose que les livres d’histoire seuls ne peuvent pas donner: la dimension humaine de temps extraordinaires.
Ce qui reste après la fin des cérémonies commémoratives, c’est la responsabilité de transmettre ces souvenirs, en s’assurant que les générations futures comprennent non seulement les dates et les tactiques de bataille, mais aussi la réalité vécue par des Canadiens ordinaires qui se sont retrouvés participants à des événements qui ont changé le monde.